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ReportageSéries d’été 2022

Je ne savais pas (du tout) bricoler : j’ai testé un chantier participatif

Prendre part à un chantier collectif quand on n’a aucune compétence de bricolage, est-ce vraiment possible ? Notre journaliste a tenté l’expérience, et a été agréablement surprise. [SÉRIE 2/4]

Vous lisez la seconde partie de notre série « Le chemin de l’autonomie ». La première est ici, la troisième ici et la dernière .



Le Havre (Seine-Maritime), reportage

Cela fait quelques mois que je me demande ce que je ferais si notre modèle de civilisation s’effondrait demain. Si, brusquement, il n’y avait plus de magasins où acheter mes légumes et mon papier toilette. S’il n’y avait plus d’électricité au bout de l’interrupteur, ni d’eau au robinet. Qu’est-ce que je deviendrais ? Je sais à peine réparer mon vélo seule, alors comment pourrais-je me nourrir, m’abreuver, m’abriter, si tout ce que je connais disparaissait ?

C’est une inquiétude diffuse, une crainte qui me serre le ventre parfois — particulièrement à une époque où des pandémies et des guerres bouleversent nos modes de production et d’approvisionnement. Alors quand, à la rédaction de Reporterre, nous avons décidé de publier une série d’été sur l’autonomie, je me suis dit que c’était peut-être l’opportunité que j’attendais. Et si j’apprenais enfin à être plus indépendante, en m’inscrivant à un chantier participatif ?

Aussitôt dit, aussitôt fait : me voilà à parcourir le web à la recherche d’annonces. Je découvre qu’il existe des chantiers partout en France, qu’ils sont gratuits, et qu’un hébergement est souvent mis à disposition des bénévoles. Cet été, un « appel pour des reprises de savoirs » a même été lancé par des activistes, des chercheurs et des enseignants (entre autres) pour organiser un maximum de chantiers collectifs et retrouver « une autonomie politique et matérielle ». Pile ce que je cherche.

Transformer un hangar en tiers lieu écolo

J’épluche les propositions : besoin d’aide pour construire un fournil de récup’ dans les Pyrénées-Atlantiques, creuser une mare à grenouilles à Dijon, rénover un hangar au Havre... Mon attention se porte sur cette dernière annonce. Il reste de la place, les dates me conviennent. Banco. J’envoie un courriel aux organisateurs, en insistant bien : je n’ai aucune expérience. On me répond que ce n’est pas nécessaire et que je suis la bienvenue. Je ne suis pas très rassurée, mais allons-y.

Des participants au chantier en train d’appliquer l’enduit de finition (notre journaliste est la deuxième à gauche). © Hangar Zéro

Une semaine plus tard, je débarque à la gare du Havre pour trois jours de chantier. Frédéric, architecte et animateur du chantier participatif, m’accueille et m’emmène dans le quartier des docks découvrir le fameux Hangar Zéro [1]. Là, le grand entrepôt aux briques rouges fait face au canal. Quelques goélands le survolent.

Frédéric m’explique qu’en 2016, des habitants se sont réunis pour fonder l’association LH-Ø (devenue une coopérative en 2019) et investir cet ancien hangar de stockage. Le but : le transformer en un lieu ouvert à tous, « un laboratoire citoyen de la rupture écologique ». « À terme, il y aura une ressourcerie, des ateliers partagés pour aider les gens à réparer leurs objets du quotidien », développe Frédéric. Ainsi qu’un potager, une salle de documentation, un restaurant, une boutique et des bureaux. « On veut que les gens du quartier s’approprient le lieu, on ne veut pas faire un truc de bobos hors-sol », précise Brice, ingénieur impliqué dans le projet.

Des participants au chantier en train de préparer l’enduit de corps. © Hangar Zéro

Je pénètre dans l’ancien dock à café. Échafaudages, escabeaux, tréteaux, outils… Chaque recoin, chaque étage du hangar est occupé. « Depuis trois ans, on construit quasiment tout en chantier participatif, en privilégiant les matériaux de réemploi », m’informe Frédéric. Toutes les semaines, des dizaines de bénévoles, du Havre et d’ailleurs, viennent mettre la main à la pâte pour transformer peu à peu l’endroit. Et ainsi, concevoir collectivement le futur lieu de vie.

Peur de mal faire

C’est à mon tour : j’enfile gants et chaussures de sécurité. Pour mon premier jour, je me retrouve à l’atelier enduit. La recette du mélange de base est simple : de la terre (récupérée sur un chantier à quelques kilomètres de là), de la sciure de bois (en partie prélevée sur le hangar, en partie obtenue chez un négociant de bois) et de l’eau de pluie. Me voilà donc à creuser, collecter la terre, la tamiser, et apprivoiser le malaxeur.

Je ne suis pas très à l’aise avec la machine, j’ai peur de mal faire. Mais au bout de quelques essais, je me détends. C’est vrai que ce n’est pas si compliqué. « C’est aussi ça le but des chantiers participatifs, m’indique Frédéric. Montrer des choses simples, qu’on peut faire partout, avec des matériaux qu’on trouve partout. Quand on réalise ça, on se rend compte qu’il n’y a pas besoin de construire autrement. »

Des participants au chantier en train de préparer l’enduit de finition. © Hangar Zéro

Il est l’heure d’appliquer le mélange sur une partie des murs, au premier étage du hangar. Avec moi : Jeanne, architecte venue de Rouen pour la journée, et Irène, qui vient de finir une formation d’enduits de terre à Albi. Autant dire que je n’ai pas le même niveau. Patiente, Irène nous montre comment utiliser les outils, comment se placer, les gestes à éviter. « Étalez bien la matière », nous répète-t-elle. Mon appréhension se dissipe, et j’applique de plus en plus facilement l’enduit. Certes, ce n’est pas parfait, mais je constate avec satisfaction que je m’améliore. Mes gestes se font moins brusques, mon corps s’habitue.

Transmission de savoir-faire

Pendant mon séjour, le schéma se répète : je me dis que je ne vais pas y arriver, que je suis nulle, puis les autres participants me montrent comment faire, sans me prendre pour une idiote, et j’y arrive. Mieux : une fois que je comprends, je peux enseigner (avec fierté, soyons honnêtes) aux nouveaux arrivants. Les savoir-faire se transmettent.

En l’espace de trois jours, j’apprends donc à enduire des murs et à isoler des parois [2]. Au Hangar Zéro, ce qu’il reste à accomplir paraît immense : il y a encore tellement de travaux à réaliser. Mais en discutant avec d’autres participants, on en vient à se dire que ce n’est pas le dernier coup de pinceau le plus important. C’est ce qu’on vit maintenant. Les techniques qu’on apprend, les liens qu’on tisse avec les gens.

Alors même si je ne sais toujours pas comment je me débrouillerais si notre société s’effondrait demain, je me sens déjà moins angoissée. J’ai compris que je ne suis pas plus bête qu’une autre, et que je suis capable de créer, de construire. Donc, contre toute attente, il est bien possible que vous me revoyiez prochainement sur un chantier.



Se nourrir, construire une maison, se vêtir… autant de besoins vitaux qu’on ne sait plus, généralement, satisfaire seuls. On ne sait plus jardiner, monter une charpente, coudre, tricoter, etc. On achète, on consomme, on fait faire. Mais bonne nouvelle : on peut y remédier !

Il est possible de retrouver une forme d’autonomie, d’émancipation. Et Reporterre vous l’a raconté du 8 au 12 août, dans cette troisième série d’été. Au programme : du bricolage entre femmes, un chantier participatif, une cueillette sauvage et l’éloge de la lenteur.

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