Des écologistes en procès pour avoir résisté à l’autoroute GCO

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Luttes GCOMercredi 2 septembre, de jeunes opposants au « grand contournement ouest » (GCO) de Strasbourg ont été jugés à Colmar. Ils sont accusés d’avoir violenté des gendarmes. Ceux-ci avaient mené une violente opération d’évacuation d’une barricade en avril 2019. Récit de l’audience.
- Colmar (Haut-Rhin), reportage
Devant la cour d’appel de Colmar le 2 septembre, toujours médusé par cette affaire, Colin lit à haute voix les faits qui lui sont reprochés comme à dix autres militants écologistes : « Vol et recel en réunion précédé ou suivi de dégradations. » Du matériel de chantier aurait été déplacé et utilisé pour édifier une barricade lors d’une action contre la construction du grand contournement ouest de Strasbourg (GCO), une autoroute en chantier et contesté depuis des années en raison de ses lourdes conséquences environnementales. L’automne dernier, ils ont été condamnés en première instance par le tribunal correctionnel de Strasbourg à deux mois de prison avec sursis, à l’exception de l’un d’entre eux, qui devait payer une amende. Dans la même affaire, deux autres personnes ont été accusées de « violences envers des personnes dépositaires de l’autorité publique. » L’une a été condamnée à quatre mois de prison avec sursis, l’autre, déjà condamnée par le passé, à quatre mois de prison ferme. À la suite de ces décisions, les activistes ont décidé de faire appel.
Vers 9 h 30, ce mardi, 25 personnes étaient déjà là en soutien. Au cours de la journée, ils ont été une centaine à se relayer. Des anti-GCO et des militants d’Exctinction Rebellion (XR) ont fait le déplacement de Strasbourg, mais étaient aussi présents des Gilets jaunes et des écologistes colmariens.
Germaine, 91 ans, une des figures de la lutte, a tenu à assister au procès : « Jusqu’à ma mort, je les défendrai. Après la déforestation à côté de Kolbsheim, mon village, je suis tombée malade. C’est terrible ce qu’il s’est passé, la destruction du vivant, de l’environnement auquel nous étions attachés. Ces jeunes ont voulu protéger la nature, c’est important ce qu’ils font, ils ne peuvent pas être condamnés pour ça. »
Le GCO a une emprise de plus de 300 hectares, dont 20 hectares de forêts centenaires qui ont été rasées entre septembre 2018 et septembre 2019. Dans la forêt de Kolbsheim, une Zad avait été érigée en juillet 2017 avant d’être expulsée un an plus tard, juste avant le début des travaux. Dans les mois qui ont suivi, deux Zad temporaires ont été créées, à côté du tracé cette fois-ci, toujours à Kolbsheim, et de très nombreuses actions de blocage ont eu lieu sur le chantier. Malgré la lutte intensive, qui a maintenant presque entièrement pris fin, les bulldozers poursuivent leur œuvre de destruction.
La légalité de l’opération d’évacuation contestée par la défense
L’audience, a commencé à 14 h, quatre heures après l’heure prévue. Outre les magistrats, les avocates, les prévenus et les victimes, seules dix personnes ont été autorisées à entrer dans la salle, en raison des précautions sanitaires liées au Covid-19. Sept des treize accusés ont fait le déplacement. Âgés entre 20 et 31 ans, la plupart de ces jeunes écologistes sont sur le banc des accusés pour la première fois. Maîtres Dole et Ruef, les deux avocates de la défense, visent « la relaxe de tous les prévenus à cause de nombreux vices de forme dans les procédures d’interpellations et de l’insuffisance d’éléments qui prouvent la culpabilité des prévenus ».

La rapporteuse publique a commencé par rappeler les faits. Le 20 avril 2019, vers 8 heures du matin, les gendarmes de la brigade de Truchtersheim ont découvert qu’une cabane avait été construite pendant la nuit, sur une butte de terre, au beau milieu du tracé de l’autoroute, non loin du village de Pfettisheim.

