En Afrique, des bébés chimpanzés pris en otage

- © Jack
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Animaux MondeTrois bébés chimpanzés ont été enlevés il y a un mois, en République démocratique du Congo. La nurserie dont ils dépendent refuse de payer la rançon. Elle s’inquiète toutefois de la santé de ces petits.
Il y a un mois, dans la nuit du 8 au 9 septembre, plusieurs personnes se sont introduites dans la nurserie du centre Jeunes animaux confisqués au Katanga (Jack), basé à Lubumbashi, la deuxième ville de la République démocratique du Congo (RDC). Quelques heures plus tard, la messagerie instantanée de sa cofondatrice, Roxane Chantereau, s’est mise à couiner sans relâche. « Au milieu de menaces de mort, les messages annonçaient l’enlèvement de trois bébés chimpanzés », raconte son époux, Franck, encore sous le choc.
Roxane a alors filé à la nurserie où elle a retrouvé deux bébés, cachés derrière une porte. Très vite, elle a reçu des preuves de vie des petits singes enlevés : César et Hussein, 2 ans, et la femelle Monga, 5 ans. La vidéo montrait des animaux comme figés par la peur. « Les trois individus ont été séparés, et très probablement drogués pour ne pas faire de bruit, car un chimpanzé apeuré fait un raffut du tonnerre », affirme Franck Chantereau. L’aînée était même attachée au mur, suspendue par les bras. Les ravisseurs ont réclamé une rançon à six chiffres, dont le montant exact n’est pas divulgué. « Dans un pays comme la République démocratique du Congo, c’est colossal. »
Pendant plusieurs jours, le couple a maintenu le contact avec les ravisseurs, qui appelaient quotidiennement pour obtenir les fonds. « J’ai essayé de les faire patienter, mais ils ont menacé de m’envoyer la tête d’un des bébés. » Les premiers éléments de l’enquête indiquent que le « chimp’napping » n’a pu avoir lieu sans l’aide d’un ou plusieurs employés ou ex-employés du centre. En effet, malgré la présence de deux gardes armés, les cadenas de la nurserie ont été ouverts avec une clef et, par ailleurs, « aucun bébé chimpanzé ne vient dans les bras d’un inconnu ». Quatre personnes ont été arrêtées. Depuis quelques jours, silence radio du côté des ravisseurs.
Pas question de céder
Les fondateurs et les dix-huit salariés de Jack travaillent en lien étroit avec l’État congolais, puisque ces animaux leur ont été confiés après avoir traversé de terribles épreuves. Derrière un seul spécimen, c’est souvent une famille entière qui a été massacrée. « Pour récupérer un bébé, il faut tuer l’ensemble du sous-groupe autour de lui, c’est-à-dire 8 à 10 individus », confirme Sabrina Krief, primatologue et professeure au Muséum national d’histoire naturelle, connue pour alerter l’opinion au sujet de la disparition des grands singes et de leurs habitats.
Une fois soustraits au trafic, les animaux sont remis à un sanctuaire ou centre de réhabilitation, qui s’en occupera à vie, c’est-à-dire quarante à soixante ans. « Une fois qu’ils ont été “humanisés”, il est très difficile, voire impossible, de les relâcher dans leur habitat naturel. À part ces centres de réhabilitation, personne n’a le droit de détenir un chimpanzé en RDC, car ils sont tous sous la protection de l’État. Mais aujourd’hui, ils sont tous débordés. »

Depuis le rapt, Franck et Roxane mettent le paquet pour renforcer la sécurité du centre. Cadenas et serrures ont été changés, des caméras de surveillance vont être installées et les autorités doivent encore donner leur accord pour l’embauche de nouveaux rangers, dont le salaire mensuel avoisine les 200 euros. Dans l’urgence, pour faire face aux dépenses, l’association française Les amis de Jack a ouvert une cagnotte participative.
Pour les fondateurs du sanctuaire, hors de question de s’acquitter de la somme demandée par les ravisseurs. « D’abord, nous n’en avons pas les moyens. Ensuite, le peu d’argent que l’on reçoit sert à nourrir et soigner les 101 primates restants du centre. » Pour finir, céder au chantage ouvrirait une véritable boîte de Pandore, dont le trafic international d’espèces protégées n’a pas besoin. Voilà pourquoi Franck craint le pire. « Chaque jour qui passe, on se dit que l’issue sera fatale : les bébés réclament des soins, de la nourriture et je ne suis pas sûr que ce soit la priorité des ravisseurs. » Un chimpanzé de moins de 5 ans a besoin de soins équivalents à ceux d’un petit humain : amour, attention et nourriture adaptée.
« Personne n’arrête les trafiquants »
Dans l’histoire du trafic des espèces protégées, le kidnapping en contrepartie d’une rançon est une première pour les grands singes. D’ordinaire, les animaux sont revendus très vite — et très discrètement — à des expatriés, des personnalités locales ou des collectionneurs fortunés en Chine, au Pakistan, au Qatar, etc. « Ils se négocient entre 1 000 et 3 000 euros sur les marchés — et parfois jusqu’à dix fois plus à l’étranger —, les braconniers, eux, ne récupérant que quelques centaines d’euros », raconte Sabrina Krief.

Cet enlèvement peut-il être relié au trafic international ? Impossible à dire. Les adultes morts sont souvent vendus pour être consommés comme viande de brousse. Les bébés, eux, ont la cote comme animaux de compagnie. Ils sont également très attractifs pour les mini-zoos qui monnaient chaque selfie avec un petit singe. « Certains pensent que les chimpanzés sont des animaux domestiques. Des imbéciles continuent de poster des vidéos d’animaux costumés, maquillés, poussés à faire les andouilles. Cela donne envie d’en avoir un. “Liker” ces vidéos revient à légitimer ces actes », estime Roxane Chantereau.
« Les trafiquants ne risquent généralement pas grand-chose »
Le problème, c’est qu’un bébé, ça grandit. Les adultes perdent vite de leur intérêt et deviennent même dangereux. « Ils sont très remuants. Ils ne sont tout simplement pas faits pour vivre habillés ou manger à table avec la famille. Donc, il y a un appel d’air permanent pour les petits », déplore la primatologue. Évalué à 20 milliards de dollars, le commerce illicite d’espèces sauvages est l’un des plus lucratifs du monde, selon le dernier rapport d’Interpol.

Pour Marine Calmet, qui dirige l’association Wild Legal, ce kidnapping montre « les limites d’un modèle de protection de la nature fondé sur la protection renforcée de quelques espèces emblématiques bénéficiant d’un capital sympathie de la part de la société occidentale ». En effet, cette protection financiarise le rapport à la nature en justifiant des pratiques comme le kidnapping, qui pourraient devenir un business rentable. « À la place, le mouvement des droits de la nature apporte un outil concret pour repenser une gouvernance locale en accord avec les cosmovisions traditionnelles et les besoins des non-humains. »
Tout cela dépasse un peu les fondateurs de Jack. « Nous sommes au fond de l’Afrique, se désespère Franck, je ne sais pas faire face à tout cela. Ce serait bien que la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) s’empare de la question. Personne n’arrête les trafiquants, ils ne risquent généralement pas grand-chose. Tout le problème est là. C’est un phénomène qui va bien au-delà de notre cas. »