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EnquêteHabitat et urbanisme

Logements vacants : retaper du vieux plutôt que construire du neuf

Réhabiliter les milliers de logements vides en France, plutôt que d’en construire de nouveaux, l’idée fait son chemin auprès d’opposants à des projets immobiliers. Problème : il est bien moins coûteux de construire du neuf.

[2/4 — Pour l’écologie, en finir avec la « maison avec jardin »] De nouveaux pavillons individuels sont construits chaque année et grignotent les espaces naturels. Pour préserver le climat et la biodiversité, des alternatives aux maisons neuves existent : utiliser les logements vacants, promouvoir les habitats collectifs… Une enquête en quatre volets.



Fini « le modèle du pavillon avec jardin », place à « l’intensité heureuse ». Voici, en quelques mots, la philosophie défendue par la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, dévoilée à l’automne 2021. Si elle prend soin d’éviter le mot « densification », tant il est repoussoir politiquement, il s’agit bien en réalité de mettre plus d’habitations par kilomètre carré, afin d’éviter l’extension infinie des zones urbanisées. Pourtant, dans les villes où la densification s’est accélérée ces dernières années, des projets de construction sont contestés. Certains habitants n’ont tout simplement pas envie d’avoir de nouveaux voisins. Mais des défenseurs du patrimoine, ou encore de collectifs qui veulent préserver des espaces verts en ville, peuvent aussi donner de la voix. Les jardins de l’Engrenage à Dijon, le jardin des Ronces à Nantes ou encore les jardins Joyeux à Rouen sont autant d’exemples de mobilisations portant des revendications écologiques contre des projets immobiliers.

À Rennes par exemple, la densification passe mal auprès des habitants. Le Pays de Rennes (76 communes) devrait accueillir 130 000 habitants supplémentaires d’ici à 2040, selon l’agence d’urbanisme de la ville. Une quinzaine de collectifs, réunis au sein du groupe R’Math, s’oppose à différents projets immobiliers. « Je suis née à Rennes et je ne reconnais plus ma ville », déplore Françoise, 43 ans, membre du collectif Non au nouveau site du siège d’Aiguillon (Nanssa). Elle et ses voisins s’opposent à un projet immobilier d’une centaine de logements qui comprend une tour de douze étages, dans le quartier de la Poterie, majoritairement constitué de petits immeubles et de maisons. « Nous ne sommes pas contre la densification, elle est inéluctable car nous sommes toujours plus d’habitants. Nous sommes contre la surdensification et les projets réalisés sans consultation », précise-t-elle. En plus du projet d’Aiguillon, le collectif a recensé dans le quartier « plus de 1 500 logements livrés ou imminents depuis 2018 ». Il a dressé une liste de propositions pour freiner ce type de construction, dont les premières sont « réhabiliter les logements vacants » et « changer la destination des bureaux pour les transformer en logements ».

Logements vacants à réhabiliter, à Lille. © Héloïse Leussier/Reporterre

La question des logements vacants revient régulièrement dans la bouche des opposants à des projets immobiliers. Pourquoi continuer à construire plutôt que d’occuper les logements vides ? Selon l’Insee, les logements vacants augmentent nettement depuis 2006, à un rythme supérieur à celui de l’ensemble du parc immobilier. En 2021, on dénombrait 3 millions de logements vacants en France (hors Mayotte), soit 8,3 % du parc. 726 000 logements vacants se trouvent dans des communes de moins de 2 000 habitants, 1 million dans des secteurs urbains de moins de 100 000 habitants, et 1,188 million dans des unités urbaines de plus de 100 000 habitants. Il y avait également 9,9 % de résidences secondaires ou logements occasionnels.

Parmi les raisons expliquant la vacance, l’Insee cite notamment « une inadéquation de l’offre avec la demande en matière de taille, localisation, prix ». De fait, une partie importante des logements vacants se trouvent dans des communes où les Français ne cherchent pas à habiter. Mais ils peuvent aussi se trouver dans des villes où le marché de l’immobilier est tendu. Les chiffres du ministère de la Transition écologique montrent que certains quartiers de Paris, Marseille ou encore Lille affichent des taux de vacance longue durée supérieurs à 10 %.

Logements vacants à Roubaix. © Héloïse Leussier/Reporterre

Il faut « beaucoup d’ingénierie et de courage politique »

La Métropole de Lille a décidé de s’attaquer aux problèmes de vacance et d’habitats anciens dégradés, avec la création en 2010 d’une société publique locale, La Fabrique des quartiers. Ses actions permettent de mieux comprendre ces phénomènes et ce qui peut être mis en place pour y remédier. « Il y a 40 000 logements vacants dans la métropole, soit 8 % du parc immobilier. Nous sommes à peu près dans la moyenne nationale, mais avec des poches de forte vacance dans le centre de Lille et les anciennes villes ouvrières, Roubaix, Tourcoing et Armentières », explique Vincent Bougamont, architecte de profession et directeur de la structure. D’anciennes maisons ouvrières sont laissées à l’abandon dans les quartiers populaires, tandis que dans les beaux quartiers de Lille, où les prix de l’immobilier sont très élevés, il n’est pas rare de voir des espaces inoccupés au-dessus de boutiques chics.

