L’extrême droite, une menace pour les médias : les cas de la Hongrie et la Pologne

En Hongrie, la dernière radio indépendante Klubradio a perdu sa fréquence en 2021. Ici, une manifestation de soutien en 2012. - © AFP/Ferenc Isza
En Hongrie, la dernière radio indépendante Klubradio a perdu sa fréquence en 2021. Ici, une manifestation de soutien en 2012. - © AFP/Ferenc Isza
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Libertés Europe MédiasLes médias seront-ils libres en cas de victoire de Marine Le Pen à la présidentielle ? L’exemple de la Hongrie et de la Pologne donne un aperçu de la réponse : ces dirigeants proches de l’extrême droite y ont affaibli la presse. Et la candidate du RN pourrait s’en inspirer.
Varsovie (Pologne), correspondance
« Quand le peuple vote, le peuple gagne ! » Le 3 avril dernier, Marine Le Pen n’a pas attendu pour féliciter Viktor Orbán. À l’issue des élections législatives en Hongrie, l’homme fort de Budapest a triomphé avec plus de 53 % des voix, remportant un quatrième mandat d’affilée. Une aubaine pour la candidate du Rassemblement national (RN), qui entretient une relation de connivence avec le Premier ministre hongrois.
C’est que M. Orbán, au pouvoir sans interruption depuis 2010, s’est transformé en inspirateur de l’extrême droite européenne. Accusé de saper les contre-pouvoirs démocratiques, il est devenu la bête noire de l’Union européenne. Le chantre de la « démocratie illibérale » — un terme vague dont s’affuble lui-même le dirigeant national-populiste —, a multiplié en Hongrie les atteintes à l’encontre de la société civile, de l’État de droit et des minorités. Sans parler du droit d’asile, lui aussi foulé du pied.
En Hongrie, des médias muselés
Marine Le Pen se fera-t-elle l’émule de l’autocrate magyar, en cas de victoire présidentielle le 24 avril ? Beaucoup le redoutent, à commencer par les défenseurs de la liberté de la presse. Car en douze ans, Viktor Orbán s’est aussi attelé à démanteler l’indépendance des médias.
Depuis 2010, la Hongrie a chuté de 69 places dans le classement mondial pour la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), et se positionne aujourd’hui au 92e rang sur 180 pays. L’ONG range le dirigeant hongrois dans la catégorie des « prédateurs de la liberté de la presse », aux côtés d’autocrates tels qu’Alexandre Loukachenko (président de la République de Biélorussie), Bachar al-Assad (Syrie) ou encore Vladimir Poutine (Russie), avec qui M. Orbán entretient d’ailleurs une relation de proximité.
Mais pour Marine Le Pen, peu importe. « Viktor Orbán dirige la Hongrie, il faut bien le dire, plutôt bien », a-t-elle déclaré dans un entretien avec la BBC, début février. « Il y a plus de liberté de la presse probablement en Hongrie qu’il n’y en a en l’espèce en France. Il y a beaucoup de journaux hongrois qui disent du mal de M. Orbán », s’est contenté d’affirmer celle qui ambitionne de privatiser France Télévisions.
Press freedom in Hungary : county newspapers have the same (very friendly) interview with Viktor Orbán on their frontpage. (h/t @444hu) pic.twitter.com/6XdtkjwFBS
— Andras Petho (@andraspe) December 24, 2021
Une vision simpliste qui ne résiste toutefois pas à l’épreuve des faits. Certes, il est encore possible de consulter des médias indépendants en Hongrie. Mais ils se raréfient, et les seuls tenant encore debout — presque exclusivement en ligne — luttent pour leur survie, et sont privés de revenus publicitaires étatiques. Au fil des dernières années, c’est près de 80 % du paysage médiatique hongrois qui est tombé entre les mains d’oligarques proches du gouvernement, selon l’observatoire indépendant des médias Mérték.
Mérték note une « mutation des médias de service public en machine de propagande »
Une à une, les stations de radio indépendantes ont dû cesser d’émettre à coup de retraits de licence par le très politisé Conseil des médias hongrois. Le tout, sous prétexte de bévues administratives. Klubradio, la dernière antenne indépendante qui existait jusqu’alors, a par ailleurs perdu sa fréquence en février 2021. Quant à l’audiovisuel public, la télévision publique hongroise MTV s’est transformée en relais de la rhétorique du Fidesz, le parti de Viktor Orbán, qui bénéficie d’une majorité des deux tiers au Parlement. Il en va de même pour ce qui est les quotidiens régionaux et l’agence de presse hongroise.
