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Loi Climat

Les trop « petits gestes » du ministère sur la rénovation énergétique

En renommant le ministère de la Transition écologique le « ministère des petits gestes », des associations réclamaient de meilleures mesures politiques sur la rénovation des passoires thermiques, alors que la loi Climat, jugée non à la hauteur, est encore en discussion à l’Assemblée.

Paris, reportage

« Réchauffez les logements, pas le climat ! » Mercredi 7 avril, une quinzaine de militants de Greenpeace, de la fondation Abbé Pierre et de l’association Alliance citoyenne sont venus réclamer devant le ministère de la Transition écologique des mesures plus ambitieuses sur la rénovation des passoires thermiques, alors que la loi Climat est encore en discussion à l’Assemblée nationale. Ils ont symboliquement changé la plaque du bâtiment en le renommant « ministère des petits gestes », afin de dénoncer des politiques de rénovation qu’ils estiment insuffisantes et peu efficaces par rapport à l’ampleur de la tâche. En effet, on dénombre aujourd’hui près de 4,4 millions de passoires thermiques étiquetées E, F, G [1]. Leur rénovation, véritable serpent de mer, a été promise par le candidat Emmanuel Macron dès 2017 et par la loi relative à l’énergie et au climat de 2019.

Alors que le logement représente 10 % de nos émissions de gaz à effet de serre et 20 à 25 % de notre consommation énergétique, les associations s’échinent depuis des années à convaincre le gouvernement d’agir. Et contrairement à ce que peut laisser penser sa communication dithyrambique, la loi Climat n’est absolument pas à la hauteur des enjeux, selon les associations. « Elle ne permettra pas aux gens de sortir de la précarité énergétique », assure Nicolas Nace, chargé de campagne transition énergétique à Greenpeace.

La majorité macroniste continue pourtant d’annoncer la fin des passoires thermiques. Le rapporteur logement du projet de loi, le marcheur Mickaël Nogal, a même déposé un amendement pour interdire la location des logements énergivores dès 2025.

« Ce n’est pas vraiment une interdiction »

Alors, qui croire ? « D’abord, le projet de loi ne change pas grand-chose par rapport aux précédentes lois, qui prévoyaient déjà l’interdiction des passoires thermiques, rappelle Étienne Charbit, expert du Réseau pour la transition énergétique (Cler), joint par Reporterre. Il s’agit plutôt de recyclage de mesures ou de précisions. »

Ainsi, l’amendement porté par Mickaël Nogal détaille-t-il la trajectoire à suivre pour nous débarrasser de ces habitats mal isolés : dès 2025 pour les 160 000 logements les plus énergivores (classés G), puis d’ici à 2028 pour 1,2 million de logements classés F, et enfin 2034 pour 2,6 millions de logements classés E. « Ce calendrier est une bonne chose, mais cela reste très tardif », indique à Reporterre Manuel Domergue, directeur des études de la fondation Abbé Pierre.

Un militant de Greenpeace accrochant une plaque « ministère des petits gestes » à l’entrée du ministère de la Transition écologique, le 7 avril 2021.

Surtout, le texte n’établit pas d’interdiction à proprement parler : « Un logement de classe G, F ou E pourra être déclaré indécent, ce qui signifie que le locataire pourra se retourner contre son propriétaire pour exiger des travaux, explique Étienne Charbit. Ce n’est donc pas vraiment une interdiction. » En clair, à partir de 2025, 2028 ou 2034, « les locataires pourront demander une rénovation à leurs bailleurs, précise aussi Manuel Domergue. Mais cela ne veut pas dire que tous les logements seront rénovés à ce moment-là. Certains seront juste déclarés comme indécents et cela donnera une arme aux locataires pour imposer des baisses de loyer ou des travaux. Mais dans les faits, c’est une petite minorité qui va s’emparer de ces armes, car ce sont de longues démarches ».

La menace d’un possible recours juridique sera-t-elle suffisante pour pousser les propriétaires à rénover en amont ? Nicolas Garnier, délégué général du réseau Amorce, en doute : « On tourne encore autour du pot de l’obligation de rénover ces passoires, a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à ce propos, mardi 6 avril. Il faut qu’une forme de coercition pointe à horizon 2028, avec des conditions de contrôle et de sanction claires, sinon cet objectif restera lettre morte. Il faut faire preuve de courage politique ! »

Manuel Domergue, de la fondation Abbé Pierre, lors de l’action du 7 avril 2021.

Un niveau C ou D pour un logement « performant »

Autre inquiétude des associations : le recul sur la définition d’une rénovation dite « performante ». Actuellement, des travaux sont dits « performants » s’ils permettent d’atteindre le niveau « bâtiment basse consommation », ce qui correspond à une étiquette énergie de classe A ou B. Pour tenir nos objectifs climatiques, il faudrait rénover à ce niveau l’ensemble du parc de logements d’ici à 2050. Or, un autre amendement, porté par Mickaël Nogal et adopté en commission avec l’appui du gouvernement, pourrait diminuer les exigences imposées pour qualifier de « performante » une rénovation. Avec ce texte, plus besoin de décrocher l’étiquette énergie A ou B. Le niveau C — voire D pour certaines exceptions — sera suffisant. Dit autrement, si votre logement est passé de F à D ou de E à C après des travaux, il sera considéré comme un logement « performant ».

Un tour de passe-passe lexical qui désespère Étienne Charbit : « Les logements étiquetés C ou D peuvent consommer jusqu’à trois fois plus d’énergie que des logements A ou B, observe-t-il. Donc en incitant les propriétaires à se contenter d’un niveau C ou D, on n’atteindra jamais nos objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, on va gaspiller de l’argent public pour soutenir des travaux insuffisants [la majorité des aides sont attribuées pour de la rénovation « performante »] et les ménages auront toujours des factures énergétiques élevées. Ça peut porter atteinte à toute la politique de rénovation ! »

La partie de la loi Climat s’intéressant au logement — les articles 39 à 45 — devrait être discutée par les députés à partir de la semaine prochaine. Dans tous les cas, le nerf de la guerre restera le financement de ces mesures : un aspect qui n’est pas discuté dans le cadre de ce projet de loi. Aujourd’hui, les aides publiques à la rénovation atteignent environ 5 milliards d’euros par an, dont 2,5 milliards d’euros pour les passoires énergétiques. Les associations estiment qu’il faudrait mettre 10 milliards d’euros sur la table pour les rénover d’ici dix ans.

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