Au Salon Produrable, on prône l’écologie des petits pas

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ÉconomieLa 13e édition du salon Produrable se tient jusqu’à mardi à Paris. Un évènement où fleurit la novlangue autour de la « transition », qui a remplacé le « développement durable ». Les participants sont-ils dans une démarche de changement ? Ou simplement dans une opération de communication ? Reporterre y a passé la journée.
- Paris, reportage
Est-ce le salon de la bonne conscience ? Ou l’avant-garde de la mutation écologique des entreprises ? Lundi 7 septembre dans les allées de la 13e édition du salon Produrable, l’ambiance était studieuse et affairée. Des centaines de personnes se pressaient autour des stands qui promettaient des solutions afin « d’accélérer son engagement vers la transition » ou encore « de transformer les enjeux sociétaux en levier de performance. » Que venaient-elles chercher ? Des gadgets made in France à offrir aux employés modèles qui recycleraient correctement leurs gobelets de café ? Des escape game développement durable qui renforceraient la cohésion d’équipe ? Des outils qui mettraient en œuvre « la transition », expression qui a remplacé le très galvaudé « développement durable » ? Toutes ces belles formules cachent-elles un réel — et nécessaire — changement de paradigme ?
« Le but aujourd’hui, c’est que l’épine dans le pied du patron ne soit plus le cégétiste mais l’écolo », clame Jean-Baptiste Marsaud, key account manager — autrement dit responsable commercial — chez CiviTime, un « serious game » dédié au développement durable. En somme, un jeu pédagogique incitant les collaborateurs à engager une démarche plus responsable, par exemple en supprimant leurs courriels inutiles ou en venant travailler à vélo. « On vend un outil de communication interne pour montrer les efforts en matière de développement durable », explique son collègue Arthur Patte. La jeune pousse (startup) travaille notamment avec les grandes banques françaises comme la Société générale, pas vraiment un parangon de vertu écologique ou sociale. « Nous ne sommes pas là pour donner de leçon, mais pour accompagner une stratégie », avance-t-il. Son collègue vient à sa rescousse. « On ne va pas supprimer les banques dès demain. Mieux vaut faire de leurs salariés nos alliés et croire en leur capacité à faire changer les choses de l’intérieur. Après la crise que nous venons de vivre, les gens réclament du sens dans leur travail. Les entreprises doivent montrer qu’elles adoptent de nouvelles façons de faire. Car si elles ne se transforment pas, demain elles ne pourront pas séduire de nouveaux talents », assure Jean-Baptiste Marsaud.
Philip Morris : un cigarettier peut-il être écolo ?
Prendre un virage green, qu’il soit réel ou de façade, est de bon aloi par les temps qui courent. La preuve avec un exposant fort étonnant : le cigarettier Philip Morris. Dans son stand décoré de panneaux lumineux expliquant à grand renfort de chiffres et graphiques son engagement écologique, Natasha Pouget, la responsable des relations extérieures de la marque, nous détaille sa stratégie : « Nous voulons arrêter de vendre des cigarettes d’ici 10 à 15 ans. Nos équipes ont donc développé un dispositif électronique de tabac à chauffer qui diffuse de la nicotine sans combustion et donc sans émanations toxiques. Nous avons investi 7 milliards d’euros dans cette nouvelle technologie. » Avec un tel budget, il n’est pas surprenant que le groupe désire ardemment communiquer.
Reste à savoir si cette innovation empêchera les fumeurs de développer un cancer ? « Je ne peux pas vous le dire aujourd’hui, car il faut du temps pour développer ce genre de maladie. Mais les émanations toxiques de ce système vont baisser de 95 % », précise la communicante (par ailleurs non fumeuse). Elle insiste également sur la culture de tabac, qui produirait moins de CO2 que celle du chocolat, sur la première usine à neutralité carbone construite par Philip Morris en Lituanie et son engagement d’être neutre en carbone d’ici 2050. « Nous voir dans ce salon peut être contre-intuitif, voire provoquant pour certains. Mais nous ne nous déclarons pas écolos. Je désire surtout informer les fumeurs. Si c’est un plaisir individuel et légal, qui suis-je pour l’interdire ? » Un plaisir qui provoque — rappelons-le — 75.000 morts par an en France.

