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ReportageAgriculture

Minibus, campements et fermes écolos : le Tour de France version agricole

De sa chèvrerie au bâtiment de séchage en grange, Anthony Brunault a présenté l’histoire et le fonctionnement de son exploitation.

Pendant deux semaines, une vingtaine de jeunes ont participé à un Tour de France agricole : un voyage en minibus de Rennes à Dijon pour visiter des fermes agroécologiques.

Deux-Sèvres, reportage

De la Bretagne à la Côte-d’Or, vingt-deux jeunes ont sillonné les campagnes françaises pendant la dernière quinzaine d’août pour découvrir des fermes aux pratiques innovantes. Lancé en 2019 par trois jeunes fils d’agriculteurs, le Tour de France agricole en est à sa troisième édition.

Avant de s’installer sur une exploitation, ses organisateurs tenaient à comprendre les enjeux actuels de leur métier : crise écologique, désertification rurale, accès au foncier, collectif… Face à ces interrogations, ils sont allés chercher des réponses sur le terrain, auprès des paysans, soutenus par le Mouvement rural de jeunesse chrétienne.

À bord des trois minibus de cette année 2022, tous les participants n’ont pas le projet de s’installer. Ils sont futurs ingénieur agronome, vétérinaire, paysagiste, ou encore curieux et curieuses venus découvrir un pan de l’agriculture française. « C’est un moyen de faire un woofing intensif pendant deux semaines, avec différentes techniques et philosophies de vie », résume Marine, 25 ans, venue chercher « de l’espoir et de la force ». « Je savais qu’on n’allait pas voir les installations classiques et ça me faisait envie », explique Margaux, 25 ans, étudiante en arts.

Pendant deux semaines, les vingt-deux jeunes du Tour de France ont installé leur campement de ferme en ferme. Jules Mélé

Après plusieurs mois d’organisation en amont pour dessiner leur parcours, ils sont partis avec leurs tentes, leurs carnets et leurs stylos à la rencontre de leurs différents hôtes.

Le 16 août, c’est à Bressuire (Deux-Sèvres) que le petit campement d’une dizaine de tentes a élu domicile pour échanger avec Anthony Brunault, installé en polyculture élevage. En plus de l’élevage de 230 chèvres, Anthony a passé les 78 hectares de l’exploitation familiale en agriculture de conservation des sols (ACS) à partir de 2007. À l’époque, il devait y avoir « trois ou quatre personnes dans le département à travailler comme ça ». Au milieu de sa grange, qui sent le foin en train de sécher, il a expliqué ce choix qui lui a permis d’enrichir ses terres et dont il a donné les trois piliers : « Aucun travail du sol, des couverts végétaux permanents et des rotations de cultures diversifiées. »

Si son système porte aujourd’hui ses fruits, ou plutôt ses céréales, Anthony n’a pas manqué de conter à son jeune auditoire les difficultés rencontrées. Et même les « claques monumentales, dit-il. Mais je n’ai jamais envisagé de faire machine arrière. » Une pelle sur l’épaule, il finit sa visite en emmenant le petit groupe observer son sol après quinze ans de travail. Quelques trous dans les champs et hop, ils ont découvert une terre pleine de vers, de racines, de vie.

Anthony Brunault dans l’un de ses champs en agriculture de conservation des sols, avec une partie du groupe. © Jules Mélé

Cette inspection méticuleuse des sols s’est répétée quelques jours plus tard aux jardins de l’Osme, en Charente. Baptiste Brigot et Marina Lonardi ont choisi d’y faire du maraîchage sur sol vivant (MSV), toujours dans l’idée de ne pas travailler les terres.

Dans l’intimité du monde agricole

Au-delà des méthodes de production, ce sont aussi des récits de vie, des visions du monde, qu’étaient venus chercher les vingt-deux jeunes en se faisant une petite place dans les différentes fermes. Alors, à quelques kilomètres du jardin de l’Osme, le silence était de mise quand Bernard Peloquin, 82 ans, a raconté l’histoire de son exploitation, la ferme de Chassagne, aujourd’hui gérée par son fils.

