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Culture

La saga française de l’écologie politique

Depuis son entrée dans le paysage politique français en 1974, l’écologie en est devenue un puissant marqueur. C’est une plongée passionnante dans cette histoire que propose Arthur Nazaret dans « Une histoire de l’écologie politique ».

On n’avait pas publié depuis quelques années un livre retraçant l’histoire de l’écologie politique en France, alors qu’elle a fait son apparition il y a près d’un demi-siècle et que les enjeux environnementaux s’imposent dans l’opinion publique. Des biographies ou des autobiographies des principales figures de l’écologie, des récits de campagnes électorales sont disponibles mais pas de synthèse depuis le livre d’Yves Frémion en 2007, Histoire de la révolution écologiste (éd. Hoebeke).

C’est cette lacune que comble l’ouvrage du journaliste Arthur Nazaret, même si l’auteur s’attache davantage à l’histoire des acteurs de l’écologie politique qu’à celle des idées qu’ils portent.

Le défi était d’envergure : les écolos sont des gens foutraques qui n’ont pas la culture des archives. Ils sont pour la conservation des espèces mais guère pour celle des papiers. Dans les sous-sols de l’ancien siège d’Europe Écologie-Les Verts, écrit-il, ne subsistent que « quelques documents entassés destinés à la poussière et à l’oubli ». Quant aux acteurs, si la plupart sont encore vivants, ils sont éparpillés en courants, chapelles, tendances qui ne facilitent pas l’écriture du récit. Sagement, Arthur Nazaret a opté pour une histoire chronologique (malheureusement, sans index des noms cités).

 « Notre mort est au bout de la société de consommation et du gaspillage »

Mais quelle histoire ! Elle donne le tournis. On peut la faire débuter en 1974 lorsqu’une poignée d’écolos protecteurs de la nature, de journalistes et de bobos avant l’heure réussissent à convaincre un agronome tiers-mondiste peu connu en France et plus très jeune d’être candidat à la présidentielle. L’agronome, c’est René Dumont. Il vient de la gauche, pratique le yoga, admire sans trop le dire la Chine de Mao. Et c’est un nouveau converti à l’écologie. Le rapport du Club de Rome, publié deux années auparavant, sur les limites de la croissance dans un monde fini, a dessillé les yeux de celui qu’un journal dépeint comme un « Einstein dégingandé ».

La campagne présidentielle est bordélique et joyeuse. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues. Une baronne balte désœuvrée, un énarque en quête de sens et le photographe Henri Cartier-Bresson viennent offrir leur service en toute discrétion.

René Dumont fait du René Dumont. À l’occasion, il reçoit la presse allongé sur un lit de camp dans la cale de la péniche amarrée sur les berges de la Seine, à Paris, qui sert de quartier général. C’est « le zouave du pont de l’Alma », se moque gentiment Le Canard enchaîné.

Son message est radical. Il milite contre les villes de plus de 100.000 habitants et pour la journée de travail de quatre heures. Parce qu’il est « criminel d’encourager la natalité », il prêche la suppression des allocations familiales après le second enfant et l’augmentation du prix de l’essence. Collapsologue avant l’heure, il prédit que « notre mort est au bout de la société de consommation et du gaspillage ». Au quotidien Le Monde, il confie : « Si nous maintenons le taux d’expansion actuelle de la population et de la production industrielle jusqu’au siècle prochain, ce dernier ne se terminera pas sans l’effondrement total de notre civilisation. »

René Dumont en 1974.

Candidat hors norme, orateur inspiré, bon client des télés et des radios dont il a appris à maîtriser les codes, n’hésitant pas à arpenter l’Hexagone, Dumont s’était fixé comme objectif de dépasser 1 % des suffrages. In fine, il fait mieux, talonne Arlette Laguiller, la banquière de Lutte ouvrière, et laisse derrière lui un certain Jean-Marie Le Pen : l’écologie est entrée dans la vie politique française. L’heure est venue pour elle de se structurer.

