Eau, vaccins... Une loi doit protéger les biens communs

Dans la région de Vittel (Vosges), des habitants se mobilisent pour défendre leur accès à l’eau contre le géant agro-alimentaire. - © Mathieu Génon/Hans Lucas/Reporterre
Dans la région de Vittel (Vosges), des habitants se mobilisent pour défendre leur accès à l’eau contre le géant agro-alimentaire. - © Mathieu Génon/Hans Lucas/Reporterre
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Culture et idées Biens communsPour que les « biens communs » (eau, terres, infrastructures...) cessent d’être accaparés par quelques-uns, il faut une loi pour les protéger. L’auteur de cette tribune en expose les contours.
Pierre Dharréville est député (PCF) des Bouches-du-Rhône.
Partout sur la planète, quelles que soient les latitudes, le même constat s’impose : la loi de l’argent tout-puissant emporte tout sur son passage. Les richesses se concentrent aux mains d’un tout petit nombre [1], les inégalités se creusent, notre environnement se dégrade, le pouvoir démocratique est circonscrit. Car l’appropriation des biens (eau, terres, connaissances, infrastructures…) et de leurs usages par quelques-uns n’a d’autre conséquence que l’expropriation de tous les autres. Au bout du compte, c’est la dignité humaine qui est entamée.
Aussi, ce n’est pas un hasard si des mouvements émergent ici et là pour contester les logiques de privatisation et un penchant pour le libéralisme économique de plus en plus marqué. Dans les Andes latino-américaines, les luttes portent sur l’accès à l’eau ; en Espagne, sur le droit au logement et le libre accès à l’espace public ; en France, elles dénoncent la privatisation de l’énergie et la dégradation du système de santé [2].
Ces biens et ressources sont pourtant des « biens communs ». C’est-à-dire des biens, matériels ou immatériels, qui répondent à des besoins fondamentaux tels que l’air, l’eau, les médicaments, ou correspondent à des inventions sociales qui nécessitent d’être pleinement partagées. Ils sont désignés comme « communs » parce qu’ils sont déterminants pour la survie de certaines pratiques, voire dans certains cas, de l’humanité. On pourrait notamment évoquer les vaccins contre le Covid-19, dont les brevets auraient dû être levés et les techniques de fabrication mises en partage. Ou l’accès au littoral dans certains territoires, tels que les Bouches-du-Rhône, où certaines plages ont été privatisées.
Les brevets des vaccins contre le Covid auraient dû être levés
Mais l’heure est plutôt aujourd’hui à privatiser les bénéfices et à s’arranger pour socialiser les pertes : le cas des autoroutes, cédées au privé quasi intégralement une fois construites par le public, le démontre bien [3]. Si l’on voulait donner dans la provocation, on dirait que la conception du commun aujourd’hui, c’est celle qu’incarne la fameuse « dette publique » dont on nous rebat les oreilles : la société devrait se serrer la ceinture pour la rembourser.

A contrario, parler de commun, c’est parler de partage, créer de nouveaux liens sociaux déliés de rapports marchands. Pourtant le droit civil n’en fait pas mention. La tradition juridique de l’État libéral a fini par se construire sur la base d’une absolutisation du droit de propriété. De résiduels régimes d’exception existent, par exemple les Monuments historiques, qui, reconnus comme tels, imposent des obligations de préservation aux propriétaires. On peut également citer la récente décision du Conseil constitutionnel, qui, en vertu de la défense de l’environnement, limite désormais le droit d’entreprendre, et notamment celle d’exporter des pesticides interdits dans l’Union européenne hors du continent...
Un citoyen pourrait demander à ce qu’une ressource obtienne le statut de bien commun
Il nous faut donc aujourd’hui créer une catégorie juridique nouvelle sur la base de laquelle pourront s’épanouir des démarches citoyennes de protection, de promotion et d’invention des biens communs à toutes les échelles, du local au global. C’est l’objet de la proposition de loi que Pierre Dharréville a déposée, et qui sera débattue à l’Assemblée nationale d’ici au 2 décembre. Elle propose de permettre aux citoyens de saisir le Conseil économique, social et environnemental (CESE) pour lui demander l’attribution du statut de bien commun à telle ressource naturelle ou culturelle, en raison de son caractère essentiel ou de rareté, des usages collectifs dont il fait l’objet, ou encore de menaces qui pèseraient sur lui [4]. Le CESE, assemblée constituante qui représente plus de quatre-vingts organisations (associations, syndicats de salariés, organisations patronales…) débattra ensuite pour déterminer s’il accorde ou pas le statut de bien commun à ce bien.
Pour ce, nous proposons une définition des biens communs, dans le prolongement de l’article 714 du Code civil [5]. Celle-ci est élémentaire mais le but est justement d’ouvrir un débat sur la définition des biens communs pour construire un cadre juridique. Une fois ce statut attribué, un conseil citoyen pourrait être créé afin de dresser un état des lieux et formuler des préconisations permettant le respect de ce bien au regard de son statut de commun. Car il est bien évident qu’un bien commun tel que l’eau ne peut être géré comme un jardin partagé.
À l’heure de la financiarisation de l’économie, de la marchandisation de tout et de la privatisation du monde, au moment où la quête du profit met la planète en surchauffe, déployer des dynamiques du commun est indispensable pour revitaliser notre démocratie.