« Je connaissais l’agriculture d’avant. Sans pesticides on arrivait à vivre quand même, donc je suis parti sur cette base-là », a-t-il dit simplement. Au moment de reprendre la ferme familiale, en 1968, il décida donc de la passer en bio, armé d’une simple brochure intitulée « petite grammaire de l’agriculture organo-biologique ». « Mon père me disait : tu cultives des mauvaises herbes ! »

« Je connaissais l’agriculture d’avant. Sans pesticides on arrivait à vivre quand même, donc je suis parti sur cette base-là », a expliqué Bernard Peloquin.

« Je suis épatée par la façon dont ils nous laissent entrer dans leur intimité alors qu’on est aussi nombreux », a remarqué Camille, 27 ans, touchée par cette envie de « planter des graines dans nos esprits ». La ferme de Chassagne continue d’innover puisqu’elle fait aujourd’hui partie d’un groupement de vingt-cinq fermes bio qui ont choisi de mutualiser leurs récoltes et leurs semences.

Prochaine étape ? La Ferme écologique de Gorce. Serfouette, Brouette et Binette, les trois minibus, ont repris la route. « Qu’est-ce qu’être responsable de 150 hectares de nature, vis-à-vis des humains, de l’ensemble des êtres vivants et de l’avenir de la planète ? » Pedro Raimbourg, éleveur bovin à la ferme écologique de Gorce, a pris de court ses visiteurs. Tout au long de la visite de ses terres, il s’est appliqué à transmettre la réponse que lui et sa femme Sophie, vétérinaire, tentent d’apporter à cette question.

Traité avec respect et habitué au contact humain, le troupeau de Pedro et Sophie Raimbourg se laisse approcher. Jules Mélé

Autour de l’une des mares qu’ils ont creusées, ils ont énuméré les espèces désormais installées. Le respect du vivant est au cœur de leur discours et de leur façon de gérer leurs terres. Au milieu des vaches — nourries à l’herbe — qui laissent leur belle robe rouge se faire caresser, les membres du Tour découvrent des méthodes d’élevage qui s’adaptent à l’animal et essaient de lui offrir une vie plus longue et plus apaisée.

Margaux, 25 ans, est particulièrement touchée par cette manière de penser le vivant : « Je suis végétarienne depuis sept ans et leur discours sur comment penser la consommation de viande, en honorant l’animal jusqu’au bout, m’a fait réfléchir. Je pense que si on doit reconstruire cette relation, c’est comme ça qu’il faut le faire. »

« Nous nous engageons à préserver les terres que nous cultivons »

Au moment de repartir le lendemain, une question de dernière minute est lancée : « Si vous faisiez des céréales, que choisiriez-vous entre ACS ou bio ? » Offrant à Pedro et Sophie une dernière occasion de transmettre leur philosophie de vie : « Il faut connaître les techniques mais elles restent des outils au service de ce qui vous mue, commence Pedro. Si vous avez un truc au fond du cœur, mettez-le en place et vous allez choisir les bons outils au bon moment. » « J’avais des attentes très terre à terre sur les techniques mais ce qui va surtout me rester, c’est la vision globale que les agriculteurs ont de l’agriculture et du monde », souligne Jules, étudiant à l’École nationale supérieure d’agronomie de Toulouse.

Le collectif s’accorde parfois des temps de pause entre deux visites de fermes. Jules Mélé

Ces rencontres ont également permis de souder le groupe et de nourrir les réflexions des uns et des autres. « Je savais pourquoi je venais : pour rencontrer des gens, pour les échanges », a dit Juliette, déjà un Tour à son actif. Pour Louise, 25 ans, « ce n’est pas seulement rencontrer des agriculteurs, c’est une expérience : vivre avec vingt autres personnes pendant deux semaines. » L’occasion, aussi, de découvrir les limites du collectif au fil des visites des fermes. « Quand on est jeune et qu’on a le désir de s’installer, on pense que le collectif c’est l’idéal, a observé Marie, 23 ans. On a vu qu’il fallait être vigilants. »

Le périple s’est terminé par un Festiv’agricole à la ferme de la Chaux en Côte-d’Or, durant lequel les différents groupes du Tour de France se sont rejoints. Au programme : conférences, tables rondes et temps d’échanges autour de leurs expériences respectives. Perché sur un baril à l’entrée de la grange, l’un des participants a déclamé : « Nous nous engageons à préserver les terres que nous cultivons. Nous exigeons une prise de conscience face à l’urgence. Sinon, comment bien vivre de nos terres et bien faire vivre nos terres ? »

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