Alors, accueillir un cigarettier dans le salon n’est-il pas une façon d’adouber sa stratégie de communication ? « J’étais sûre que vous alliez me poser la question », s’exclame la directrice du salon, Cécile Colonna d’Istria. « Nous avons eu des rendez-vous avec eux pendant trois ans avant de les accepter. Ils ont su me convaincre. Il y a beaucoup d’autres d’industries qui ne sont pas vertueuses, comme celle du sucre. Chez Philip Morris, je vois les efforts entrepris. Peut-être que je suis tombée dans le panneau mais je n’aime pas la stratégie de l’homme ou la marque à abattre, je veux leur donner une chance. »
La reforestation très en vogue
Laisser le bénéfice du doute aux entreprises qui tentent avec plus ou moins de conviction de prendre un virage durable. C’est le pari de l’ensemble des startup et autres associations qui exposent ici car « aucune entreprise n’est irréprochable », plaide Nicolas Perdrix, directeur de l’agence de communication Sidièse. « D’autant qu’aujourd’hui, personne n’est dupe. Les gens avec qui nous travaillons n’ont pas envie de tricher sur ces sujets. » Son agence collabore notamment avec Reforest’Action, une entreprise qui, comme son nom l’indique, porte des projets de reforestation dans le monde entier. Une activité qui connaît un fort engouement depuis 2019, ce qui réjouit Stéphane Hallaire, son président. « Les besoins de reforestation sont gigantesques. Nous avons donc besoin de fonds. Et c’est auprès des entreprises qu’on les trouvera. » S’il s’interdisait autrefois de travailler avec les secteurs les plus polluants, comme l’aviation, il préfère aujourd’hui laisser les porteurs de projet décider de la pertinence ou pas d’un financeur. Et tente d’encadrer le mieux possible la communication a posteriori car la reforestation ne doit pas constituer un droit à polluer pour les entreprises. « Je ne crois pas que planter des arbres favorise ensuite un comportement émissif. Ceux qui nous contactent sont dans une démarche honnête et savent qu’ils doivent baisser leurs émissions en priorité. » Stéphane Hallaire estime d’ailleurs qu’il faudrait sortir de la logique comptable de la compensation et parler plutôt de contribution à la restauration des écosystèmes. Un terme plus juste pour une activité très à la mode qui n’évite pas certains écueils.

WWF conseille les entreprises dans leur stratégie
Dans les allées du salon, très peu de marques célèbres, telles La Poste et le groupe de protection sociale Malakoff Humanis, qui présentent des stands. Veolia a préféré participer aux conférences tout comme Nespresso. Un responsable du groupe Carrefour a été aperçu au stand du WWF, avec qui il travaille régulièrement. Le WWF est d’ailleurs la seule ONG environnementale à exposer en son nom et ceci pour la première fois. « J’ai eu le nez creux », plaisante Benjamin de Poncheville, responsable des partenariats économiques, face au flot continu de visiteurs. WWF collabore depuis des années avec les entreprises pour les accompagner dans la transformation de leurs pratiques. Face aux dizaines de cabinets de consultants qui offrent les mêmes services, Benjamin de Poncheville assure qu’il sait rester indépendant. « Certains arrivent pour acheter notre logo. Mais nous sommes de réels critiques vis-à-vis des boîtes pour lesquelles nous travaillons. Même si nous croyons qu’il vaut mieux être à l’intérieur qu’à l’extérieur pour mieux initier le changement. »

Cette proximité, qui fait souvent jaser au sein du landerneau écolo n’est pas évidente à gérer. La preuve avec le label de pêche durable MSC, fondé notamment par le WWF et le géant de l’alimentaire industriel Unilever. Récemment accusé par l’ONG Bloom de labelliser des pêcheries industrielles, il a également été critiqué pour avoir certifié une pêcherie de thon rouge en Atlantique. « Heureusement que nous avons ce genre de critiques constructives. Mais cette certification a été accordée avec des conditions d’amélioration en vue d’un rétablissement du stock », justifie Jean-Charles Pentecouteau, le directeur de programme MSC France. Avec l’effondrement massif de la biodiversité, aussi bien marine que terrestre, ne faudrait-il pas être rigoureux dans l’attribution de son label ? « Nous ne sommes pas forcément radicaux, mais nous obtenons des résultats sur le terrain. Prenez Carrefour qui a décidé de ne plus vendre que du cabillaud issu de la pêche durable. Ou encore le hoki de Nouvelle-Zélande, utilisé dans les poissons panés, dont les pêcheries certifiées ont amélioré l’état de leur stock. »
Se contenter de petites victoires face à une inertie générale et prendre son mal en patience semble être la recette d’une grande partie des acteurs du salon Produrable. « Bien sûr, il faudrait être plus radical et on aimerait que nos clients aillent plus vite, concède Perdrix, directeur de l’agence de communication Sidièse. Mais les représentants de l’ancien monde sont encore bien présents, surtout à la gouvernance des grands groupes. Ce sont eux qui freinent encore les choses. »
