Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

EnquêteClimat

Les voitures SUV roulent à contresens de l’histoire

Portée par une publicité insistante, l’explosion des ventes de SUV, ces lourdes voitures aux faux airs de 4x4, est une très mauvaise nouvelle pour le climat. Dans le monde, ils représentent la deuxième source de hausse des émissions de gaz à effet de serre depuis dix ans.

En 2018, si les SUV avaient été une nation, ils auraient été à la septième place parmi les plus gros pollueurs. Ces véhicules aux allures de 4x4 émettent chaque année dans le monde 700 mégatonnes de CO2, soit autant que le Royaume-Uni et les Pays-Bas réunis. Derrière l’innocent acronyme se cache une véritable bombe climatique qui nous conduit droit au désastre.

Apparu à la fin des années 2000 de l’autre côté de l’Atlantique, le terme désigne une nouvelle génération de voitures individuelles plus énergivores, plus lourdes et moins aérodynamiques : le « Sport Utility Vehicle », qui veut littéralement dire en français « véhicule utilitaire à caractère sportif ». Sa carrosserie rutilante ressemble à celle d’un véhicule tout terrain mais le SUV est principalement utilisé en ville, où il est devenu une marque de distinction et l’apanage des classes sociales supérieures.

Aujourd’hui, plus de 200 millions de SUV circulent dans le monde et la tendance n’est pas à la décroissance. « Les chars d’assaut urbain se banalisent », déplorent les associations écologistes comme Greenpeace. Avec ces mastodontes de 2,5 tonnes, c’est toute la logique du capitalisme ostentatoire qui repart pour un tour.

« Il y a quelques années, on parlait de “4x4”. Mais cette expression véhiculait plutôt une image associée à la pollution, à une voiture peu adaptée à la ville, peut-être même à un certain égoïsme. Souvenez-vous de la mode controversée des pare-buffles, rappelle l’ingénieur Mathieu Chassagnet sur son blog. Pour balayer cette image négative, la première étape a été de changer de nom. Les 4x4 sont ainsi devenus des SUV, un anglicisme qui ne signifie franchement pas grand-chose mais qui semble avoir rendu ces 4x4 à nouveau désirables. »

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela a fonctionné. En 2008, en France, les SUV représentaient seulement 5 % des ventes. Douze ans plus tard, après un matraquage publicitaire, leur part de marché est passée à 41 % des ventes. 68.922 SUV ont trouvé preneurs en septembre 2020 en France. Leur nombre a été multiplié par huit en une décennie. Les clients peuvent désormais choisir entre 115 modèles différents, tous plus puissants les uns que les autres, plus gros et plus larges. « Le top cinq des véhicules les plus vendus sur les canaux des particuliers et des professionnels montre bien cette hégémonie des SUV et des berlines », relève ainsi Le Journal de l’automobile.

Les SUV sont la deuxième source d’augmentation des émissions de CO2 dans le monde

En 2020, les SUV Peugeot 3008 et Peugeot 2008 se situent respectivement à la 4 et 5e place des véhicules les plus vendus en France. « Si rien n’est fait pour inverser cette dynamique, les SUV pourraient représenter deux tiers des ventes en 2030 », alerte Isabelle Autissier, la présidente du WWF, qui vient de publier un rapport sur les conséquences environnementales de ce type de voitures.

Jusqu’à récemment, le coût climatique de ces véhicules était encore peu connu, du moins il n’était pas chiffré. Mais maintenant, il n’y a plus de doute possible : « Le boom des SUV est incompatible avec la réalisation des objectifs climatiques internationaux », prévient le WWF. Selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie, les SUV ont constitué durant ces dix dernières années, la deuxième source d’augmentation des émissions de CO2 dans le monde, après le secteur de l’énergie, mais avant l’industrie lourde, le secteur des transports routiers ou même l’aviation.

En moyenne, ces véhicules consomment 15 % de plus qu’une voiture standard et émettent 20 % de CO2 supplémentaires. Ils pèsent 200 kilos de plus que les voitures classiques et mesurent 25 cm de long et 10 cm de large en plus. Bref, les SUV réduisent à néant les tentatives de diminution des émissions de CO2 du secteur automobile. « Si des constructeurs investissent beaucoup d’argent dans les voitures électriques, les mêmes mettent aussi sur le marché de plus en plus de modèles de SUV », souligne Fatih Birol, un des auteurs du rapport de l’Agence internationale de l’énergie.

Le WWF a voulu reproduire ce travail à l’échelle française. Et ses résultats sont sans appel. En France aussi, ces dix dernières années, les 4,3 millions de SUV mis en circulation représentent la deuxième source de hausse des émissions de CO2. Cette fois-ci juste derrière le secteur aérien.