« Il est frappant de constater que la transformation du système médiatique en Hongrie s’est produite à plusieurs échelles », analyse l’observatoire hongrois Mérték, dans son étude publiée en décembre 2021. Parmi celles-ci, « la mutation des médias de service public en machine de propagande, le bouleversement du pouvoir de marché et l’éviction de nombreux investisseurs professionnels étrangers, ainsi que la complexification du travail journalistique », ces dix dernières années. Un climat ayant poussé « plusieurs rédactions indépendantes à lutter héroïquement pour leur survie », rapporte l’observatoire.
En Pologne, des accents propagandistes
L’autre modèle « illibéral » de Mme Le Pen se trouve à Varsovie, en Pologne, où le parti national-conservateur Droit et Justice (PiS), au pouvoir depuis 2015, est lui aussi accusé d’étouffer le quatrième pouvoir. Mais, contrairement à la Hongrie, les dégâts ne sont pas aussi étendus. Le gouvernement du PiS, faute d’une majorité assez forte et confronté à une société civile plus mobilisée, n’est pas parvenu à faire main basse sur le paysage médiatique polonais.
Une kyrielle de stations radiophoniques ou de quotidiens, tel le journal Gazeta Wyborcza, conservent leur indépendance éditoriale. Ces derniers mois, le pouvoir a tenté à plusieurs reprises de réduire au silence la plus influente chaîne de télévision en Pologne, TVN. Mais sans succès : face à la pression de Washington, il avait dû reculer, l’actionnaire de la chaîne étant l’étasunien Discovery.
Thousands again are on the streets in Poland..and they're waving EU flags. Because that's the Europe we promised : a guarantee of freedom, democracy, rule of law - and you cannot have that without media freedom.#Poland : we hear you. We see you. You are not alone. 🇪🇺 🇵🇱#lexTVN pic.twitter.com/MClL4Prsx2
— Roberta Metsola (@RobertaMetsola) December 19, 2021
Il n’en demeure pas moins qu’en près de sept ans, la Pologne est passée de la 18e à la 64e position du classement de RSF. Une chute qui s’explique avant tout par la prise en main de l’audiovisuel public, noyauté depuis six ans par du personnel fidèle à la parole gouvernementale. Désormais, TVP, la télévision publique, diffuse du contenu aux accents propagandistes, frôlant parfois la caricature. En décembre 2020, le rachat de Polska Press — un géant de la presse régionale — par le groupe énergétique national PKN Orlen, proche du PiS, avait aussi fait grand bruit.
Outre la mise au pas de l’appareil judiciaire, chère à Jarosław Kaczyński, leader polonais dirigeant de facto la Pologne, un des objectifs affichés du PiS est de « repoloniser » les médias privés du pays. Ils seraient, selon le gouvernement polonais, soumis à des intérêts étrangers.
Emmanuel Macron et les médias : une relation tumultueuse
D’après le classement mondial pour la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), la France (34e) reste bien mieux positionnée que la Hongrie (92e) ou la Pologne (64e). Mais cela ne doit pas faire oublier que lors de son mandat, Emmanuel Macron n’a pas épargné les médias :
- Via la loi Sécurité globale, il a tenté d’interdire la diffusion d’images des forces de l’ordre en opération. Une réponse aux vidéos dénonçant les violences policières. La mesure a été retoquée par le Conseil constitutionnel.
- « La couverture des manifestations est devenue un exercice compliqué pour les reporters, confrontés à de nombreux cas de violences policières », note RSF. Les cas de journalistes blessés ou interpellés, et de matériel de reportage saisi sont nombreux. Dernier épisode en date, une journaliste de L’Obs a été verbalisée au soir de l’élection présidentielle alors qu’elle interrogeait des Gilets jaunes.
- Couvrir certains événements, en particulier les actions de désobéissance civile, s’avère plus compliqué. Reporterre en a fait l’expérience. En juin 2020, un de nos journalistes qui suivait une action à l’aéroport d’Orly a passé dix heures en garde à vue. Puis en octobre 2020, l’une de nos journalistes et l’un de nos photographes ont reçu une amende pour avoir suivi une action à Roissy.
- Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a menacé de dissoudre le média révolutionnaire « Nantes révoltée ». Mais il semble que la procédure légale n’ait jamais été entamée.
- RSF dénonce également les convocations de journalistes par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), une pratique pouvant porter atteinte à la protection des sources.
- Enfin, Emmanuel Macron a également, dès le début de son mandat, voulu sélectionner les journalistes le suivant dans ses déplacements. Une pratique qui perdure, puisqu’il a refusé l’entrée de son unique meeting de premier tour à plusieurs médias indépendants, dont Reporterre.