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EnquêteClimat

Le jour du dépassement, un indicateur efficace mais imprécis

Coupe rase dans le Morvan.

Jeudi 28 juillet, l’humanité a épuisé les ressources que la Terre génère en un an. Calculé par l’ONG Global Footprint Network, ce « jour du dépassement » est-il l’indicateur le plus pertinent pour penser les limites planétaires ?

Cette année, le « jour du dépassement de la Terre » tombe jeudi 28 juillet, annoncent les ONG Global Footprint Network et le Fonds mondial pour la nature (WWF). Cet indicateur, calculé chaque année par le Global Footprint Network, marque la date à laquelle l’humanité a consommé toutes les ressources que la Terre peut générer en un an. Ainsi, durant les cinq mois qui restent à l’année 2022, nous vivrons à crédit, utilisant des ressources que la planète n’est plus en mesure de produire.

Depuis les années 1970, la tendance ne se dément pas : cette date ne cesse d’avancer. En 2022, le jour du dépassement arrive ainsi deux mois plus tôt qu’il y a vingt ans. Les seules accalmies correspondent aux crises économiques (années 1970, 2008) ou sanitaires (en 2020).

L’indicateur a l’avantage de mettre en avant les limites de notre planète, mais aussi le poids démesuré que font peser certains pays sur l’environnement. En France, par exemple, le jour du dépassement a eu lieu le 5 mai. Aux États-Unis, c’était le 13 mars.

Le concept d’empreinte écologique

Dire que le jour du dépassement marque le moment où l’humanité a consommé toutes les ressources que la Terre peut générer en un an, c’est la définition pour le grand public. En réalité, le calcul est plus complexe.

Pour la déterminer, le Global Footprint Network s’appuie sur le concept d’empreinte écologique, créé au début des années 1990 par le chercheur Mathis Wackernagel dans le cadre de sa thèse de doctorat. L’empreinte écologique correspond à « la surface nécessaire pour renouveler les ressources consommées par l’humanité », dit Laetitia Mailhes, porte-parole de l’ONG. Elle « est composée de six catégories de surface : les cultures, le pâturage, les espaces forestiers nécessaires pour les produits forestiers, les zones de pêche, les espaces bâtis et les espaces forestiers nécessaires pour absorber le carbone émis par la combustion d’énergies fossiles ». L’empreinte carbone constitue à elle seule la majeure partie de l’empreinte écologique mondiale (60 %).

L’empreinte écologique de l’humanité, calculée par l’ONG à partir d’un corpus de plus de 15 000 données collectées par les agences des Nations unies, est ensuite rapportée à la « biocapacité » de la planète, c’est-à-dire sa capacité à régénérer des ressources. Pour pouvoir les comparer, ces deux données sont exprimées dans une unité de mesure commune : l’hectare global [1].

Actuellement, l’empreinte écologique mondiale est ainsi supérieure à 21 milliards d’hectares globaux quand la biocapacité est estimée à seulement 12,1 milliards d’hectares globaux, soit 1,6 par personne. Pour aboutir à la date du jour du dépassement, le rapport entre la biocapacité et l’empreinte écologique est multiplié par 365, soit le nombre de jours que comporte une année.

Le principal intérêt de cet indicateur est « qu’il prend en compte toutes les demandes concurrentes de l’humanité sur la nature : sur les ressources mais aussi sur les services écosystémiques tels que l’absorption du carbone, explique Laetitia Mailhes. Cela permet de comprendre que le changement climatique n’est pas le problème mais un symptôme — le plus important — de notre mal. Le problème de fond est écologique. C’est une question d’inadéquation entre les ressources disponibles et les activités humaines ».

« Un super outil de communication »

Si le concept d’empreinte écologique a vu le jour dans les années 1990, le Global Footprint Network a commencé à communiquer sur le jour du dépassement en 2006 seulement. Avant cela, l’ONG créée en 2003 s’exprimait plutôt sur le nombre de planètes nécessaire au maintien de notre mode de vie (1,75 en 2022). « Le message est le même mais nous voulions communiquer au moins une fois par an auprès du grand public. C’était simplement une stratégie de communication », reconnaît Laetitia Mailhes.

« C’est un super outil de communication pour comprendre les limites planétaires », abonde Aurélien Boutaud, chercheur associé à l’UMR environnement-ville-société du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et auteur d’un ouvrage, en 2009, intitulé L’Empreinte écologique (La Découverte). « L’unité de mesure en question, qui correspond à la surface de biosphère nécessaire pour permettre un certain mode de vie, est géniale, elle parle à tout le monde. Instinctivement, on comprend que, des surfaces, il n’y en a pas à l’infini », poursuit le géographe.

Pour autant, cet indice comporte un certain nombre de limites, estime Aurélien Boutaud. D’abord, les statistiques sur lesquelles s’appuie le Global Footprint Network sont plus ou moins fiables selon les pays. « Il faut bien avoir en tête que l’outil statistique d’un pays comme la France n’est pas le même que celui d’un pays plus pauvre ».

Par ailleurs, comme tout outil synthétique, le calcul de l’empreinte écologique cherche à simplifier une information très complexe pour la rendre accessible au plus grand nombre. « On est amené à faire des raccourcis et des hypothèses pas toujours visibles dans le résultat final », juge le chercheur.

« C’est un outil qui reste très anthropocentré »

Le principal exemple, dans le cas de l’empreinte écologique, est celui du calcul de l’empreinte carbone, probablement sous-estimée. « Le parti pris est de convertir les tonnes de gaz à effet de serre émises en la surface minimum qu’il faudrait pour absorber ce CO2. L’hypothèse méthodologique est déjà discutable en elle-même. Mais là, le choix qui a été fait est de prendre une forêt jeune avec un très fort taux de captation du CO2 atmosphérique. C’est une hypothèse hyper optimiste, qui a tendance à sous-estimer la surface qu’il faudrait vraiment », explique le chercheur.

Par ailleurs, Laetitia Mailhes ne s’en cache pas, l’empreinte écologique comporte un certain nombre d’angles morts. « On ne peut pas prendre en compte tous les aspects du développement durable et nous ne prétendons pas le faire. Par exemple, on ne mesure pas la perte de biodiversité », explique-t-elle. « C’est un outil qui reste très anthropocentré, confirme Aurélien Boutaud. Il considère que toute la biocapacité est potentiellement disponible pour répondre aux besoins de l’humanité. Or, on sait très bien qu’il faudrait probablement ne pas intervenir sur 10 à 20 % de la biosphère afin de maintenir des “points chauds” de biodiversité. »

« On ne mesure pas la perte de biodiversité. » © Didier Flury/Reporterre

Pour le chercheur, le concept d’empreinte écologique « atteint ses limites quand on veut passer de la prise de conscience à la mise en œuvre d’actions de politiques. Plus la prise de conscience est importante, plus on va avoir besoin d’outils précis ». Ainsi, depuis la fin des années 2000, un nouveau cadre permet de penser les dommages causés par l’humanité à une planète finie : celui des limites planétaires. Elles font cette fois-ci référence à des seuils au-delà desquels les conditions d’habitabilité de la Terre sont remises en cause, qui, là encore, ne sont pas prises en compte par le concept d’empreinte écologique.

Pour Aurélien Boutaud, ces deux outils ne sont pas contradictoires, ils s’adressent simplement à des publics différents : « Les limites planétaires, plus difficiles à appréhender que l’empreinte écologique, sont venues compléter cet outil sur ses points faibles. »

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