Dans les villes et les campings, la vie sans pesticides

Cimetière La Forêt de Blois (Loir-et-Cher). - © Nicolas Wietrich / Ville de Blois
Cimetière La Forêt de Blois (Loir-et-Cher). - © Nicolas Wietrich / Ville de Blois
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Nature Alternatives PesticidesVoiries, forêts et puis, depuis cet été, cimetières et terrains sportifs. L’interdiction des pesticides ne cesse de s’étendre. Collectivités pionnières et gérants de camping ont donné leurs astuces à Reporterre.
Du gazon à la place de graviers. Des pierres tombales entourées de fleurs. En France, les cimetières reprennent des couleurs. Et ce ne sont pas les seuls endroits où la nature regagne en vigueur. En France, depuis le 1ᵉʳ juillet et l’extension de la loi Labbé, les municipalités, les entreprises et les jardiniers amateurs ne peuvent plus recourir aux pesticides (néonicotinoïdes, glyphosates…) pour entretenir leurs espaces verts, hors zones agricoles.
Ces produits étaient quotidiennement utilisés depuis les années 1970 pour lutter contre les insectes ravageurs, les champignons ou encore les « mauvaises herbes ». En 2017, du fait leur toxicité pour la santé humaine et pour la biodiversité, leur vente en libre-service a été interdite. Aujourd’hui, seuls les stades réservés aux compétitions de haut niveau et les golfs sont encore exemptés. Ils ont jusqu’en 2025 pour s’adapter.
Dans les communes ou pour l’industrie du tourisme, cette nouvelle réglementation a entraîné un changement radical des pratiques. Depuis cinq ans, Lucile et Richard Abegg, les propriétaires du camping écoresponsable Le Rêve, dans le Lot, opèrent ainsi la transition écologique de leurs huit hectares. « Dès le rachat du lieu, en 2017, on voulait être en phase avec les valeurs du développement durable », raconte Lucile Abegg, 54 ans. Conséquences ? L’entretien est « plus compliqué. On ne gère plus les espaces pareils », admet la gérante. Au pied des bosquets bordant la piscine, le couple met désormais des branches mortes broyées. Ce paillage, en gardant dans l’ombre et dans l’humidité les graines enfouies sous terre, empêche les repousses importunes. « Le plus gros du problème ce sont les allées de petits graviers entre les emplacements. L’herbe repousse à certains endroits et forcément, esthétiquement, c’est moins sympa », poursuit Lucile Abegg.

Pour un résultat éclatant, il faut donc une bonne dose d’huile de coude : « On y va à la main, parfois à l’aide d’outils, ou on racle le sol avec le tracteur. À un moment, on utilisait un désherbeur thermique [1], mais ça consommait trop de gaz, on a laissé tomber. » Lucile et Richard Abegg ont finalement choisi une option plus douce : « Soit on se bat contre la nature, mais il faut embaucher, soit on accepte de la laisser reprendre ses droits. On avait autre chose à faire que d’arracher des petites pousses sans arrêt », résume Lucile Abegg.
Du côté des municipalités, la voie vers le « zéro phyto » est bien engagée
Un point de vue qui, dans un milieu encore peu sensible à ces questions, prend des allures « de petite révolution, confirme-t-elle. Les campings 4-5 étoiles ont des standards de propreté à respecter. Beaucoup voient ça comme une contrainte, et je pense que certains ont encore des petits bidons [d’herbicides] de côté. » En 2019, dans leur région, 18 campings sur 1 600 seulement avaient été labellisés « zéro phyto » d’après l’organisme Fredon Occitanie, en charge de la santé des végétaux.
Du côté des municipalités, la voie vers le « zéro phyto » est bien engagée. Entre 2015 et 2021, 728 d’entre elles ont été reconnues « terre saine » par le ministère de la Transition écologique et l’Office français de la biodiversité. Un faible nombre – cela représente moins de 2 % des communes françaises – qui ne témoigne pas des efforts mis en place nationalement, comme l’expliquait l’été dernier, dans la Gazette des communes, le responsable des jardins et de la biodiversité de Rennes : « Dans la métropole rennaise, la plupart des quarante-cinq communes sont passées au “zéro phyto”. Pourtant, seule la ville de Rennes est labellisée. […] Tout le monde ne demande pas le label parce que cela a un coût : celui de l’audit, mais aussi de temps pour monter des dossiers. »

