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François Sauvadet accuse : « Le gouvernement pille les moyens de la politique de l’eau »

Le budget 2018 du gouvernement prévoit une ponction de grande ampleur du budget des agences de l’eau, qui sont ainsi privées des moyens de mettre en œuvre la politique de l’eau souhaitée par ce même gouvernement.

  • Actualisation - Mercredi 11 juillet 2018 - Le comité de bassin Rhône Méditerranée s’élève à son tour contre les prélèvements effectué par l’Etat sur ses ressources. Dans un communiqué le 6 juillet, il écrit : « Les effets du changement climatique se font de plus en plus sentir et exigent une gestion de l’eau plus économe de la ressource et plus protectrice pour des milieux aquatiques fragilisés (...). Et dans le même temps, les moyens financiers de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse sont très fortement amputés. Le projet de 11e programme, qui doit couvrir la période 2019-2024, risque en effet de voir ses capacités d’intervention diminuer de près de 25 % par rapport au programme précédent. » Détails ici.
  • Entretien avec François Sauvadet, publié le 7 décembre 2017 :

François Sauvadet préside le conseil général de Côte-d’Or. Il est également président du Comité de bassin Seine-Normandie.

François Sauvadet.

Reporterre — Mi-novembre, le conseil d’administration de l’Agence de l’eau Seine-Normandie a rejeté son projet de budget. Pourquoi ?

François Sauvadet — Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous avons décidé un tel rejet, mais la situation est vraiment préoccupante. Le projet de loi de finances 2018 prévoit des prélèvements d’une ampleur sans précédent dans le budget des agences de l’eau, alors même qu’il nous demande de faire plus. C’est pourquoi les administrateurs de l’Agence de l’eau Seine-Normandie, dont je fais partie, n’ont pas voulu approuver leur projet de budget [lire l’encadré plus bas pour comprendre comment fonctionne le budget des agences de l’eau]. Ils ont souhaité protester contre le pillage des moyens de la politique de l’eau au profit du budget général de l’Etat.

Ce rejet est un message d’alerte, une protestation. L’État doit prendre ses responsabilités. Il ne peut pas fixer des objectifs ambitieux — la reconquête de la biodiversité, l’adaptation au changement climatique, le bon état de 100 % des masses d’eau en 2027 — et en même temps nous retirer les moyens de la faire. Je ne veux pas que demain les agences soient accusées de ne pas tenir les objectifs alors que le gouvernement nous prive des moyens d’y parvenir. J’assume les engagements pris et les objectifs fixés, mais je n’assume pas les choix budgétaires.

Emmanuel Macron peut bien faire des annonces, promettre des Assises de l’eau : sans moyens financiers, tout ceci restera lettre morte.


Les prélèvements de l’État sur les Agences de l’eau pourraient atteindre 500 millions d’euros, soit une augmentation de plus de 60 %, sans compter la politique de réduction des effectifs. Quelles conséquences, que ne pourrez-vous pas, ou plus, faire ?

Pour le bassin Seine-Normandie, nous allons perdre 20 % de notre capacité d’intervention. Sur six ans, notre budget est amputé de l’équivalent d’une année de programme. Qu’allons-nous faire ? Baisser les aides aux stations d’épuration et à l’assainissement non collectif, ralentir les programmes de rénovation du réseau d’eau, qui est par endroits en très mauvais état.

Mais le plus dur reste à venir. Les changements climatiques font qu’on aura moins d’eau potable, avec des risques de pénurie et une détérioration de la qualité. A horizon 2100, les nappes pourraient baisser de 30 % dans le bassin Seine-Normandie. Mais le dérèglement du climat va également augmenter le risque d’inondations. Comment fait-on face sans moyen ? Le réveil va être brutal. Si demain la région parisienne est submergée — ce qui n’est pas impossible au vu des événements récents, comme celui de Montargis en 2016 —, il faudra que chacun assume ses responsabilités. Je ne veux pas avoir à assumer ces choix gouvernementaux.


D’après vous, qu’est-ce que cette décision dit de la vision du gouvernement quant à la politique de l’eau ?

Cette décision est incompréhensible. Je la comprends d’autant moins qu’on a rencontré Nicolas Hulot plusieurs fois, et que nous sommes d’accord sur les objectifs ! Cela ressemble beaucoup à un passage en force de Bercy, qui a toujours considéré que les redevances de l’eau devaient aller au budget national. Mais cette vision du ministère de l’Économie ne peut conduire qu’à une politique de l’eau inefficace et inéquitable. Le système des agences de bassin (Il y a six agences de l’eau en France) fonctionne bien, elle est même prise en modèle dans d’autres pays. Bercy croit qu’il existe un pactole dans les agences de l’eau, une manne financière à ponctionner : c’est un leurre ! Nous avons des provisions chaque année, certes, mais c’est pour financer des programmes pluriannuels, des projets de long terme.

La recentralisation des redevances que propose le gouvernement, c’est un bond en arrière, c’est voir le futur avec les lunettes du passé.

La répartition territoriale des six agences de l’eau.


La politique de l’eau actuellement en place ne fait pas non plus l’unanimité. Le principe du « pollueur-payeur », par exemple, n’est pas vraiment respecté : comme l’a montré l’ONG UFC-Que choisir, les redevances de l’eau sont payées à près de 90 % par les consommateurs alors que les agriculteurs sont les principaux utilisateurs et pollueurs de la ressource. Quels aménagements pourrait-on faire ?

Qu’attend-t-on de la redevance de l’eau : des résultats ou une taxation punitive ? Le secteur agricole est prêt aux mutations. On arrivera au changement non pas par la punition, mais par l’accompagnement. Par exemple, les redevances permettent de financer des aides à la conversion en agriculture biologique. Sur cet aspect, le mode de gouvernance des agences de l’eau a, là aussi, montré son efficacité : malgré des intérêts contradictoires, consommateurs, agriculteurs, industriels et collectivités se retrouvent autour de la table pour dialoguer et avancer ensemble. Nous devons préserver et renforcer ce système plutôt que de le démanteler !

  • Propos recueillis par Lorène Lavocat

COMMENT FONCTIONNE LE BUDGET DES AGENCES DE L’EAU ?

Les six agences de l’eau sont des établissements publics administratifs de l’État, doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière, sous double tutelle du ministère chargé de l’Environnement et sous celle du ministère chargé des Finances. Elles n’ont aucun pouvoir réglementaire, mais elles exécutent la politique de l’eau décidée par l’État.

Pour ce faire, elles perçoivent des redevances auprès des usagers (redevances de prélèvement, redevances de pollution). Le produit des redevances, sous l’impulsion d’un conseil d’administration qui réunit les différents acteurs du domaine de l’eau (administrations, usagers, collectivités), permet d’apporter des aides financières aux actions d’intérêt commun, qui contribuent à lutter contre la pollution et à gérer la ressource en eau et les milieux aquatiques.

C’est le principe de « l’eau paie l’eau »  : les agences de l’eau perçoivent des redevances qu’elles redistribuent sous forme d’aides. En 2012, selon les bassins, 80 à 90 % des recettes de redevances proviennent de la facture d’eau.

Les agences de l’eau disposent donc d’un budget propre, qu’elles gèrent de manière autonome, mais que l’État peut ponctionner, ce qu’il a donc décidé de faire en 2018.

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