De fait, elle va s’enraciner peu à peu dans le paysage tricolore, mais à quel prix ! De René Dumont à Nicolas Hulot (dont démission du gouvernement d’Édouard Philippe clôt le livre) que de combats et de coups bas dans la vaste famille écologiste, d’engagements solennels et de reniements honteux, de petites phrases assassines et de grandes déclarations, de défaites annoncées et de victoires oubliées… Les Verts peuvent se serrer les coudes sur le terrain, lorsqu’il y a un combat à mener de Creys-Malville au Larzac, de Bure à Notre-Dame-des-Landes, mais leurs dirigeants n’ont pas leur pareil pour s’étriper dès lors qu’il s’agit de parler cuisine électorale, de participer ou pas à un gouvernement, de se prononcer sur l’avenir de l’Union européenne… Ils sont les champions toutes catégories des bagarres internes. Parfois, des considérations sentimentales viennent s’y ajouter. D’où des scissions à répétition, des querelles sans fin, des divorces tumultueux, des règlements de compte saignants, des brouilles, des rabibochages.

François de Rugy et Jean-Vincent Placé, tous deux en quête d’un strapontin ministériel

Cette saga aux accents de série télé, Arthur Nazaret la restitue avec brio. Ayant rencontré les acteurs principaux aussi bien que les seconds couteaux (sauf erreur de calcul, il s’est entretenu avec cent-soixante-huit personnes !) il déroule le fil, décrit avec empathie les réunions sans fin, les discussions dans des salles oubliées « avec des quiches aux légumes qui attendent sagement la fin des débats » aussi bien que les duels au sommet de la galaxie verte. Là campent les héros du livre. Et l’on côtoie Brice Lalonde, « l’aristocrate » (dixit Yves Cochet) ; Antoine Waechter, l’homme du ni-ni (ni alliance avec la droite ni avec la gauche), aimablement qualifié de « petit cornichon ambitieux » par Cavanna ; José Bové, l’homme à la pipe, le démonteur de McDo parti en guerre contre les OGM et la « marchandisation du monde » ; Noël Mamère, converti à l’écologie après un compagnonnage contre nature avec Bernard Tapie ; Dominique Voynet, ministre dans le gouvernement Jospin, insupportable mais sachant parler haut et fort et dénoncer « l’industrie nucléaire, les chasseurs, les gros céréaliers » ; Eva Joly, égarée chez les Verts, qui la crucifieront ; Cécile Duflot, « passée de l’esthétisme gauchiste au pragmatisme opportuniste » (selon les mots de Sergio Coronado, un autre écolo) ; Daniel Cohn-Bendit, libéral-libertaire impénitent ; François de Rugy et Jean-Vincent Placé, tous deux en quête d’un strapontin ministériel ; et enfin Nicolas Hulot, passé avec armes et bagages au service d’Emmanuel Macron avant de claquer la porte du gouvernement.

Au terme de cette plongée passionnante dans le monde écolo, que retenir ? Nazaret, hélas, ne propose ni enseignement ni mise en perspective. Pourtant une leçon se dégage : l’environnement est devenu un puissant marqueur de la vie politique française. Aucun parti ne peut plus l’ignorer. De cette évolution, les Verts devraient être les premiers bénéficiaires. Or, ce n’est pas le cas. À certaines élections, ils réalisent de très bons scores (16 % aux européennes de 2008) ; à d’autres, ils font de la figuration, quand ils ne terminent pas au tapis. C’est que leur performance dépend de leur capacité à rassembler, et à se rassembler autour d’une figure emblématique, un tribun incarnant l’écologie politique, ce que le livre montre bien. Ce fut un temps Noël Mamère, puis Daniel Cohn-Bendit. La question est : quel sera le prochain ou la prochaine ?


  • Une histoire de l’écologie politique. De René Dumont à Nicolas Hulot, d’Arthur Nazaret, éditions la Tengo, février 2019, 350 p., 22 €.

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