« Au lieu de rattraper les retards du passé, la France en accumule de nouveaux », écrit le Haut Conseil pour le climat. Alors que la voiture individuelle compte encore pour 16 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau national, les émissions moyennes homologuées des véhicules neufs n’ont pas diminué entre 2016 et 2019. En cause, la progression fulgurante des SUV.

La publicité automobile représente 3,3 milliards d’euros en France chaque année

Trois raisons structurelles expliquent cette situation : l’effet de mode alimenté par la publicité, l’absence de régulation du gouvernement et le choix industriel des constructeurs automobiles. L’essor du SUV est lié aux battages médiatique et commercial menés depuis dix ans par une armée de communicants. Une étude a montré que le budget total de la publicité automobile en 2018 représentait 3,3 milliards d’euros en France, soit l’équivalent du budget TER de l’ensemble des régions. Pour chaque voiture vendue, un peu plus de 1.500 euros sont dépensés en publicité.

Exemple de publicité.

Les SUV ont infiltré toutes les pages des grands quotidiens. Dans des publireportages, on ne cesse de louer leur « confort », leur « élégance », ou leur « virilité ». Et le façonnage des esprits commence dès l’enfance. On retrouve des Playmobils avec leur Porsche Macan, des poupées Barbies avec leur SUV rose.

D’abord considéré comme une voiture de riche, le Suv pourrait se généraliser par mimétisme à l’ensemble des classes sociales. C’est ce que craint le WWF. Un phénomène de SUvisation est en cours :

Le terme SUV ne désigne plus seulement une gamme supérieure de véhicules de luxe et de taille XL mais un phénomène qui se caractérise par la propagation de versions SUV dans tous les segments automobiles, de la citadine à la berline. Les Renault Captur et Peugeot 2008 constituent des exemples de petits SUV qui se substituent aux citadines Renault Clio et Peugeot 208. Ils sont plus sobres que les SUV de gamme supérieure mais n’en demeurent pas moins plus énergivores que leurs équivalentes citadines et berlines ».

Face à cet essor, « le gouvernement reste impuissant, dit Marie Cheron de la Fondation pour la nature et l’homme. Malgré les aides importantes déployées dans le cadre du plan de relance, l’État ne joue pas son rôle de régulateur », regrette-t-elle.

« Le parc automobile doit aller vers des véhicules plus sobres et plus légers »

Encore récemment, le gouvernement et sa majorité à l’Assemblée nationale ont rejeté l’idée d’un malus poids, alors même qu’il faisait partie des propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Autre mesure enterrée : la fin des publicités pour les véhicules polluants comme les SUV. « Pourtant, c’est cet imaginaire-là qu’il faut changer, souligne l’ingénieur Mathieu Chassignet. Le parc automobile doit aller vers des véhicules plus sobres et plus légers. »

Malheureusement, le secteur automobile est en train de prendre une autre voie, bien loin de la sobriété. En France, les constructeurs et équipementiers délocalisent la production de modèles légers et renforcent la dépendance des sites industriels aux SUV. La fermeture annoncée de l’usine Bridgestone de pneus de petites voitures à Béthune en est la dernière illustration. Selon le Parisien, « son outil de production était inadapté au boom des SUV ».

De manière générale, les SUV sont bien plus rentables pour les constructeurs. Leur prix à l’achat est plus élevé que celui d’un véhicule classique. Peugeot l’a vite compris en se positionnant rapidement sur ce segment : le constructeur affiche aujourd’hui des taux de marge record.

Chez les écologistes, on s’interroge encore sur la stratégie à déployer pour arrêter ce bulldozer. Si des militants ont perturbé à plusieurs reprises le Salon mondial de l’automobile à Francfort, en réalité, peu d’actions ont pour l’instant été menées. Mais la prise de conscience des dégâts climatiques de ces véhicules pourrait changer la donne. L’inaction du gouvernement sur le sujet nourrit aussi les velléités de résistance : Extinction Rebellion prévoit de mener dans les prochains mois une action à leur encontre. Le tout nouveau collectif La Ronce appelle à les dégonfler en masse le 14 octobre. Dans son livre Comment saboter un pipeline, Andreas Malm se préoccupait lui aussi de ces véhicules :

Dans les villes, les SUV sont exécrés par tous ceux qui ne les conduisent pas ; et dans une ville de la taille de Londres, dans un délai très bref, il suffirait de quelques dizaines de personnes pour rendre tout bonnement impossible la possession de ces véhicules en rayant systématiquement leurs flancs avec des clés, ce qui coûterait chaque fois plusieurs milliers de livres à leurs propriétaires. Imaginons que cinquante personnes vandalisent chacune quatre voitures pendant un mois : 6.000 SUV bousillés en un mois et les tracteurs de Chelsea auront vite disparu de nos rues.

Alors que les alertes sur le front de l’environnement se multiplient, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les dernières semaines de 2023 comporteront des avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela.

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre ne dispose pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1 €. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

Abonnez-vous à la lettre d’info de Reporterre
Fermer Précedent Suivant

legende