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Mégabassines

La pertinence des mégabassines est sévèrement contestée par des scientifiques

Le collectif Bassines non merci conteste l'expertise réalisée par le BRGM.

Le collectif Bassines non merci a publié un contre-rapport critiquant les résultats du BRGM. Cette étude relance le débat sur l’utilité de ces gigantesques réservoirs d’eau.

Les bassines sont-elles bénéfiques aux nappes phréatiques ? La bataille scientifique fait rage vis-à-vis de ces énormes réservoirs d’eau qui doivent être construits dans le Marais poitevin. Dernier épisode de cette joute entre experts hydrologues : la publication le 30 janvier d’un contre-rapport critiquant une expertise du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) favorable aux bassines.

En juillet dernier, le BRGM publiait les résultats d’une étude qu’il avait réalisée sur commande de la Coopérative de l’eau, instigatrice des seize futures bassines du Marais poitevin. Selon cette étude, les prélèvements hivernaux réalisés pour remplir ces réservoirs n’auraient qu’un impact négligeable sur les nappes phréatiques et les cours d’eau.

À en croire ce document, ils pourraient même améliorer le niveau des nappes au printemps et en été de l’ordre de 6 %. Certaines rivières, comme le Mignon, pourraient avoir un débit estival 40 % supérieur. Des résultats que Thierry Boudaud, le président de la Coop de l’eau, avait qualifié de « sans appel ».

« C’est important de disposer d’une base scientifique solide »

« C’est important de disposer d’une base scientifique solide et d’une connaissance partagée pour faire de la pédagogie et la rendre accessible aux citoyens », avait-il déclaré dans Ouest-France.

Cette base scientifique est aujourd’hui contestée par les collectifs antibassines, dans une contre-expertise effectuée par la géoscientifique Anne-Morwenn Pastier. Cette chercheuse, autrice d’une thèse en hydrologie et géologie, juge l’étude du BRGM « bâclée ; ils ont une façon de présenter les résultats qui n’est pas rigoureuse ».

Elle dénonce plusieurs biais. Tout d’abord, l’outil employé : le modèle des nappes du Jurassique. Il utilise selon elle des algorithmes non pertinents pour analyser les données hydrologiques à une échelle locale. « L’auteur de ce modèle du Jurassique précise qu’il est limité aux grands bassins versants, comme celui de l’ensemble du Marais poitevin. À une échelle plus petite, les résultats ne sont pas pertinents », assure Anne-Morwenn Pastier.

Second biais : la marge d’erreur, estimée à 2 centimètres par le BRGM. Anne-Morwenn Pastier parvient à un tout autre résultat. Elle a comparé les valeurs réelles relevées sur le terrain entre 2000 et 2011 avec les données issues de la simulation : « Si je dois donner une valeur d’incertitude indicative, elle serait entre 1,20 et 2,2 mètres ». Une marge d’erreur bien loin des 2 centimètres du BRGM.

La chercheuse critique également les données concernant la rivière du Mignon : « Lorsqu’ils parlent d’une amélioration du débit à l’étiage [lorsque la rivière est à son niveau le plus bas] de 40 %, cela signifie qu’on passe de 0,3 m³/ seconde à 0,45 m³/seconde. Or, la rivière est considérée à sec en dessous de 0,50 m³/seconde. On aura toujours un lit boueux pour le Mignon, même si la boue sera peut-être plus liquide. »

Le BRGM oublie le réchauffement climatique

Dernier reproche, déjà signalé cet été par le journaliste Stéphane Foucard dans Le Monde : la non prise en considération du réchauffement climatique par le rapport du BRGM« Cela ne faisait pas partie de la demande », explique l’organisme dans un courriel envoyé à Reporterre.

Les épisodes de sécheresse, comme celui de 2022 pointé dans un autre document du BRGM, pourraient-ils avoir des conséquences sur la pertinence de ces futures bassines ? « Tout dépend de la recharge des nappes en période hivernale ; si les pluies sont suffisantes en hiver, les nappes se rechargent et cela permet un soutien des nappes en cas de sécheresse estivale accrue. Par ailleurs et sans subodorer de l’avenir et de l’impact sur les nappes, il est à noter que les modèles climatiques prévoient plus de précipitations qu’actuellement en hiver, mais avec des températures plus élevées », conclut le courriel du BRGM.

Face à de telles différences entre deux rapports scientifiques, comment se faire un avis en tant que néophyte ? « Il est vrai que ce n’est pas facile », concède Anne-Morwenn Pastier. Mais la chercheuse espère que son travail pourra aider les juges lors des futurs recours juridiques des collectifs d’opposants.

D’autant qu’elle est loin d’être la seule scientifique à s’opposer à ces réservoirs d’eau. De nombreux hydrologues et spécialistes des milieux aquatiques ont pris position ces derniers mois. Comme Magali Reghezza, géographe et membre du Haut Conseil pour le climat (HCC) et Florence Habets, directrice de recherche au CNRS en hydrométéorologie, les hydrologues Emma Haziza et Jonathan Schuite, ou encore Christian Amblard, directeur honoraire de recherche au CNRS, spécialiste des écosystèmes aquatiques.

« Penser plutôt en équilibre des milieux »

Au sein du collectif Bassines non merci, un groupe de scientifiques est en train de se constituer. « Nous allons essayer d’inventer un nouveau paradigme scientifique pour aborder autrement les questions agricoles. Par exemple, plutôt que de parler de volumes préalables, pourquoi ne pas penser plutôt en flux et en équilibre des milieux ? » dit Anne-Morwenn Pastier.

La chercheuse espère ainsi mettre ses compétences au service des antibassines, bien loin du milieu universitaire. « Je me permets de faire ce travail aujourd’hui, car j’ai abandonné tout espoir d’obtenir un poste de maître de conférence. Sans quoi je me serais tirée une balle dans le pied, car dans le monde universitaire, mieux vaut ne pas critiquer les grandes institutions. »

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