Des forêts en ville ? La méthode Miyawaki n’est pas la solution miracle

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Nature Forêts Habitat et urbanisme AlternativesDepuis quelques années, les plantations inspirées de la méthode Miyawaki se répandent en France, avec une promesse : restaurer en un temps record des écosystèmes forestiers en zone urbaine. Mais des chercheurs s’interrogent sur l’efficacité réelle de ce procédé, en particulier dans le climat français où il n’a pas encore fait ses preuves.
Paris, reportage
Niché entre les étals du marché aux puces parisien de la porte de Montreuil (XXe) et le bruyant boulevard périphérique, un petit écrin de biodiversité prend forme. Saules, ormes, chênes, tilleuls, peupliers… Une cinquantaine d’essences différentes, toutes natives de la région, se hisse sur ce talus clôturé de 400 m², chacune à son rythme ; les plus rapides dépassent aujourd’hui les deux mètres. Çà et là, une abeille s’affaire autour d’une fleur d’aubépine et une coccinelle prend son envol, défiant l’environnement peu hospitalier qui les entoure.
C’est ici qu’en mars 2018, l’association Boomforest a enraciné 1 200 jeunes plantes grâce au budget participatif de la Ville de Paris, donnant naissance à la toute première microforêt francilienne inspirée de la méthode Miyawaki — du nom du botaniste japonais Akira Miyawaki, qui l’a mise au point dans les années 1970. Ce procédé de végétalisation express permettrait de restaurer un écosystème forestier et de le rendre autonome au bout de trois ans seulement. « En vingt ans, on obtient une canopée formée, alors qu’il en faudrait deux cents en suivant les techniques conventionnelles », affirme à Reporterre Enrico Fusto, cofondateur de l’association.
En théorie, le processus est accéléré en plantant — majoritairement ou uniquement — des espèces locales que l’on trouverait dans une forêt mature, au stade final de la succession écologique. C’est ce qu’explique Enrico Fusto, en avançant précautionneusement dans la plantation, tant les arbres sont serrés : trois par mètre carré, selon les principes édictés par l’expert nippon. Malgré le jeune âge de la forêt — tout juste trois ans en ce printemps, un petit peu d’entretien est encore nécessaire pour enlever les plantes invasives les plus tenaces.

L’association, qui se présente comme une « fédération de planteurs », œuvre activement pour la diffusion de ces petites forêts urbaines à croissance rapide en France et ailleurs en Europe. La formule a conquis la Ville de Paris, si l’on en croit les objectifs annoncés fin 2020 : 170 000 nouveaux arbres d’ici 2026, en s’appuyant notamment sur la méthode Miyawaki. Le mouvement est lancé : en quelques années, plusieurs plantations de ce type sont sorties de terre en région parisienne, mais aussi aux Sorinières, près de Nantes, et plus récemment à Toulouse, Bordeaux ou Mulhouse.
Un manque de bases scientifiques solides
Face à cet engouement, des chercheurs émettent des doutes quant à l’efficacité de cette méthode qui a, pour l’instant, surtout été déployée en Asie et en Amérique du Sud dans un climat tropical, chaud et humide, avec des espèces différentes de celles qu’on trouve en France. Les fondements scientifiques des chiffres souvent avancés par ses promoteurs (biodiversité jusqu’à cent fois plus riche, stockage du carbone trois fois plus important, etc.), largement tirés des publications du botaniste japonais et de ses continuateurs, sont notamment mis en question.
Et ce malgré les efforts réalisés par certaines organisations pour légitimer la démarche en Europe, à l’instar de l’entreprise belge Urban Forests, qui a publié un rapport en 2020 compilant diverses publications scientifiques sur les bénéfices apportés par ces forêts.

« Le sujet est compliqué : Miyawaki affirme des choses en s’appuyant sur des photos qui montrent comment la végétation s’est développée, mais il n’a pas réalisé de vrai suivi ou de démonstration scientifique qui évalue, par exemple, si la biodiversité est effectivement plus riche que dans une forêt classique », souligne Annabel Porté, chercheuse en écologie forestière à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
« Les espèces ne sont pas faites pour vivre entre elles à forte densité. »
Coordinateur des campagnes au sein de l’association Canopée, qui milite pour la défense des forêts, Sylvain Angerand remarque de son côté que certaines données sont parfois extrapolées de manière erronée : « Un gros raccourci a été fait entre la surface foliaire [qui serait 30 % plus importante dans les microforêts, selon Miyawaki] et le stockage du carbone. »

