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Pesticides

Cancers, Alzheimer… Un rapport de mille pages confirme la dangerosité des pesticides

Une expertise collective confirme la relation entre une exposition aux pesticides et certaines pathologies.

Un groupe de chercheurs de l’Inserm a publié mercredi 30 juin une expertise collective confirmant la relation entre certaines maladies et une exposition aux pesticides. Trois substances en particulier les ont intéressés : le glyphosate, le chlordécone et les fongicides SDHI.

Quels sont les effets des pesticides sur la santé humaine ? Des premières réponses avaient été évoquées dès 2013, lorsque l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) avait publié une expertise collective. Une mise à jour de cette investigation a été rendue publique mercredi 30 juin, à la demande de cinq directions générales ministérielles [1]. Le résultat : un épais document de plus de mille pages, rédigé par une dizaine de chercheurs français de plusieurs disciplines, qui ont analysé la littérature scientifique internationale disponible sur le sujet. En tout, depuis 2018, environ cinq mille résultats d’études ont été décortiqués, critiqués et mis bout à bout pour « inciter [les autorités] à une meilleure prise en compte de ces enjeux ».

Cette expertise collective confirme la relation entre une exposition aux pesticides et certaines pathologies. Chez l’adulte, les chercheurs ont accrédité un lien de présomption forte entre une exposition professionnelle aux pesticides (les personnes manipulant régulièrement ces produits dans le cadre de leur travail, les agriculteurs par exemple) et le lymphome non hodgkinien (un cancer du système lymphatique), le myélome multiple (un cancer de la moelle osseuse), le cancer de la prostate et la maladie de Parkinson. Le groupe de travail de l’Inserm a étudié des produits qui sont encore utilisés, comme le glyphosate, mais aussi des substances interdites depuis plusieurs décennies, persistantes dans l’environnement, comme l’insecticide DDT et le chlordécone.

En 2013, les chercheurs évoquaient déjà une relation entre l’exposition aux pesticides chez les agriculteurs et les troubles cognitifs. Dans cette nouvelle expertise collective, la présomption d’un lien est passée de moyenne à forte. Les études les plus récentes se sont aussi élargies aux riverains de zones agricoles et à la population générale, et ont permis de conclure à un niveau de présomption moyen. La santé respiratoire n’avait pas été étudiée il y a huit ans, c’est chose faite aujourd’hui : l’Inserm remarque une présomption forte entre une exposition professionnelle et la survenue de bronchite chronique et de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO).

© Mehdi Fedouach/ AFP

Une présomption, moyenne cette fois, a aussi été mise en évidence entre l’exposition aux pesticides (principalement chez les professionnels) et la maladie d’Alzheimer, les troubles anxio-dépressifs, certains cancers (leucémies, système nerveux central, vessie, rein, sarcomes des tissus mous), l’asthme et des pathologies thyroïdiennes.

Des liens entre exposition aux pesticides pendant l’enfance et tumeurs

Les enfants ne sont pas en reste – même si moins de données existent dans leur cas. Les récents résultats ont montré une présomption forte de lien entre une exposition aux pesticides (usage domestique) de la mère pendant la grossesse et des leucémies aiguës chez l’enfant. Si la mère est exposée à ces produits durant la grossesse de manière professionnelle, les études ont davantage montré un lien avec des leucémies aiguës myéloïdes. Un nouveau lien (présomption moyenne) a aussi été mis en évidence entre le risque de leucémie aiguë lymphoblastique et l’exposition professionnelle du père, avant la conception du bébé.

L’absence de végétation au pied de cette vigne de l’Aude est due à la pulvérisation de glyphosate. © Marie Astier/Reporterre

« Concernant les tumeurs du système nerveux central, l’expertise confirme la présomption forte d’un lien entre l’exposition professionnelle des parents aux pesticides (sans distinction) pendant la période prénatale », peut-on lire dans le résumé de l’Inserm. En outre, de nouveaux résultats conduisent à une présomption forte d’un lien entre ces tumeurs et l’exposition domestique aux pesticides pendant la grossesse ou pendant l’enfance. D’autres travaux montrent aussi des liens entre l’exposition professionnelle ou environnementale pendant la grossesse et des troubles du développement neuropsychologique, des troubles moteurs et des troubles du comportement chez l’enfant.

Un zoom sur le glyphosate, le chlordécone et les fongicides SDHI

Les chercheurs de l’Inserm ont compilé des milliers de données évoquant des centaines de pesticides différents, mais ils ont choisi de se concentrer sur trois substances : le glyphosate, le chlordécone et les fongicides SDHI. Pour l’herbicide glyphosate – toujours autorisé en France, malgré les promesses d’interdiction d’Emmanuel Macron — l’expertise conclut à une présomption moyenne de lien avec les lymphomes non hodgkiniens.

Le chlordécone, insecticide utilisé dans les Antilles françaises de 1973 à 1993, persiste dans l’environnement. Il a contaminé les sols, donc les denrées alimentaires et avec elles l’ensemble de la population. « La causalité de la relation entre l’exposition au chlordécone et le risque de survenue de cancer de la prostate est jugée vraisemblable », notent les chercheurs de l’Inserm. Enfin, l’expertise collective regrette le manque de données épidémiologiques sur les effets sanitaires des fongicides SDHI. Des études existent sur des poissons, des rats et des souris (et suggèrent des effets de perturbateurs endocriniens et des effets cancérogènes) mais leurs modèles ne sont pas extrapolables à l’être humain.

Manifestation « contre l’impunité » dans le procès du chlordécone, le 27 février, à Fort-de-France (Martinique). © Lionel Chamoiseau/AFP

« La précédente expertise de l’Inserm date d’il y a déjà huit ans et cette dernière était déjà très conclusive sur le lien entre pesticides et certaines pathologies comme Parkinson ou les lymphomes non hodgkiniens. La nouvelle expertise renforce globalement ces conclusions. Il est donc plus que temps pour le gouvernement d’agir vraiment pour une réduction forte de l’usage des pesticides, ce qu’il a échoué à faire jusqu’à présent, faute d’une réelle volonté politique », a commenté François Veillerette, porte-parole de l’association Générations Futures, dans un communiqué de presse. Et d’ajouter qu’il faudrait « accélérer le retrait des substances les plus dangereuses en priorité », comme le glyphosate.

De son côté, l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP) – une association professionnelle d’entreprises qui mettent sur le marché des pesticides— a réagi dans un communiqué de presse en affirmant que l’encadrement des produits phytopharmaceutiques « déjà très strict » s’était « considérablement renforcé pour protéger la santé de tous » depuis 2013. « Les substances sont évaluées à toutes les étapes de leur vie, avant leur mise en marché, pendant leur vie commerciale et environ tous les dix ans », a-t-elle rappelé, avant de préciser qu’elle étudierait « avec beaucoup d’intérêt les conclusions de l’expertise de l’Inserm ».

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