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EnquêteÉnergie

Le plan hydrogène français entérine discrètement la relance du nucléaire

ENQUÊTE 2/3 — Produire toujours plus d’hydrogène « vert », comme le prévoient le « plan » français et la « stratégie » européenne, va nécessiter de grandes quantités d’électricité non fossile. L’industrie nucléaire est sur les rails.

Cet article est le deuxième d’une enquête en trois volets consacrée à l’hydrogène. Le premier volet « L’hydrogène, trop gourmand en énergie pour être écologique » ; le troisième : « L’hydrogène, un rêve industriel mais pas écologique ».


Le plan hydrogène de 7 milliards d’euros lancé par le gouvernement réintroduit le nucléaire par une sorte de fait accompli. Car, pour remplacer l’hydrogène d’origine fossile consommé par l’industrie lourde par de l’hydrogène produit par électrolyse, il faut des quantités massives d’électricité. En y ajoutant un parc de poids lourds, d’utilitaires, de bateaux, d’avions et de trains roulant à l’hydrogène, qui s’ajoute lui-même à l’électrification du parc automobile, alors la demande en électricité promet d’être faramineuse. « On va devoir doubler ou tripler la production d’hydrogène. Cela se traduit en terme d’électricité par un surcroit de capacité électrique mondiale que j’estime entre 20 et 30 % supplémentaires de ce qu’il faudra installer en capacités renouvelables, ce qui est considérable, dit à Reporterre Paul Lucchese, corédacteur de l’enthousiaste rapport de l’Agence internationale pour l’énergie sur l’hydrogène [1] et expert auprès du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). On ne s’est pas posé la question de savoir comment on va fournir cette électricité, ce qui est un problème. »

Certains, en tout cas, se sont posé la question, et y ont répondu. Le groupe nucléaire Areva figure en bonne place parmi les membres de l’association France Hydrogène [2], aux côtés de Total et d’Air Liquide. Et il paraît difficile de croire que le CEA ne s’est pas posé cette question : voilà plus de vingt ans que ses chercheurs travaillent au développement d’une pile à combustible permettant de transformer l’hydrogène en électricité. Le CEA s’est lancé depuis un an dans la conception de petits réacteurs nucléaires modulaires de 150 MW, expressément conçus pour la production d’hydrogène par électrolyse [3]. Il a aussi développé un électrolyseur réversible à haute température [4] : cette machine présente la particularité d’être alimentée à la fois par de la vapeur d’eau et de l’électricité. « La réaction se produit à 700-800 °C, mais une fois qu’elle est lancée, on peut l’alimenter avec de la vapeur d’eau à 150 °C », explique à Reporterre Hélène Burlet, directrice adjointe des programmes énergie du CEA. « De la vapeur d’eau à 150 °C, il en sort des réacteurs nucléaires à eau pressurisée. »

Certains membres de France Hydrogène, sur le site de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustibles (ancêtre de France Hydrogène jusqu’à fin 2020).

E. Macron : « Aucun pays européen ne peut produire de l’hydrogène avec un mix électrique décarboné comme nous pouvons le faire grâce au nucléaire »

Emmanuel Macron a officialisé la chose lors de son déplacement au Creusot début décembre : la stratégie française de l’hydrogène reposera sur l’électricité nucléaire. « La filière nucléaire est essentielle au développement de l’ambition en matière d’hydrogène, a-t-il déclaré. Aucun pays européen ne peut produire de l’hydrogène avec un mix électrique décarboné comme nous pouvons le faire grâce au nucléaire. » En 2017, le président s’était engagé à faire baisser la part du nucléaire dans le mix électrique à 50 % d’ici 2025. Trois ans plus tard, l’objectif est enterré et la perspective inversée : le gouvernement fait du nucléaire un atout pour le climat en lui consacrant 470 millions d’euros prélevés sur les trente milliards consacrés à la « transition écologique ».

Il y a quand même un problème : d’ici 2028, quarante-six réacteurs sur cinquante-six vont atteindre leur durée de fonctionnement maximale de quarante ans. « Certains composants essentiels s’abîment et ne sont pas remplaçables, alertait Greenpeace début 2020 [5]. C’est notamment le cas de la cuve du réacteur, là où se trouve le combustible, qui se fragilise à force d’être irradiée. La rupture sur un réacteur en fonctionnement entraînerait une catastrophe nucléaire de la taille de celle des accidents de Tchernobyl ou de Fukushima. » Au CEA, Hélène Burlet reconnaît le problème : « Le vieillissement du parc nucléaire est un sujet. L’État a demandé à EDF de chiffrer le coût de construction de six EPR, il va devoir décider de renouveler le parc. » Une source d’interrogations, à en juger par les défaillances en série du chantier de l’EPR de Flamanville et le quadruplement de son coût de construction, passé de 3,3 à 12,4 milliards d’euros ; sans oublier le fiasco de la construction de l’EPR d’Olkiluoto, en Finlande, qui accumule douze ans de retard et dont la facture a triplé, et des retard et surcoûts dans la construction, par EDF, de l’EPR de Hinkley Point, en Angleterre.

Les deux réacteurs en activité de la centrale finlandaise d’Olkiluoto, en 2015. Le troisième réacteur devrait être un EPR, mais sa construction accumule douze ans de retard et sa facture a triplé.

 « Ne pas discriminer l’électricité nucléaire »

Pour la planète, Benoît Potier, PDG d’Air Liquide, est prêt à risquer les conséquences du vieillissement des centrales. « À partir du moment où nous disposons d’une capacité de production d’électricité sans CO2, utilisons-la ! a-t-il déclaré à la commission des Affaires économiques du Sénat à la mi-décembre. Objectivement et franchement, si l’on peut utiliser des centrales nucléaires que l’on veut arrêter — alors qu’elles peuvent encore fonctionner ! — pour faire de l’électricité, qui serait convertie en hydrogène puis serait stockée, pourquoi s’en priver ? Si le but final est celui de la préservation de la planète, il faut mettre en œuvre les moyens optimaux. » 

Le 17 décembre dernier, dans un communiqué, le think tank New Nuclear Watch Institute, regroupant une douzaine d’acteurs du nucléaire, demandait à l’Union européenne de « ne pas discriminer l’électricité nucléaire » dans le cadre de son plan hydrogène [6] : « Les énergies renouvelables et le nucléaire sont bas carbone et doivent être traités en toute égalité », en toute « neutralité technologique. » Le lendemain, l’Union européenne lançait un Projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) sur l’hydrogène, dispositif permettant aux États membres de subventionner les entreprises sans restriction pour certains projets prioritaires : l’Europe s’est montrée inclusive, en décidant d’ouvrir cette manne d’argent public à la fois à l’hydrogène nucléaire (dit « jaune ») et à l’hydrogène « bleu », obtenu à partir de gaz fossile avec tentative de récupération et stockage du CO2. Les ministres de l’Environnement du Danemark, du Luxembourg, du Portugal, de l’Espagne et de l’Autriche ont immédiatement réagi par une lettre commune exigeant que le dispositif soit restreint à « de l’hydrogène obtenu exclusivement à partir de sources d’énergie renouvelable » pour respecter un « principe de non-nocivité » [7].


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