Logements vacants à réhabiliter, à Lille. © Héloïse Leussier/Reporterre

« S’attaquer à la question des logements vacants demande beaucoup d’ingénierie et de courage politique, car on s’attaque au sujet très sensible de la propriété privée en France », estime M. Bougamont. La Fabrique des quartiers a mené une étude parue en 2019 sur les logements vacants dans la métropole. « Nous avons fait des diagnostics sur certains logements, parfois en allant jusqu’à chercher dans des généalogies pour retrouver des ayants droit », précise-t-il. Les raisons qui font que des logements restent vides sont variées : « Il y a des logements qui ne sont pas réellement vacants ou du moins ne vont pas le rester, des cas d’indivision avec des héritiers qui ne sont pas tous d’accord pour vendre, des propriétaires qui n’ont pas les moyens ou la volonté d’entretenir leur bien, des appartements situés au-dessus de commerces qui ne sont plus accessibles », dit-il. La structure s’attaque à chaque situation au cas par cas, par exemple en accompagnant les cas d’indivision, en orientant les propriétaires vers les aides à la rénovation ou en les incitant, avec les mécanismes prévus dans la loi, à faire certains travaux. « Nous pouvons aller jusqu’à lancer des procédures d’expropriation », précise-t-il.

Maisons à 1 euro

Pour la réhabilitation des habitats anciens, l’implication de la puissance publique apparaît comme incontournable. « Les statuts de La Fabrique des quartiers permettent d’intervenir sur des terrains qui n’intéressent pas les opérateurs privés, car le risque financier y est jugé trop important, explique Vincent Bougamont. Dans l’habitat ancien, il faut acheter, reloger et on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Notre particularité est d’intervenir sur des petits projets qui prennent du temps, avec une dimension humaine. » La structure emploie des travailleurs sociaux qui interviennent notamment auprès des personnes à reloger. Un fonctionnement bien différent de celui d’un promoteur qui part d’une feuille blanche sur un terrain vide. La Fabrique des quartiers peut acheter des biens avec l’établissement public foncier, pour les réhabiliter et en faire des logements sociaux ou en accession à la propriété.

C’est ce qu’elle a fait par exemple à la Cité des Postes, dans le quartier de Wazemmes, à Lille. Cette impasse était constituée de très petites maisons ouvrières abandonnées ou en très mauvais état, occupées par des familles locataires ou propriétaires en situation de grande précarité. Ces occupants ont été relogés dans le parc social. La Fabrique des quartiers a fait de gros travaux de réhabilitation qui ont duré une dizaine d’années. Certaines maisons ont été regroupées, des extensions ont été réalisées et les intérieurs ont été remis au goût du jour. Les habitations ont ensuite été revendues pour l’accession sociale à la propriété ou de l’investissement locatif.

Appartement vendu à Roubaix. © Héloïse Leussier/Reporterre

La Fabrique des quartiers a aussi organisé une opération très médiatisée : des maisons vendues à 1 euro à Roubaix. Il s’agissait en fait de maisons très dégradées, appartenant à des acteurs publics locaux, localisées dans sept quartiers de Roubaix. Dix-sept maisons ont été proposées à la vente en accession sociale à la propriété. Les candidats devaient s’engager à faire des travaux de rénovation et rester dans leur logement pendant plusieurs années. Finalement, neuf maisons ont été vendues dans ce cadre. Certaines n’ont pas trouvé preneurs, notamment parce qu’elles étaient jugées trop petites, tandis que dans d’autres cas, ceux qui voulaient les acheter n’ont pas trouvé de financements auprès des banques. « Remettre des propriétaires occupants permet d’avoir des personnes qui se projettent de manière positive dans la ville », estime Vincent Bougamont. Selon lui, les rénovations effectuées sont « très réussies », car les acheteurs se sont beaucoup investis pour faire des habitats à leur goût. « Ce n’est pas avec des maisons à 1 euro que l’on sauvera Roubaix, mais cela peut faire partie d’un panel de solutions », dit-il. Ce dispositif doit faire l’objet d’une évaluation au niveau national, pour éventuellement le répliquer ailleurs.

Réhabiliter les logements existants plutôt que d’en construire de nouveaux, cela peut sembler aller de soi, mais pas pour les professionnels de la construction. Car aujourd’hui, cela coûte beaucoup moins cher de faire du neuf. Dans la mesure où « les dispositifs de taxation des logements vacants sont techniquement difficiles à mettre en place, car il faut pouvoir prouver l’absence d’occupation pendant au moins un an », il faudrait surtout créer « un fonds de soutien public de transformation et de réhabilitation beaucoup plus important », estime Julien Fosse, biologiste, qui a participé à la rédaction d’un rapport de La Fabrique écologique sur l’artificialisation. Et en parallèle, il faudrait revoir les soutiens financiers à la construction qui sont « mal adaptés ». Une autre idée pourrait être d’intégrer le coût environnemental des constructions dans la balance. « Construire un immeuble nécessite 70 fois plus de matériaux et produit 5 fois plus d’émission de gaz à effet de serre qu’une réhabilitation », observe l’urbaniste Sylvain Grisot. Selon lui d’ailleurs, « 80 % de la ville de 2050 est déjà autour de nous, c’est l’ensemble de cette ville qui doit être adaptée à nos besoins de 2050 ». En ces temps de pénuries de matériaux, faire avec l’existant pourrait de toute façon devenir une nécessité.

Les autres volets de notre enquête sont en ligne ici.

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