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Agriculture

L’« écoscore », une étiquette environnementale qui pourrait favoriser la nourriture industrielle

Les aliments pourraient bientôt avoir eux aussi une étiquette environnementale, dite « écoscore ». Mais pour l’instant, la méthode choisie a tendance à privilégier les produits issus de l’agriculture intensive, qui pourraient être ainsi mieux notés que le bio.

Si on vous propose de noter le coût écologique des produits alimentaires, quelle couleur attribueriez-vous aux œufs de poule en cage, ou à une pomme bio ? Spontanément, on pourrait penser que l’étiquette des premiers serait dans le rouge, alors que le fruit bio bénéficierait d’une notation tirant vers le vert.

L’inverse pourrait pourtant advenir ! Jeudi 17 décembre, plusieurs organisations représentant la filière bio et paysanne ainsi que des associations environnementales et de consommateurs [1] ont tiré la sonnette d’alarme. La loi sur l’économie circulaire prévoit que les produits agricoles et alimentaires devront afficher sur l’étiquette un « écoscore » — comprenez un affichage du coût environnemental, sur le modèle du nutriscore — fin 2021. Mais les associations craignent que celui-ci induise en erreur le consommateur.

« Mieux informer les consommateurs sur l’impact environnemental des produits est une excellente initiative », écrivent les organisations dans un communiqué commun. « Encore faut-il que la méthode utilisée intègre tous les critères de durabilité ! » En effet, cet écoscore se fonde sur des calculs se référant essentiellement au rendement : plus votre poule pondra d’œufs tout en consommant moins d’aliments et en occupant moins de place, mieux le produit sera noté. Résultat : les œufs de poule en cage obtiennent pour l’instant une meilleure notation. De même qu’une pomme ayant poussé dans un verger où les arbres, serrés, irrigués et traités produisent abondance de fruits calibrés. Ou un poulet qui a été rapidement abattu face à un poulet à croissance lente élevé en plein air, qui, ayant vécu plus longtemps, a consommé plus de ressources, et donc écope d’une mauvaise note.

Limites de la méthode de l’analyse du cycle de vie

Pour en arriver là, cet écoscore — encore en phase de développement — s’appuie sur la base de données Agribalyse, visant à évaluer les conséquences de notre assiette sur l’environnement. De la brique de lait à la barre chocolatée, 2.500 produits y sont analysés. C’est le fruit d’un gros travail d’experts et de scientifiques de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement).

L’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab) a analysé dans le détail cette base de données. « Les produits extensifs et bio reçoivent des scores d’impact environnemental défavorables par rapport aux produits conventionnels et intensifs », concluait-il après analyse. Il relevait « des limites et des failles dans la base de données Agribalyse » et alertait « sur les conclusions erronées qui peuvent découler de son utilisation pour l’évaluation environnementale des produits agricoles et l’affichage environnemental des produits alimentaires ».

L’écoscore affichera le coût environnemental d’un aliment sur le modèle du nutriscore, qui évalue sa qualité sanitaire.

C’est que cette base de données utilise, pour évaluer l’effet environnemental des produits, la méthode de l’analyse du cycle de vie (ACV). Un choix qui donne des « résultats aberrants », n’hésite pas à affirmer l’Itab, qui en dénonce les biais :

  • Les effets étant rapportés au kilogramme ou au litre de produit, l’analyse du cycle de vie « privilégie par construction les systèmes d’agriculture intensive, qui génèrent des rendements plus élevés (…), et pénalisent les systèmes extensifs, bio » ;
  • Elle « ignore certains impacts environnementaux négatifs majeurs, en particulier les impacts des pesticides (…) et des antibiotiques (…), les enjeux liés à l’effondrement de la biodiversité et les impacts sur la qualité des sols ».
  • Elle ignore aussi les conséquences positives de certains choix agricoles, par exemple le fait qu’une prairie diversifiée va stocker du carbone, ou que les haies favorisent la biodiversité.

