Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Alimentation

Inflation : 9 millions de Français ne peuvent plus manger sainement

Il manque 65 euros aux familles précaires de quatre personnes pour s’acheter le panier moyen de produits sains et variés imaginé par Familles rurales.

L’inflation empêche les foyers les plus modestes d’avoir accès à une alimentation saine, selon l’association Familles rurales. Elle réclame un chèque alimentaire de 65 euros par mois.

À cause de l’augmentation des prix, les personnes les plus précaires n’ont pas accès à une alimentation saine. Voilà le constat de l’Observatoire des prix, publié par l’association Familles rurales le 22 février.

Chaque année, l’organisation se rend dans différentes surfaces de ventes (hypermarchés, supermarchés, magasins bio…) et étudie rigoureusement l’évolution des prix. Pour cela, elle constitue un « panier type » mensuel de produits « sains » et « variés » — d’après les recommandations du Plan national nutrition santé (PNNS) du gouvernement. Au menu : des fruits et légumes de saison, des fruits à coque sans sel ajouté, des légumineuses, des produits céréaliers complets (pain, pâtes, riz…), des produits laitiers, du poisson frais, plusieurs pièces de viande…

En 2022, pour une famille de quatre personnes, le prix moyen de ce panier mensuel s’élevait à 734 euros pour les premiers prix ; 814 euros pour les marques nationales ; et 1 179 euros pour les produits bio.

En variant un peu moins le nombre de produits, mais en respectant le PNNS et le cycle des saisons, le prix moyen tombait à environ 477 euros par mois. D’après les dernières données de l’Insee [1], les 9 millions de personnes vivant au niveau et sous le seuil de pauvreté consacrent en moyenne 413 euros de leur budget mensuel à l’alimentation. Il leur manque donc 65 euros pour s’acheter ce panier moyen imaginé par l’association.

Du « bon sens »

« Même avec la meilleure volonté du monde, ces familles-là n’ont donc pas la ressource suffisante pour suivre les recommandations du PNNS », résume Nadia Ziane, directrice du département consommation pour Familles rurales. La situation empire en Outre-mer : le même panier de produits y coûte près de deux fois plus cher que dans l’Hexagone.

« Il y a un vrai constat de l’alimentation comme marqueur d’inégalité, confirme Pauline Scherer, sociologue spécialiste des questions de précarité et d’alimentation durable. En fonction des moyens que l’on a, du quartier où l’on habite, de notre capital social, culturel, éducatif, de paramètres plus émotionnels et psychologiques, on ne va pas avoir le même rapport à l’alimentation, et surtout on ne va pas avoir accès à la même chose. »

L’association Familles rurales a donc adressé une lettre ouverte à François Braun, ministre de la Santé et de la prévention, en lui demandant de mettre en place une allocation mensuelle de 65 euros à destination des personnes les plus pauvres. Une politique qui représenterait 7,2 milliards chaque année. « Il s’agirait plus d’un investissement que d’une charge, défend Nadia Ziane. Chaque année, notre assurance maladie dépense — juste pour l’obésité et le surpoids — plus de 20 milliards d’euros en soignant des pathologies qu’on aurait pu éviter, en s’alimentant plus sainement. »

Avec l’inflation, le prix des fruits et légumes a augmenté de 10,7 %. Flickr/CC BY-NC 2.0/Or Hiltch

Une enquête publiée le 20 février, menée par l’Inserm, la Ligue contre l’obésité et le CHU de Montpellier, a justement révélé que près de un Français sur deux se trouve en surpoids. 17 % de la population souffre même d’obésité. Selon l’association Familles rurales, face à ces chiffres de santé publique alarmants, et aux coûts qu’ils représentent pour l’État, ce serait donc du « bon sens » de permettre à toutes et tous un accès à une meilleure alimentation.

Une hausse des prix contenue pour les produits sains

L’augmentation du prix du panier est due à trois postes en particulier : les matières grasses (+12,9 %), les produits céréaliers et féculents (+11,2 %) et les fruits et légumes (+10,7 %). Pour contenir cette hausse, l’association Familles rurales recommande notamment de privilégier certains modes de cuisson (à la vapeur, l’autocuiseur ou en papillotes pour éviter d’utiliser du beurre ou de l’huile) ou certaines protéines. Par exemple, les légumineuses — comme les lentilles — garantissent un apport en protéines similaires à la viande, et elles sont moins chères (leur prix n’a augmenté « que » de 3,8 %, contre 6,5 % pour la viande).

Nadia Ziane insiste : si un foyer doit faire des arbitrages, « le premier doit être de retirer des paniers les produits ultratransformés au profit de produits sains ». « Quand on isole les seuls produits recommandés par le PNNS, on constate une augmentation de prix de “seulement” 8,3 %, contre 12 % d’inflation annuelle sur tous les produits alimentaires », détaille la salariée de Familles rurales. En effet, les produits « meilleurs pour la santé » sont globalement des produits bruts, peu transformés, qui demandent peu d’intermédiaires — d’où la différence de prix avec les produits ultratransformés.

La sociologue Pauline Scherer nuance toutefois : même si le prix des fruits et légumes augmente moins que le reste des produits alimentaires, ils sont toujours perçus comme chers par certaines personnes précaires, et ne sont pas forcément accessibles partout. « Ce n’est pas qu’une question de produits, précise-t-elle. Il faut aussi que les gens aient le temps de cuisiner, qu’ils soient équipés pour le faire, pour transformer les produits, les stocker, qu’ils aient un congélateur éventuellement… »

Un grand plan de l’alimentation

En plus d’une enveloppe de 65 euros par mois, l’association réclame également à l’État « un grand plan global, qui embarque l’ensemble des consommateurs pour leur expliquer les effets et les méfaits d’une alimentation inadaptée ». « Assez peu de personnes mesurent que ne pas mettre cinq portions de fruits et légumes dans notre assiette est déterminant pour notre santé d’aujourd’hui et de demain », avance Nadia Ziane. Même si cette recommandation est connue du grand public, dans les faits, elle est peu suivie. D’après une étude du Crédoc [2] publiée en 2019, seuls 32 % des adultes et 10 % des enfants mangent réellement cinq fruits et légumes par jour.

« La nutrition est une porte d’entrée intéressante, mais elle est insuffisante, estime de son côté Pauline Scherer. On ne peut pas juste dire aux plus précaires “vous pouvez changer vos pratiques alimentaires et faire des économies en mangeant plus sain et plus durable”. Il y a un enjeu de transition pour toute la population, aussi pour les classes moyennes et supérieures. Il faut que ça redevienne un enjeu commun. » La sociologue plaide donc pour un « vrai travail démocratique » sur notre alimentation : comment veut-on qu’elle soit produite ? Transformée, distribuée, consommée ? Le tout, en prenant en compte les dimensions d’accessibilité, d’économie, de santé, d’environnement, et la « nécessaire transition des pratiques agricoles » ?

Des actions concrètes sont d’autant plus urgentes que des négociations sont en cours entre les fournisseurs de l’industrie agroalimentaire et les grandes surfaces. Les industriels, dont les coûts de production explosent (matières premières, énergie, etc.), réclament l’application de nouveaux tarifs, laissant craindre une nouvelle explosion des prix pour les consommateurs à partir du mois de mars. Et donc, des millions de personnes qui devront encore rogner sur leur budget.

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende