Méthanisation : les géants du pétrole se ruent sur le biogaz

- @ Red / Reporterre
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Agriculture ÉnergieShell est désormais à la tête de deux méthaniseurs XXL en France. Voilà plusieurs années que les géants du pétrole investissent dans les énergies renouvelables en rachetant des entreprises du secteur du biogaz.
Une de plus ! Après Engie et TotalÉnergies, la compagnie pétrolière Shell fait son entrée — par la grande porte — sur le marché français de la méthanisation. Elle vient de s’offrir un des leaders européens de la production de gaz naturel, l’entreprise danoise Nature energy, pour 2 milliards d’euros. Depuis plusieurs années, les pétroliers investissent dans les énergies renouvelables en rachetant des entreprises du secteur du biogaz issu de la méthanisation. Objectif : « verdir » leurs activités grâce à un gaz qui a l’atout d’être injectable directement dans le réseau. « Nous sommes en train de construire une filière de la méthanisation qui s’appuie sur une logique productiviste et qui renforce par la même occasion le productivisme agricole, dit à Reporterre l’économiste à l’université Paris Cité Pascal Grouiez. Ce phénomène se fait au détriment de la question des trente prochaines années qu’est la transition écologique. »
Nature energy, dont Shell est désormais propriétaire, fait d’ores et déjà fonctionner quatorze unités de méthanisation, essentiellement au Danemark. Le principe est simple : la fermentation de matières organiques végétales ou animales permet de créer du gaz. En France, l’entreprise danoise s’est distinguée par son projet de méthaniseur XXL à Corcoué-sur-Logne (Loire-Atlantique), qui serait le plus gros de l’Hexagone. Il est censé traiter 500 000 tonnes de matières (lisier et fumier) par an. Un troisième permis de construire a été déposé en décembre dernier, le conseil municipal ayant refusé les deux premiers. En Côte-d’Or, une unité va bel et bien voir le jour. Ce méthaniseur à la capacité de traitement de 200 000 tonnes par an se place sur les premières marches du podium des plus grosses installations françaises. Citoyens et militants écologistes se mobilisent samedi 14 janvier pour dénoncer ce géant du biogaz.

Le 12 janvier, c’est TotalÉnergies qui a mis en service un méthaniseur (BioBéarn) de la même envergure : 220 000 tonnes traitées pour une production de 160 gigawattheures à Mourenx (Pyrénées-Atlantique). Début 2021, la major a racheté Fonroche biogaz. Ainsi, des acteurs majeurs du pétrole ont ainsi pris les rênes de l’industrie française du biogaz. Ce mouvement est également visible à l’international : le pétrolier britannique BP a fait l’acquisition (pour l’équivalent de 3,7 milliards d’euros) en octobre dernier du producteur de biogaz américain Archaea energy.
Le risque : « une contradiction entre la transition énergétique et écologique »
Pascal Grouiez, économiste et coordinateur de l’étude Métha’Revenus, scrute l’évolution du secteur : « Il y a un risque de contradiction entre les objectifs de transition énergétique [portés par les industriels de l’énergie] et ceux de la transition écologique portés par les agriculteurs. » À Cérilly (Côte-d’Or), la coopérative agricole Dijon céréales s’allie à l’industriel Nature energy, désormais propriété de Shell, pour créer l’entreprise Secalia Chatillonnais et transformer 200 000 tonnes de seigle, utilisé comme culture intermédiaire, en 161 gigawattheures. Nous sommes dans la cour des grands méthaniseurs, même des très grands. Ceux portés par des agriculteurs ne dépassent pas les 100 000 tonnes par an. À partir de ce volume, il s’agit de projets portés par des collectivités, des industriels du déchet ou de l’énergie. Et pour cause, le projet Sécalia représente un investissement de 69 millions d’euros. Une somme qui n’est pas à la portée d’un ou même de quelques agriculteurs. Pascal Grouiez s’inquiète : « Quel sera le rapport de force entre la coopérative agricole et Shell ? Est-ce qu’elle parviendra à négocier un bon prix pour ses agriculteurs qui fourniront la matière première ? »
Face à un prix de rachat du kilowattheure instable et à des industriels aux fortes capacités d’investissement, quelle place pour une méthanisation plus petite, proportionnée aux fermes ? Le développement d’une méthanisation productiviste « va rendre difficile le développement d’une méthanisation en symbiose avec les exploitations agricoles au service de la consolidation de leurs activités et de la transition écologique », précise l’économiste.