Surtout, le devenir à long terme de ces plantations demeure incertain. En Europe, l’une des rares études scientifiques (2010) sur l’efficacité de cette méthode, réalisée en Sardaigne dans un milieu naturel, fait état d’une mortalité des arbres comprise entre 61 et 84 % au bout de douze ans. « En plantant de façon dense, ceux-ci grandissent vite car ils allouent leur croissance vers la hauteur plus qu’en diamètre, et sont donc beaucoup plus fins. Mais les plants sont si serrés que l’on perd une fraction importante de la plantation », explique Annabel Porté.
Le phénomène de compétition naturelle, consistant pour les jeunes arbres à accéder le plus rapidement possible à la lumière, est en effet exacerbé du fait de cette forte densité. Ces forêts, ou plutôt « bosquets » selon la définition de l’inventaire forestier, souvent décrites comme « trente fois plus denses », ne le resteront donc vraisemblablement pas.
« C’est une illusion d’imaginer que mélanger toutes les espèces d’un écosystème leur permettra de coopérer entre elles. »
Ancien responsable forêts de France Nature Environnement (FNE), Hervé Le Bouler ajoute : « Nous sommes dans un contexte où contrairement au milieu tropical, les espèces ne sont pas faites pour vivre entre elles à forte densité. C’est une illusion d’imaginer que mélanger toutes les espèces d’un écosystème leur permettra de coopérer entre elles. » Selon lui, le risque est qu’une minorité d’essences prenne le dessus sur les autres, ce qu’on pourrait néanmoins éviter avec une « intelligence dans la répartition des espèces ».
Adapter la méthode Miyawaki aux conditions locales
Du côté des scientifiques, l’heure est donc à la prudence et à l’observation. En mars, un suivi de ces plantations a été lancé à l’université Paul Sabatier, à Toulouse. Des forêts Miyawaki ont pris racine au bord du canal de la ville, aux côtés de parcelles témoins qui serviront de comparatif pour mesurer la richesse de la biodiversité, la fixation du carbone et la mise en place d’un microclimat forestier.
Des protocoles de suivi ont également été mis en place par certaines organisations, à l’image de Reforest’Action. « Nous sommes encore dans une phase d’expérimentation », indique le président et fondateur de l’entreprise, Stéphane Hallaire. Arrosage, densité de plantation… ces paramètres pourront être ajustés dans les années à venir.

« Il ne s’agit pas nécessairement de reprendre telle quelle la méthode Miyawaki, mais de l’adapter aux conditions locales, en prenant aussi en compte le changement climatique dans le choix des essences. Par exemple, nous avons écarté le chêne pédonculé [Quercus robur] qui souffre des sécheresses, et planté plutôt des chênes sessile [Quercus petraea] qui ont besoin de moins d’eau », décrit-il.
Deux ans après sa plantation aux abords du bois de Vincennes, il constate ainsi que la plus grande microforêt francilienne plantée à ce jour (700 m²) tient le coup, malgré une « mortalité assez forte la première année » sous l’effet des canicules et des invasions de plantes indésirables, même s’il admet que nous sommes loin d’avoir le « recul nécessaire » pour en prendre la véritable mesure.
« Ils entretiennent l’illusion que l’on peut recréer des forêts primaires en claquant des doigts »
En attendant d’avoir des bases scientifiques suffisamment solides pour éclairer les décisions publiques, gardons-nous de « survendre une méthodologie, insiste Annabel Porté. C’est l’une des possibilités de plantations urbaines parmi d’autres, mais ce n’est pas forcément la plus efficace ou la plus durable. Or elle est vendue de cette façon ». Chez Canopée, Sylvain Angerand s’inquiète de l’idéologie véhiculée par cette solution : « Le fond du problème est qu’il n’y a pas de magie dans la nature. Face à la crise écologique, on aurait envie d’appuyer sur un bouton pour créer une forêt centenaire sur une place de parking. Or les forêts, c’est le temps long… Sans le vouloir, ils reprennent le même discours que la filière bois en entretenant l’illusion que l’on peut recréer des forêts primaires en claquant des doigts. »
L’enjeu est aussi économique, car cette méthode est particulièrement onéreuse au départ, du fait de la densité de la plantation et de l’important travail du sol requis en milieu urbain (3 000 euros les 100 m², selon les chiffres de Boomforest). Des coûts compensés à long terme selon ses promoteurs, puisqu’aucun entretien n’est théoriquement nécessaire au bout de trois ans.
On peut néanmoins se demander si cette stratégie est la plus rentable au vu de la contribution des microforêts à l’accroissement du couvert arboré des villes. « Plutôt que le nombre d’arbres, qui va forcément évoluer, ne serait-il pas plus juste de comptabiliser les mètres carrés boisés par cette méthode ? » suggère ainsi Serge Muller, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, dans une publication en mars. L’objectif de planter 170 000 arbres à Paris avec la méthode Miyawaki, fait-il remarquer, reviendrait à végétaliser 5 hectares… pour une superficie totale de la capitale de 10 500 hectares.