La rénovation des logements créera 126.000 emplois, assurent des ONG caritatives et écologistes

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Énergie Habitat et urbanismePour lutter contre la précarité énergétique et éradiquer les logements « passoires », six organisations ont défini un programme de réhabilitation des habitations pour un coût de 80 milliards d’euros sur huit ans. Elles cherchent à le faire adopter par les candidats à l’élection présidentielle.
Coup de froid au milieu des courants d’air de son salon, coup de chaud en ouvrant sa facture d’électricité à la fin du mois. La précarité énergétique touche 5,8 millions de ménages en France, dont 2,6 millions vivent dans des "passoires énergétiques", c’est-à-dire des logements énergivores ayant une étiquette énergie F ou G. Face à ce constat accablant, la Fondation Abbé Pierre, le Secours catholique, le Cler, le Réseau action climat (RAC), Soliha et Effy ont lancé l’initiative Rénovons ! mardi 21 février à Paris. Objectif : venir à bout des 7,4 millions de passoires énergétiques en France à l’horizon 2025 et réduire de 41 % le nombre de ménages en situation de précarité énergétique.
Pour y parvenir, les organisations tablent sur 500.000 rénovations en 2017, et une augmentation progressive de l’effort de réhabilitation jusqu’à atteindre 980.000 logements en 2021, en se concentrant systématiquement sur les passoires. Ils comptent actionner tous les leviers déjà existants : subvention à hauteur de 70 % des ménages les plus modestes dans le programme « Habiter mieux » de l’Agence nationale pour l’habitat (Anah), crédit d’impôt pour la transition énergétique (Cite) élargi aux propriétaires bailleurs, écoprêts à taux zéro (éco-PTZ) pour financer le reste à charge… « On peut arriver à une prise en charge à 79 % par l’État pour les ménages les plus modestes, assure Sabine Bardaune, consultante chez Sia Partners. Le reste de la charge serait compris entre 1.300 euros pour les ménages les plus modestes et 13.100 euros pour les propriétaires bailleurs. »
Les organisations évaluent à 80 milliards d’euros le coût total de leur programme, dont 44 milliards seraient financés par les ménages. Des sommes considérables, mais qui seraient intégralement remboursées par les économies d’énergie réalisées, assure Mme Bardaune : « Le retour sur investissement via les économies de la facture de gaz et d’électricité — 512 euros par an en moyenne — se ferait en quatre à huit ans pour les ménages les plus modestes et en douze à dix-huit ans pour les ménages aisés. Contrairement à aujourd’hui, où il faut entre vingt-quatre et trente-quatre ans pour rentabiliser ses travaux. » Quant à l’État, il s’y retrouverait en recettes fiscales liées à la création de 126.000 emplois entre 2017 et 2025 dans la filière de la rénovation énergétique et aux économies entraînées par la baisse des importations de combustibles fossiles.
« Depuis des années, on essaie de montrer l’impact du mal-logement sur la santé – asthme, bronchites, etc. »
Loin d’être sorti de nulle part, ce programme vise à accélérer la mise en œuvre la loi de transition énergétique (LTE) d’août 2015. Outre l’élimination des passoires énergétiques en 2025, le texte prévoit 500.000 rénovations par an dès 2017, en donnant la priorité aux logements occupés par des familles en situation de précarité énergétique (130.000 logements par an). Cela permettrait de réduire la précarité énergétique de 15 % en 2020 par rapport au niveau actuel.
Pour l’instant, c’est mal parti. « Le rythme actuel de rénovation est de 288.000 logements par an, dont 54.000 sont des passoires énergétiques, parmi lesquels seuls 20.000 sont occupés par des ménages en situation de précarité énergétique, regrette Mme Bardaune. Si l’on continue à ce rythme, il restera 6,6 millions de passoires énergétiques en 2025. »

Pourtant, les bénéfices d’un plan de réhabilitation d’ampleur seraient multiples, notamment sur le plan social, insistent les organisations. « Depuis des années, on essaie de montrer l’impact du mal-logement sur la santé – asthme, bronchites, etc. explique Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation abbé Pierre. Par ailleurs, le mal-logement n’est pas qu’un problème de logement, et les solutions qu’on y apporte peuvent résoudre d’autres problèmes : santé, emploi, pouvoir d’achat. » Une constatation partagée par Bernard Thibaud, du Secours catholique : « Le logement est le deuxième poste de dépense de l’organisation après l’alimentation, calcule-t-il. Les coûts du logement et de l’énergie ne font qu’augmenter, ce qui fait que de plus en plus de personnes doivent choisir entre se nourrir et se chauffer. »
Ce programme serait également un outil efficace contre le changement climatique. « Le logement représente 30 % de la consommation électrique et 20 % des émissions françaises de gaz à effet de serre, rappelle Meike Fink, du RAC. Le plan confirme la dimension sociale de la transition énergétique : entre 2017 et 2025, 126.000 emplois seraient créés dans la filière de la rénovation énergétique, et 18.000 emplois supplémentaires grâce au gain de pouvoir d’achat des ménages sortis de la précarité énergétique. « C’est un argument important pour une transition juste », souligne Mme Fink.
« Les ménages en situation de précarité énergétique n’ont pas envie d’en ajouter une couche avec des travaux »
Alors, pourquoi ça bloque ? « On a cru que la LTE serait une prophétie autoréalisatrice, mais ce n’est pas le cas, observe Joël Vormus, directeur adjoint du Cler. Un des problèmes est que les pouvoirs politiques travaillent en silos, pas en coordination. Par ailleurs, ce projet n’est jamais vraiment abordé et discuté dans l’espace public. »
C’est également au niveau du financement que le bât blesse. « Il faut que des financiers et des banques mettent en accompagnement les moyens nécessaires, plaide Xavier de Lannoy, de Soliha. Il est surprenant qu’aujourd’hui l’écoprêt à taux zéro (éco-PTZ) ne trouve pas les moyens d’être mis en œuvre parce qu’il manque aux banque des garanties pour intervenir. » Difficultés similaires du côté du programme « habiter mieux » de l’Agence nationale pour l’habitat (Anah) : « Il est financé par des crédits carbone très volatils », déplore M. de Lannoy.
Il y a également des verrous techniques et psychologiques à desserrer du côté des propriétaires. « Les ménages en situation de précarité énergétique ont souvent d’autres difficultés dans la vie et n’ont pas envie d’en ajouter une couche avec des travaux, souligne Frédéric Utzmann, président de l’entreprise Effy. La puissance publique doit leur envoyer un message fort, leur dire que ce n’est ni très compliqué, ni très cher. »
Pour faire avancer les choses, Danyel Dubreuil, coordinateur du programme Rénovons !, a envoyé une feuille de route aux différents candidats à l’élection présidentielle. « Avec certains effets, se réjouit-il, puisqu’on retrouve le terme “passoire” et le ciblage des ménages en situation de précarité énergétique dans certains programmes, même si les chiffrages sont assez timorés. »