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Politique

La loi Industrie verte rate son virage écolo

Emmanuel Macron présentant sa stratégie pour « accélérer notre réindustrialisation », à l'Élysée, le 11 mai 2023.

Le projet de loi Industrie verte, présenté le 16 mai en Conseil des ministres, entend décarboner notre production et booster l’économie verte. Sans évoquer la sobriété et la biodiversité.

Après la « mère de toutes les réformes », voici la « mère des batailles ». Dans l’espoir de faire oublier la réforme des retraites, Emmanuel Macron investit un nouveau champ, censé être plus consensuel : la réindustrialisation de la France. Le 11 mai, le président a esquissé les grands axes du projet de loi Industrie verte, présenté ce mardi 16 mai en Conseil des ministres.

« Crédit d’impôt industrie verte », refonte du bonus automobile, dépollution des friches, simplification administrative : ces annonces se veulent la riposte à la politique très volontariste, sinon protectionniste, établie par Joe Biden aux États-Unis pour soutenir l’industrie et la transition énergétique.

Du côté des écologistes, les mesures du gouvernement ont été accueillies avec des pincettes. « On partage les objectifs de décarbonation, de verdissement, mais pour le moment on a du mal à voir le sens de cette loi, estime Alain Chabrolle, de France Nature Environnement. Pas sûr qu’elle soutienne, dans l’état actuel, un réel changement des modes de production et de consommation. » Pour Sandrine Bélier, d’Humanité et Biodiversité, « produire nos panneaux solaires en France plutôt que les importer de Chine, c’est une nécessité environnementale, sociale et climatique. Mais attention à ne pas le faire n’importe comment ». Plusieurs points inquiètent particulièrement les organisations.

Industrie verte, gare à l’écoblanchiment !

Dans un avis rendu le 4 mai dernier, le Conseil national de la Transition écologique — qui réunit associations, syndicats, patronat et élus — « s’interroge sur la notion d’industrie verte », qui n’est pas définie dans le projet de loi.

« Sans une définition claire, les dispositifs d’aide et les incitations fiscales pourraient s’appliquer à n’importe quelle entreprise », résume Sandrine Bélier. La porte ouverte au greenwashing. Ainsi, en tapant dans son moteur de recherche le terme « industrie verte », l’écologiste est tombée, parmi les premiers résultats, sur une marque de vodka qui utilise de l’hydrogène pour produire ses bouteilles. Gloups. 

Avec la taxonomie européenne, l’industrie nucléaire pourrait être considérée comme « verte ». Ici, la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire (Cher). Flick/CC BY 2.0/Vincent Desjardins

« Seules les entreprises les plus vertueuses doivent pouvoir bénéficier de ces mesures », précise encore Mme Bélier. Parmi les pistes proposées, celle de l’Organisation des Nations unies (ONU) datée de 2011. Elle définit l’industrie verte comme « l’ensemble de la production et du développement industriels qui ne se fait pas au détriment de la santé des écosystèmes naturels ou des êtres humains ». D’autres organisations ont défendu le recours à la taxonomie européenne pour cadrer les critères de verdissement d’une activité… ce qui aboutirait à considérer l’industrie nucléaire comme « verte ».

Pour le moment, le gouvernement semble tenir un cap plutôt écolo : un temps cités parmi les secteurs potentiellement concernés, les EPR, les semi-conducteurs ou encore la capture et le stockage du carbone n’ont pas été retenus dans la liste des activités éligibles mises en avant par Emmanuel Macron. Reste à voir le texte de loi en détail.

Sobriété et biodiversité, les grandes oubliées

« La réindustrialisation ne saurait être verte par principe », abonde Thomas Uthayakumar, de la Fondation pour la nature et l’Homme (FNH). Dans son viseur : l’absence des termes « biodiversité » ou « eau ». « Le texte parle beaucoup de neutralité carbone, mais n’intègre pas l’ensemble des limites planétaires », regrette-t-il. Le risque serait de soutenir des activités « neutres en carbone » — notamment grâce à la compensation —, mais par ailleurs polluantes ou gourmandes en eau.

« La réindustrialisation ne doit pas se faire au détriment de la biodiversité, précise Sandrine Bélier. Il ne faut pas que l’on réinstalle des industries en bétonnant des terres agricoles ou des espaces naturels. » Le gouvernement les a, semble-t-il, entendu, en donnant la priorité à la réhabilitation des friches. Emmanuel Macron a parlé de 20 000 à 30 000 hectares à dépolluer. Une annonce saluée par les associations.

« Le terme “sobriété” ne figure pas dans le projet de loi, alors qu’il devrait être un fil conducteur », selon Alain Chabrolle. Pxfuel/CC

Il faut cependant aller plus loin, plaide Matthieu Orphelin, de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) : « On pourrait exiger des entreprises qui bénéficient des mesures contenues dans la loi [par exemple le crédit d’impôt] qu’elles rendent publiques leurs engagements sur la biodiversité. Ça pousserait les grands groupes à des actions très concrètes, en termes de formation, de restauration ou d’écoconception. » Cette recommandation — portée à la fois par la LPO et le Medef, fait remarquable — n’est pour le moment pas inscrite dans le texte.

Autre grief, « le terme sobriété ne figure pas dans le projet de loi, alors qu’il devrait être un fil conducteur, déplore Alain Chabrolle. Notre objectif doit être de produire et de consommer moins et mieux, de créer une société de la juste quantité ». Pas sûr que les macronistes, attachés aux concepts de croissance verte et d’« écologie productive », ne l’entendent.

La simplification des procédures, une fausse bonne idée

Pour accélérer la réindustrialisation, Emmanuel Macron souhaite mettre en place « une garantie neuf mois », en divisant par deux les délais d’obtention des permis. « On doit accélérer les implantations industrielles. C’est un élément clé de compétitivité », a affirmé le locataire de l’Élysée.

Pour arriver à ses fins, le gouvernement entend donc créer une nouvelle procédure d’autorisation, au cours de laquelle l’instruction du dossier par les services de l’État se ferait en même temps que la consultation du public — ce qui n’est pas le cas actuellement. Mais les associations craignent que la participation des citoyens ne fasse les frais de cette volonté d’« accélération ».

« On risque de voir se multiplier les modes de consultation et d’information du public par voie numérique, mais c’est oublier que 12 à 18 % de la population peine avec ces outils, alerte Alain Chabrolle. Il ne faut pas de discrimination ! » Même son de cloche à la FNH : « La participation du public est un élément essentiel à favoriser », insiste Thomas Uthayakumar.

« Vouloir accélérer à tout prix et dans tous les cas, ce n’est pas une bonne idée, enchérit Sandrine Bélier. Ce ne sont pas les procédures de consultation qui ont entraîné la désindustrialisation de la France. » Les associatifs rappellent d’ailleurs que les délais d’obtention des autorisations sont aujourd’hui principalement dus aux manques de moyens des services de l’État pour instruire les dossiers.

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