Preuve en est, dans le Loir-et-Cher, la ville de Blois, absente du palmarès « terre saine », a arrêté les pesticides dès 2008. La commune, réputée pour son important patrimoine végétal, baigne dans 430 hectares d’espaces verts. Et depuis quatre ans, les plantes réinvestissent les bords de route, les trottoirs et les rues du centre-ville. Les parcs et les prairies, eux, ne sont plus « fauchés » qu’une à trois fois par an, tandis qu’au cimetière, plantes grasses et fleurs ont remplacé le revêtement calcaire. « Il suffit d’un peu de terre et de semences pour redonner vie à une zone quasi inerte. Dans les cimetières, les abeilles reviennent et on revoit des chouettes hulottes dans des milieux très urbains », se réjouit David Legrand, paysagiste et adjoint à la qualité du cadre de vie de Blois.
Pour l’entretien, les services techniques fonctionnent encore par brûlage thermique, mais à terme « on cherche à laisser plus de place à la végétation spontanée », continue le professionnel. Une transformation qui exige plus d’effectifs qu’avant. « On organise souvent des chantiers de réinsertion. Cela nous permet de répondre en même temps à des besoins sociaux », développe David Legrand. Enfin, ces nouveaux paysages florissants demandent énormément de pédagogie auprès des habitants, habitués aux tontes régulières. « C’est un travail de terrain quotidien. Les plus difficiles sont les personnes de plus de 70 ans, pour qui un trottoir propre est un trottoir sans herbe », relate le paysagiste.
« Les personnes âgées ont l’impression que ce n’est pas entretenu »
Plus au Sud, la maire de Naucelle (Aveyron), village où l’on pratique la gestion différenciée — c’est-à-dire qu’on évite de tondre ce qui n’a pas besoin d’être tondu —, dresse le même constat. « La plupart des personnes âgées ont l’impression que ce n’est pas entretenu », abonde Karine Clément. Certains mécontents arrachent même les touffes d’herbe rebelles. En plus de sensibiliser leurs administrés, les mairies doivent reformer leurs agents. À Blois, ceux chargés de la propreté sont désormais incollables sur la flore poussant en ville. « Il y avait une méconnaissance totale. Aujourd’hui, ils sont fiers de partager leur savoir », assure David Legrand. Parfois, les collectivités font appel à des intervenants extérieurs pour apprendre les bons gestes. « Lors des formations, le but est de prouver que les espaces publics peuvent répondre à une attente sociétale tout en n’étant pas exempts de végétation. En résumé, on cherche à montrer que les contraintes du “zéro phyto” peuvent devenir un autre projet pour le territoire », détaille Clément Baudot de Fredon Occitanie, qui forme sur le sujet.

Le difficile entretien des terrains sportifs
L’un des plus gros défis reste les terrains sportifs dont l’entretien, sans herbicides, devient technique et laborieux. Mais aussi plus cher : le prix d’un engin mécanique pour décompacter les sols — pour aérer les terres piétinées et empêcher le retour des « mauvaises herbes » — oscille entre 15 et 40 000 euros. Un problème pour les petites communes au maigre budget. « Une solution serait peut-être de mutualiser l’acquisition des machines. À Muret (Haute-Garonne), l’intercommunalité a acheté un décompacteur et le prête », rapporte Jean-Marc Sentein, directeur des sports à la mairie. Pour le président de l’Andiiss (association nationale des directeurs, des intervenants d’installations et des services des sports) le “zéro phyto” « oblige à travailler de manière plus régulière le terrain alors que ce sont des lieux extrêmement fréquentés. Et comme tout se fait à la main, le temps de travail augmente. Chez nous, c’est l’équivalent de 800 heures en plus », énonce-t-il.
« Il faut diversifier les types de gazons »
Le premier pas est de sortir de la « monoculture, conseille Clément Baudot. Il faut diversifier les types de gazons, ajouter du trèfle, qui permet de fixer l’azote dans le sol par exemple. » Car la fin des pesticides, c’est aussi dire adieu aux pelouses épaisses et bien vertes en toutes saisons. « En fonction de la météo, le terrain peut être un peu jaune, ou abîmé. C’est la nature quoi ! Les utilisateurs ont beaucoup de mal à l’accepter », dit Jean-Marc Sentein. Qui estime que le monde du sport n’est pas encore prêt de s’emparer de la question. Au-delà de la biodiversité, l’enjeu pour les municipalités, les sportifs ou encore le secteur touristique est le changement des mentalités. La loi Labbé « pousse à changer notre rapport à l’espace urbanisé et à la nature », estime Clément Baudot. Un processus qui prendra du temps.