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ReportageLuttes

Dans le Gers, une zad fait de l’ombre à des panneaux solaires

À la barricade qui marque l'entrée de la zad de l'Orchidée.

Dans le Gers, des militants occupent depuis septembre un terrain voué à devenir un parc photovoltaïque. Une rentrée d’argent bienvenue pour la mairie, une destruction d’espaces agricoles et naturels pour les zadistes.

Haget (Gers), reportage

Sur les coteaux d’Haget, au sommet d’une petite colline entourée d’arbustes, une silhouette noire assise sur une chaise, capuche sur la tête et lunettes fumées, guette l’horizon. « Bienvenue à la zad de l’Orchidée ! »

C’est ici que les opposants à un projet de parc photovoltaïque ont décidé d’installer leurs barricades et leurs cabanes depuis le mois de septembre. C’est également ici qu’est prévue l’implantation de 15 000 panneaux solaires.

© Louise Allain / Reporterre

Ce projet, en gestation depuis plus de dix ans, suscite la mobilisation de nombreuses personnes de la commune et des alentours. « C’est une lutte importante », déclare Y. à travers son cache-cou. Il siège sur la colline pour avertir ses camarades d’une éventuelle arrivée de la police.

« De plus en plus de terres agricoles sont artificialisées dans la région pour installer des parcs photovoltaïques, explique-t-il. On veut résister ici à Haget, et insuffler un vent de révolte contre tous ces projets qui détruisent l’environnement au nom de la transition énergétique. »

Des cabanes sont en construction au sein de la zad.  © Justin Carrette / Reporterre

Derrière la barricade, Y. fait la visite de la zad. Des cabanes en construction, une marmite sur le feu et quelques poireaux gisent dans un espace qui semble être la cuisine collective. Les autres militants, prévenus de l’arrivée d’un journaliste, portent également des tissus noirs pour se couvrir le visage. « Les voitures et les hélicoptères de la police passaient quasiment tous les jours au début de l’occupation », se souvient Y. derrière ses lunettes teintées.

Les militants écologistes vivent ainsi en communauté sur ces terres destinées à accueillir 15 000 panneaux solaires. « Des gens restent, d’autres partent, il y a souvent du mouvement à la zad. C’est un espace à l’écart du monde capitaliste où on essaye de déconstruire les mécanismes de domination qu’on retrouve dans notre société », poursuit-il. « La lutte qui se mène ici est symbolique, on ne résiste pas seulement contre ce projet, mais contre tout un modèle qu’on nous impose et qui détruit le vivant. »

Une marmite sur le feu près d’un espace alloué à stocker les différentes denrées alimentaires apportées par des soutiens. © Justin Carrette / Reporterre

Propriétaire de ce terrain vallonné de 7,6 hectares, classé Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique pour ses pelouses riches en orchidées, ses petites mares et sa faune, la mairie d’Haget a décidé de louer ce terrain à la société Cap Vert Énergie. Cette entreprise basée à Marseille et qui a réalisé un chiffre d’affaires de 75 millions d’euros en 2022, en progression de 50 % par rapport à l’année précédente, est spécialisée dans la mise en place de méthaniseurs, centrales hydroélectriques et panneaux solaires.

Le préfet du Gers a signé l’arrêté accordant le permis de construire le 20 mai 2022 après les différentes phases de concertation et de consultation des services de l’État. « C’est une manne financière pour un petit village comme le nôtre », affirme Marc Raber, le maire d’Haget. « Grâce à la location de ce terrain, la commune percevra chaque année plus de 12 000 euros », déclare à Reporterre celui qui se définit comme un « écolo et un enfant de la République ».

Opposition et « compensation »

Pour Marc Raber, personne dans ce petit village de 350 habitants n’est réellement opposé au projet. Pourtant, l’enquête publique menée jusqu’en avril 2022 a prouvé le contraire. 73 % des 56 avis transmis par courriel étaient contre le projet. « C’était un terrain abîmé, une ancienne décharge », maintient le maire, « la société Cap Vert Énergie nous a également promis de compenser les arbres qui seront coupés et de refaire à neuf notre aire de pique-nique. »

En plus de cette « compensation » la société Cap Vert Énergie promet de mettre en place un modèle d’agrivoltaïsme, autrement dit d’allier cette installation photovoltaïque avec de nouvelles activités agricoles. « Nous permettrons à des agriculteurs de faire paître leurs ovins à l’intérieur du parc, nous mettrons aussi en place des ruches pour que les abeilles puissent profiter de l’ombre des panneaux solaires », assure l’élu dans une pièce sombre de la petite mairie d’Haget.