L’Inrae lui-même a constaté les limites de cette méthode, et en mars dernier, relayait déjà le travail de trois chercheurs qui concluait que « la méthodologie et les pratiques actuelles d’ACV ne sont tout simplement pas suffisantes pour évaluer les systèmes agroécologiques tels que l’agriculture biologique. Il faut donc améliorer l’ACV et l’intégrer à d’autres méthodes d’évaluation environnementale pour obtenir une image plus équilibrée et éclairer aux mieux les décisions politiques. »

« L’intérêt de cette méthode est de prendre en compte toutes les phases de production et transformation d’un aliment. Mais il est clairement reconnu que la méthode des ACV ne couvre pas tous les enjeux environnementaux du secteur et ne peut constituer une méthode à elle seule pour caractériser l’aliment », tempère Jérôme Mousset, chef de service à l’Ademe. « Des travaux sont en cours pour mieux prendre en compte les bénéfices sur la biodiversité, ou l’impact des produits phytosanitaires. »

« Ces données ne rendent pas compte du bénéfice des pratiques culturales ou d’élevage extensives » 

« Les limites de l’outil ACV sont connues, il doit donc y avoir un vrai débat. Car le choix de la méthode pour évaluer le coût environnemental des produits a des conséquences sur le modèle agricole que l’on promeut », avertit Charles Pernin, délégué général du Synabio, syndicat des entreprises du bio.

« On défend un modèle agricole qui préserve l’environnement, la biodiversité, diminue les gaz à effet de serre, demande plus de paysans et moins de grandes fermes », dit de même Cécile Claveirol, secrétaire nationale de France Nature Environnement. « On n’a pas envie de se retrouver avec un écoscore qui donnerait une bonne note au poulet élevé industriellement. On veut que le consommateur ait la bonne information ! »

Sollicité par Reporterre, le ministère de la Transition écologique nous a expliqué que les associations réagissaient à « une interprétation erronée de données d’impacts environnementaux présentes dans la base de données Agribalyse », car « l’Ademe et l’Inrae précisent bien que ces données ne rendent pas compte du bénéfice des pratiques culturales ou d’élevage extensives. »

Mais outre l’écoscore, Agribalyse, déjà en ligne, peut servir à d’autres usages. « Les applications nutritionnelles apprécient beaucoup ce type de bases de données, et pas plus tard que ce matin, on a trouvé un article du Progrès qui l’utilise pour évaluer le coût environnemental du repas de Noël », dit Charles Pernin. Les organisations craignent donc que les données d’Agribalyse soient utilisées par « certains acteurs de l’agroalimentaire (...) à des fins de greenwashing (écoblanchiment). »

Pour exposer ces préoccupations, un courrier aux ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture, ainsi qu’à l’Ademe et à l’Inrae, a été envoyé en novembre. « On n’a eu aucun retour », regrette Charles Pernin. « On en est les premiers étonnés. » Comme des réunions sur l’écoscore sont à venir, les associations espèrent encore pouvoir le faire évoluer dans les mois qui viennent.

À entendre Jérôme Mousset, cela devrait être le cas : « Il n’est pas envisagé d’utiliser uniquement Agribalyse pour faire de l’information grand public. Les groupes de travail et le conseil scientifique qui travaillent sur l’affichage environnemental recommandent d’ailleurs dès maintenant de l’associer à d’autres indicateurs. »

Le ministère de la Transition écologique, lui, se veut rassurant. Il précise que l’expérimentation n’est pas terminée, vise justement à améliorer l’écoscore et que le but reste de favoriser « les produits issus de modèles bénéfiques pour l’environnement soutenus dans le cadre des politiques publiques actuelles, notamment le label bio et les élevages extensifs ». Pour savoir si c’est le cas, rendez-vous en octobre 2021, à la fin du processus d’expérimentation.

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