Environ trente personnes, qui se revendiquaient zadistes, ou simplement écologistes, occupaient le lieu. Constatant la présence de barricades construites avec du matériel de chantier, les gendarmes ont appelé du renfort. Aux alentours de 11 h 30, un peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) a lancé une opération d’évacuation. À la suite d’une collision « bouclier contre bouclier », deux gendarmes se sont blessés durant l’intervention : Monsieur W. a eu 5 jours d’ITT (incapacité temporaire de travail) pour une blessure à l’épaule et Monsieur B. une diminution de la force musculaire dans le bras droit. MM. W. et B. sont présents dans la salle d’audience, se présentant comme victimes des deux personnes accusées de violences envers personnes dépositaires de l’autorité publique. Après l’intervention policière d’avril 2019, treize personnes ont été interpellées et placées en garde à vue pendant 48 heures. Ce sont les prévenus.
Me Ruef a commencé par mettre en cause la procédure de l’intervention des gendarmes : « L’ordre d’évacuation n’était tout simplement pas légal. Il aurait dû il y avoir une décision de justice, ou alors les éléments nécessaires pour permettre de dire qu’une infraction a été constatée sur le coup. Là, tout ce qui apparaît sur les procès-verbaux, c’est qu’il fallait absolument évacuer parce que le chantier devait suivre son cours. » Me Dole poursuit : « En lisant les procès-verbaux, on ne comprend pas pourquoi ces personnes en particulier ont été arrêtées. Tout semble arbitraire. Quand on interpelle quelqu’un et qu’on le prive de liberté pendant 48 heures, les motifs doivent lui être clairement établis et notifiés. De plus, on constate des retards pour les notifications des droits des gardés à vue qui vont jusqu’à deux heures. Pour les onze accusés de vol et recel, à la base, le motif d’interpellation était dissimulation de visage. Les qualifications ont changé après coup. Quand on prend du recul, on a l’impression que toute la procédure a été réalisée à l’envers : les accusés ont été interpellés avant qu’un motif d’interpellation ne soit trouvé. »
Une opération d’évacuation très violente selon les activistes
L’avocat général, qui représente le ministère public, a pris la parole, admettant qu’il « ne va pas soutenir que l’évacuation a été faite dans les règles de l’art ». Mais selon lui, « les procès-verbaux préalables à l’ordre d’évacuation montrent des indices apparents de délits qui le justifient ». Pour ce qui est des retards de notification, il a insisté sur « l’ampleur de l’opération et les circonstances difficiles ». À quoi Me Dole a rétorqué « qu’au moment où l’ordre a été donné, aucun trouble n’a été invoqué, et que celui-ci n’est donc pas légal ».
Les deux gendarmes, en uniforme, ont alors été appelés à la barre. Ils ont expliqué avoir été percutés par deux personnes. Leur avocate a souligné que sur les vidéos issues des caméras des gendarmes, on voit nettement un individu charger les forces de l’ordre : « Permettez-moi de douter du pacifisme de ces activistes. Leur résistance était tout sauf passive. » Elle réclame des dommages et intérêts pour les militaires. L’avocat général a repris la parole pour préconiser que les peines de prison avec sursis se transforment en amendes avec sursis. Mais pour les auteurs de violence, il a estimé que les faits reprochés sont graves et méritent le maintien de leur peine.
Me Dole, photos à l’appui, a alors rappelé que lors de leur première audition, les gendarmes disent avoir été percutés à une seule reprise, par un unique individu, qui ne correspond pas à la description des deux accusés de violences. Il y aurait donc de fortes incohérences dans leurs déclarations, et surtout, une insuffisance d’éléments permettant de prouver la culpabilité des prévenus accusés de violence, qui nient les avoir commises.
Me Ruef a quant à elle remis en cause la qualification de recel, « tirée par les cheveux ». Selon le jugement de première instance, les opposants au GCO auraient utilisé le matériel du chantier pour se protéger, ce qui constituerait le recel et justifierait leur peine. Or, pour qu’il y ait recel, il faut qu’il y ait vol, et selon Me Ruef, « le vol n’a pas été établi dans les procès-verbaux ».
Pour conclure, Me Dole a insisté sur le ressenti des prévenus, qui dénoncent une opération d’évacuation très violente alors qu’ils étaient là pour défendre l’environnement. Les gendarmes ont fait l’usage de gaz lacrymogène en grande quantité, notamment en milieu clos, à l’intérieur de la cabane construite par les zadistes. L’une des accusées de recel, connue pour tenir le blog Piraterie à roulettes, a monté une vidéo qui relate les événements de ce 20 avril 2019.
L’audience a duré trois heures, au terme desquelles le président a annoncé que l’affaire était mise en délibéré au 21 octobre. À la sortie, Me Ruef était optimiste : « J’ai l’impression qu’on a été entendues, qu’il y a eu une bonne écoute. »