Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Animaux

Macron, le président qui a tourné le dos à la biodiversité

Une linotte mélodieuse est en déclin à cause du net recul des jachères et des chaumes hivernaux dans lesquels elle trouve ses ressources alimentaires.

La Ligue pour la protection des oiseaux a recensé 5 mesures favorables à la nature sur 33 promesses de campagne d’Emmanuel Macron. Outre une protection insuffisante des espaces naturels et des espèces en déclin, l’association lui reproche, entre autres, ses cadeaux aux chasseurs et son soutien à l’agro-industrie.

« Frustration et gâchis » : tels sont les sentiments décrits par la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) devant le bilan d’Emmanuel Macron en matière de biodiversité. Jeudi 14 octobre, l’association a publié sa liste des trente-trois promesses de campagne du président de la République sur la politique agricole, l’aménagement du territoire, la protection des espaces et des espèces… et ce qui a effectivement été réalisé. Le bilan est accablant.

L’association a recensé seulement cinq mesures favorables à la nature, dont l’augmentation du soutien financier et le maintien de la déduction d’impôt à 66 % pour les dons versés aux associations de protection de l’environnement. Ceci, alors qu’au début du quinquennat « la situation était déjà extrêmement préoccupante sur le front de la biodiversité, s’alarme Allain Bougrain Dubourg, président de la LPO, en conférence de presse. Le gouvernement a joué la patate chaude. Pendant ce temps, nous sommes obligés d’essayer d’agir pour endiguer les destructions. »

La LPO déplore le manque de soutien à l’agriculture biologique — ici, une ferme bio à Montélier (Drôme). © Bruno Poussard/Reporterre

Qu’est-il reproché exactement à M. Macron ? Déjà, sa politique agricole. « L’agriculture est le premier facteur de perte de biodiversité en France et en Europe », rappelle Pauline Rattez, chargée du programme agriculture et biodiversité à la LPO. Pendant son mandat, le président a participé aux négociations pour l’élaboration de la nouvelle Politique agricole commune (PAC) au niveau européen et le gouvernement doit désormais transcrire ces orientations au niveau national. Une première version du Plan stratégique national a ainsi été remise officiellement à l’Autorité environnementale et officieusement à la Commission européenne en juillet dernier. L’association déplore que l’écorégime porté par la France, censé récompenser les pratiques vertueuses des agriculteurs, soit dépourvu de toute ambition. « Les fermes en agriculture biologique reçoivent exactement les mêmes aides que les exploitations labellisées Haute valeur environnementale, alors que ces dernières sont autorisées à utiliser des pesticides cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques », indique la chargée de programme. D’après les chiffres du ministère de l’Agriculture qu’elle a rapportés, 81 % des agriculteurs sont ainsi éligibles aux niveaux 1 et 2 de l’écorégime.

Lire aussi : Le ministre de l’Agriculture fait une PAC pour les gros et pas pour le bio

Parmi les reculs de M. Macron, l’association cite aussi, entre autres :

50 000 hectares supplémentaires ont été bétonnés chaque année

En règle générale, le ministère de l’Agriculture remporte la plupart des arbitrages face au ministère de la Transition écologique et récupère un nombre croissant de dossiers auparavant gérés à l’Hôtel de Roquelaure. « C’est le cas de l’eau, des forêts et des loups, dit Yves Vérilhac, directeur général de la LPO. Ceci nous place dans une position non pas de reconquête, mais de tentative d’éviter les régressions. »

Sur l’aménagement du territoire, le bilan n’est guère meilleur. « L’artificialisation des sols, qui est une des principales causes de perte de biodiversité, n’a pas été stoppée », déplore Yves Vérilhac. Malgré la loi Elan, quelque 50 000 hectares ont été bétonnés chaque année, à un rythme supérieur à la moyenne européenne et à la croissance démographique. « On continue à voir fleurir les lotissements, les centres d’affaires et les entrepôts logistiques », dit M. Vérilhac.

Autre grief de l’association, une protection insuffisante des espaces naturels et des espèces en déclin. Certes, un plan d’action de la stratégie nationale pour les aires protégées a été adopté en milieu de mandat, qui vise à intégrer 30 % du territoire et des espaces marins français dans des aires protégées — dont 10 % en protection forte. Et pourtant, les effectifs de personnels de l’État chargés de ces espaces naturels ont diminué et les moyens alloués sont jugés « insuffisants » par l’association.

« Rarement un chef de l’État aura fait autant de cadeaux aux chasseurs »

En parallèle, le gouvernement néglige la protection de la biodiversité jusque dans sa politique climatique, accuse la LPO. Dans sa ligne de mire, le développement de parcs éoliens terrestres et marins et de centrales photovoltaïques sur des sites naturels et sensibles, fréquentés par des oiseaux migrateurs, des chauves-souris et des espèces protégées. « Concernant le projet de parc éolien en mer d’Oléron, le directeur des aires marines protégées a dit qu’il ne serait pas compatible avec la biodiversité. Le préfet de Poitou-Charentes a rappelé qu’on avait reçu de l’argent de l’Europe au titre de la protection de la biodiversité à condition de ne pas développer de parc. Mais maintenant que le gouvernement a touché cet argent, il mène le projet à marche forcée alors que tout le monde est contre », s’indigne M. Vérilhac.

Deux câbles de 225 000 volts doivent être installés à Erquy pour raccorder la terre au futur parc éolien marin de la baie de Saint-Brieuc. © Hortense Chauvin/Reporterre

Plus globalement, l’association dénonce un mépris du président de la République pour les acteurs de la biodiversité. « Notre “Club des quatorze” associations de protection de l’environnement — France Nature Environnement, WWF, Fondation Nicolas Hulot, etc. — a demandé au moins quatre fois à être reçu à l’Élysée. Ce qui a été fait pour la première fois juste avant le Congrès de l’UICN. En même temps, nous apprenons que le président entretient des échanges cordiaux avec les chasseurs », relate M. Bougrain Dubourg. Échanges cordiaux, mais pas seulement : « En France, rarement un chef de l’État aura fait autant de cadeaux et accordé de passe-droits au monde la chasse », pointe l’association dans un communiqué. Les membres de la LPO citent pêle-mêle le maintien de l’autorisation hors zones humides des munitions au plomb qui polluent milieux naturels et rivières, les arrêtés autorisant la chasse d’oiseaux menacés malgré les avertissements de la Commission européenne et le refus d’instaurer un jour sans chasse. Avant de s’attarder sur les arrêtés mis en consultation il y a un mois pour le retour de méthodes de piégeage traditionnelles, pourtant déclarées illégales par le Conseil d’État. « Ces arrêtés vont sortir dès demain [vendredi 15 octobre]. Ce n’est pas la classe de passer des arrêtés un vendredi pour offrir au moins un week-end de chasse aux chasseurs, parce que la LPO ne peut déposer de référé que le lundi. On a l’habitude, ils nous font le coup à chaque fois », dit le président de l’association.

Ce bilan sonne comme un avertissement pour le président de la République bientôt candidat à sa réélection. « Le projet de loi de finances a été présenté et ne prévoit rien pour la biodiversité. On attend désormais la “stratégie nationale pour la biodiversité”, mais le calendrier nous pose question », dit M. Vérilhac. La LPO a prévu de rentrer en discussion avec les candidats à l’élection présidentielle au début de l’année prochaine.

Alors que les alertes sur le front de l’environnement se multiplient, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les dernières semaines de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela.

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre ne dispose pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1 €. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

Abonnez-vous à la lettre d’info de Reporterre
Fermer Précedent Suivant

legende