L’élanion blanc, cet oiseau qui profite du réchauffement climatique

L'élanion blanc (ici en Charente-Maritime) a su s'adapter au réchauffement climatique. - © Nidal Issa
L'élanion blanc (ici en Charente-Maritime) a su s'adapter au réchauffement climatique. - © Nidal Issa
L’élanion blanc niche en France depuis 1990 et s’y porte très bien. L’expansion de cet oiseau est en partie liée au changement climatique.
Il existe un oiseau en France qui profite du changement climatique. Ironie du sort, il vit dans les milieux agricoles, ceux-là même où la biodiversité s’effondre — les oiseaux spécialistes de ces milieux ont perdu 43 % de leurs effectifs en quarante ans. L’élanion blanc (Elanus caeruleus) est un élégant petit rapace d’une trentaine de centimètres. Gros comme un faucon crécerelle, au plumage blanc, noir et gris, il n’a pour seule fantaisie que la couleur de ses yeux, rouge vif. « C’est une jolie espèce, facile à voir, explique Étienne Debenest, coordinateur des suivis au Groupe ornithologique des Deux-Sèvres. Souvent, l’hiver, il fait des dortoirs communs, on peut observer 30 ou 40 élanions ensemble sur une haie. »
L’élanion vient des savanes et semi-déserts d’Afrique du Nord. Il s’est installé en péninsule ibérique au milieu du XXe siècle. Puis, il a franchi les Pyrénées, et niché pour la première fois en France dans les Landes en 1990. Depuis, en vingt ans, sa population a été multipliée par cinquante. Une augmentation des effectifs qui a atteint 300 % entre 2016 et 2020, selon les chiffres avancés par l’ingénieur écologue et ornithologue Nidal Issa. En 2000, 15 à 20 couples nichaient dans le bassin aquitain ; 200 à 300 en 2020. Cette spectaculaire augmentation est constatée ailleurs en France, dans l’Ouest notamment. Entre 2020 et 2022, la Charente-Maritime est passée de 3 à 30 couples, et les Deux-Sèvres de 4 à 37 couples. Dans les Pays de la Loire, la population explose, passant de 21 à plus de 150 couples.
« Ce qui est remarquable, c’est la rapidité de la dynamique de population », s’exclame l’écologue, qui avance pour 2023 une « fourchette prudente » de 500 à 1 000 couples d’élanions blancs en France. Il se porte aussi comme un charme au Moyen-Orient, où une dynamique simultanée est constatée. En Israël, la population est passée de 1 à 150 couples en cinq ans.

Facilité d’adaptation
Plusieurs caractéristiques de l’oiseau expliquent cette croissance. Sa productivité, entre autres. L’élanion blanc est capable de nicher dès l’âge de six mois, il peut se reproduire toute l’année, et accueille quatre à cinq nichées de trois à cinq jeunes par an. Un cas unique parmi les rapaces en France. Il est aussi capable de s’adapter à des habitats très différents. « Tout milieu ouvert, avec des arbres et des haies, est favorable, à la condition principale de la disponibilité en ressource alimentaire, décrit Nidal Issa. Il occupe à la fois les zones d’agriculture intensive avec des monocultures de céréales, où il persiste quelques friches, et les bocages dégradés ou bien conservés. »
En France, l’élanion blanc tire aussi profit de sa spécialisation dans le campagnol des champs. Une espèce commune, y compris dans les zones d’agriculture intensive. « Une partie de sa colonisation a lieu là où le campagnol est abondant, et réalise des cycles de pullulation tous les trois ans », précise Vincent Bretagnolle, chercheur en écologie au CNRS de Chizé (Deux-Sèvres) et spécialiste des liens entre agriculture et biodiversité. Les années de pullulation de sa proie, le petit rapace se régale et prospère ; les années de déclin, ses capacités d’adaptation lui permettent de se débrouiller en se nourrissant de gros insectes, voire en arrêtant de nicher.

Mais d’autres facteurs pourraient expliquer l’explosion des populations d’élanion blanc ces dernières années. En Espagne, le petit rapace aurait tiré avantage des profonds changements agricoles intervenus dans la seconde moitié du XXe siècle. Le paysage, à l’origine composé de forêts claires, a été transformé en des paysages « se rapprochant de la savane africaine » particulièrement favorables à cet oiseau, décrit Vincent Bretagnolle. Par ailleurs, « l’augmentation de la production de luzerne irriguée en hiver a eu pour conséquence l’apparition de populations cycliques de campagnols là où il n’y en avait pas ». Une aubaine pour l’élanion, qui a très vite investi cette niche écologique vacante et s’est adapté à ces nouvelles proies.
Hausse des températures
En France, les raisons de l’essor spectaculaire du petit rapace ces vingt dernières années sont plus difficiles à cerner. Celui-ci a eu lieu bien après les remembrements et autres bouleversements agricoles qui se sont déroulés à la même époque en France et en Espagne. Par ailleurs, « en France, les habitats étaient déjà favorables avant », note Nidal Issa. Le succès de l’élanion blanc dans l’Hexagone pourrait donc plutôt être lié à la hausse des températures, qui a ouvert de nouveaux horizons à ce nomade aux capacités d’adaptation et de reproduction hors du commun.
« Le changement climatique a permis à cette espèce thermophile [qui aime la chaleur] de franchir un palier écologique, et de s’implanter dans des endroits où elle ne le pouvait pas auparavant », explique Vincent Bretagnolle. En particulier, des périodes de météo clémente plus longues et plus fréquentes tout au long de l’année faciliteraient sa reproduction. Côté alimentation, comme les campagnols aiment « les hivers secs et pas trop froids, avec une végétation qui démarre plus tôt », tels que les décrit l’écologue, la nourriture favorite de l’élanion blanc reste disponible tout au long de l’année.

Le chercheur insiste, « on a affaire à une expansion fulgurante, c’est unique ». Bien que l’élanion soit « un chasseur exceptionnel, extraordinairement efficace, avec un taux de capture spectaculaire », cette expansion semble sans impact sur le reste de la faune. « Globalement, il y a une bonne cohabitation avec les autres espèces qui ont le même régime alimentaire, comme les busards ou les faucons crécerelles », confirme Nidal Issa. « Il peut y avoir de la concurrence alimentaire les années où il y a peu de campagnols, car l’élanion est plus efficace, tempère Vincent Bretagnolle, mais on n’est pas à un niveau d’abondance où l’on peut envisager une compétition sérieuse. » Seuls freins : les collisions avec les voitures, parce qu’il chasse souvent dans l’herbe près des routes, et les empoisonnements, intentionnels ou non.
Sinon, rien ne s’oppose à l’élanion, qui devrait continuer sa progression dans les prochaines années. « C’est un modèle d’étude passionnant et désarmant pour les scientifiques, conclut Nidal Issa. Peut-être les deux populations, d’Afrique et du Moyen-Orient, vont-elles se rejoindre un jour dans le sud de l’Europe. »