Sur l’une des collines, une affiche est tendue pour être visible depuis la route en contrebas. On y lit « Résistance et Sabotage, Haget Sauvage ». © Justin Carrette / Reporterre

À quelques kilomètres de la mairie, en direction de Rabastens-de-Bigorre, sur la colline bordant le futur parc photovoltaïque, une autre version se fait entendre : « C’est du capitalisme vert », affirme sans hésiter Y. dans sa tenue noire intégrale, « ces entreprises font du beurre sur la transition énergétique en artificialisant des terres agricoles. »

Ce jour-là, des habitants d’Haget et de Rabastens rejoignent les abords de la zad. Des sourires et des poignées de mains sont échangés avec les activistes écologistes déjà présents sur place. Stéphane Cazaban, apiculteur à Rabastens-de-Bigorre est révolté contre ce projet. « Mes ruches jouxtent le futur parc photovoltaïque », lance-t-il de son chaleureux accent gersois, « la mairie a volontairement contourné les réglementations depuis plus de dix ans pour permettre l’implantation de ce parc ».

« On ne me fera pas croire qu’artificialiser ces terres va être bénéfique pour mes abeilles »

L’apiculteur fait notamment référence au déclassement du terrain en 2018 lors du nouveau Plan local d’urbanisme, le faisant passer de zone A (zone agricole) à AU1phv (secteur à urbaniser à vocation photovoltaïque). Une petite portion de celui-ci avait entre-temps été utilisée comme décharge sauvage. « Mes ruches seront évidemment impactés. On ne me fera pas croire qu’artificialiser ces terres va être bénéfique pour mes abeilles. Et tout ça pour quoi ? Pour 12 000 euros par an ? » s’interroge Stéphane Cazaban.

Dans l’enquête publique, Ludovic Cazanave, président des Jeunes agriculteurs du canton de Rabastens-de-Bigorre, se dit lui aussi « inquiet de l’avenir de l’agriculture française et des installations de jeunes agriculteurs, si de tels projets se multipliaient, grignotant un peu plus chaque année nos paysages et notre outil de travail ». Cette inquiétude est partagée, au niveau national, par d’autres syndicats d’agriculteurs, comme la Confédération paysanne qui voit dans l’agrivoltaïsme « l’accaparement des terres agricoles par des sociétés de production d’énergie pressées de s’enrichir, sur le dos du monde paysan ».

Stéphane Cazaban est apiculteur sur la commune de Rabastens, il craint que ce projet soit directement néfaste à ses abeilles. © Justin Carrette / Reporterre

En plus des parkings et des toits de bâtiments, le gouvernement souhaite « libérer » du foncier et faciliter l’installation de projets photovoltaïques de ce type. En 2022, Emmanuel Macron a annoncé vouloir multiplier par trois la production d’énergie solaire d’ici 2050 pour atteindre 100 gigawatts.

Dans une question au ministre de l’Agriculture, le sénateur de centre-droit du Haut-Rhin Ludovic Haye note que cet objectif « suppose de couvrir entre 100 000 et 200 000 hectares, soit 0,2 % à 0,4 % du territoire français » avec des panneaux solaires, soit environ la superficie de la Guadeloupe.

« Il n’y a pas eu de réelle prise en compte de l’avis de la population »

Sur les coteaux d’Haget, en plein soleil derrière la grande affiche « Résistance et Sabotage, Haget Sauvage », un nouveau visage fait son apparition. Sabine habite avec son mari dans la seule maison collée directement au futur parc photovoltaïque. « Je ne suis pas contre les panneaux solaires, loin de là, mais pourquoi ne pas privilégier les hangars ou les grands bâtiments pour le photovoltaïque ? Tout a été fait discrètement dans ce projet, il n’y a pas eu de réelle prise en compte de l’avis de la population. »

Marc, un autre Hagétois, est également de passage durant cet après-midi particulièrement ensoleillé. « Je promène souvent mes chiens sur ces collines », lance le retraité qui vit dans la commune depuis plus de quarante ans. « Je ne savais pas que le parc photovoltaïque était si important, je pensais qu’ils allaient mettre une dizaine de panneaux sur l’ancienne décharge », poursuit l’homme qui semble bien connaître les militants présents sur les collines. « Heureusement qu’il y a des jeunes comme eux qui défendent la nature face à ce genre de projet. »

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