Montée des eaux en France : les prévisions alarmantes des scientifiques

Le parking et la plage autrefois reliés par cette passerelle près de Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue, ont disparu. - © Jean Jalbert/Tour du Valat
Le parking et la plage autrefois reliés par cette passerelle près de Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue, ont disparu. - © Jean Jalbert/Tour du Valat
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Climat Eau et rivièresLa montée du niveau de la mer risque d’être plus importante qu’anticipé il y a dix ans, avec des répercussions pour les littoraux du monde entier, dont ceux de la France. Les scientifiques prévoient différents scénarios, comme une érosion et des submersions plus fréquentes et des conséquences jusque dans l’intérieur des terres.
[2/4 Une montée des eaux critique] Déjà affectés par l’élévation du niveau de la mer, les littoraux français vont devoir s’attendre à pire. Quelles sont les zones les plus à risque ? Que projettent les scientifiques ? Comment la France s’y prépare-t-elle ?
• Volet 1 : Hauts-de-France, Lacanau, Camargue… la montée des eaux devient critique
• Volet 3 : Montée des eaux : un repli inévitable mais des outils juridiques introuvables
• Volet 4 : Face à la montée des eaux, s’adapter plutôt que bétonner
Si la montée du niveau de la mer est l’un des effets les plus connus du changement climatique, que sait-on de ses conséquences sur les littoraux français ? Une chose est déjà certaine : partout sur la planète, le niveau de la mer a augmenté plus rapidement ces 100 dernières années que pendant les 6 000 années précédentes, à « un rythme accéléré », indique même le Copernicus Marine Service (CMEMS) dans un rapport publié le 7 juin, et près de 40 % de cette élévation contemporaine « peut être attribuée à l’augmentation de la température de l’océan ». Le niveau continuera donc d’augmenter au cours du XXIe siècle, quoi qu’il arrive.
« Si on réduit drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, le niveau de la mer augmentera d’environ 40 centimètres d’ici à 2100, explique Benoit Meyssignac, chercheur au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (Legos) de Toulouse, et coauteur du rapport spécial océan et cryosphère du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), résumant les scénarios qui font consensus dans la communauté scientifique. Dans un scénario de faible réduction de gaz à effet de serre [le plus probable aujourd’hui], il augmentera d’environ 85 centimètres, et plus ou moins 25 centimètres. »
Ces scénarios sont estimés à une probabilité de 83 %. Dans les 17 % restant, « il existe des scénarios extrêmes, à faible probabilité et fort impact, qui montrent que sous un réchauffement intense, une fonte rapide et inattendue de l’Antarctique provoquera une augmentation du niveau de la mer de 10 centimètres en plus. Mais les scientifiques accordent moins de confiance dans ces scénarios, car il n’y a pas de consensus sur les processus potentiels qui pourraient se déclencher ». Dans ces cas de figure extrêmes, l’élévation de la mer pourrait atteindre 1,10 mètre d’ici 2100.
Si la mer monte, les événements ayant aujourd’hui des hauteurs d’eau considérées comme extrêmes se produiront plus souvent. Il faudra donc des ouvrages plus importants pour s’en protéger. L’an dernier, une carte du groupe de réflexion Climate Central montrant les zones exposées au risque de submersions fréquentes, en fonction de différents scénarios de montée des eaux, a suscité beaucoup d’émotion. Ces projections ne prenaient néanmoins pas en compte celles déjà existantes, telles que les digues ou les cordons dunaires protégeant les côtes. À l’heure actuelle, les habitants des zones se trouvant déjà sous le niveau de la mer n’ont pas pour autant les pieds dans l’eau. En France, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a ainsi réalisé une carte du même type, avec des données topographiques plus précises.

Plus d’érosion, avec de fortes disparités le long du littoral
Les zones basses ne sont pas les seules concernées par le changement climatique. Il faut aussi se préparer, partout dans le monde, à plus d’érosion ; c’est-à-dire que des falaises ou des plages continueront de perdre du terrain. L’érosion est un phénomène naturel lié, entre autres, au mouvement des vagues, mais qui peut être accentué par les installations humaines sur le littoral. Il peut aussi y avoir des plages en accrétion (un gain de la terre sur la mer), mais de manière générale, les vagues et les marées apportent moins de sable qu’auparavant.
Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), établissement public, a réalisé une cartographie de l’érosion observée en France ces dernières décennies. Son étude montre que 20 % des côtes françaises et 37 % des côtes sableuses sont en recul, avec de fortes différences le long du littoral. Pour avoir des données plus précises, différents organismes locaux ont été créés ces dernières années, tels que l’Observatoire de la côte aquitaine ou le Réseau d’observation du littoral (ROL) de Normandie et des Hauts-de-France. Chacune de ces organisations a des modes de fonctionnement et d’action différents, et leurs travaux sont rassemblés par le Réseau national des observatoires du trait de côte.

L’érosion ne se produit pas à un rythme régulier. Par exemple, la côte sableuse d’Aquitaine se réduit de près de 1 à 3 mètres par an, mais lors d’une succession de tempêtes durant l’hiver 2013-2014, de nombreuses plages ont perdu plus de 20 mètres de terrain. Les falaises crayeuses de Seine-Maritime reculent en moyenne de 20 centimètres par an, mais il y a parfois des effondrements provoquant une érosion de 10 à 15 mètres en quelques secondes. Il peut y avoir de fortes disparités entre des localités proches géographiquement. Dans le Nord par exemple, le long de la Manche, « la baie de Wissant a reculé d’environ 300 mètres en une soixantaine d’années, mais il y a d’autres endroits où la plage s’élargit, comme à l’est de Calais », explique Arnaud Héquette, enseignant-chercheur rattaché à l’université du littoral Côte d’Opale et au CNRS.
Des études scientifiques tendent à montrer que la montée du niveau de la mer va accentuer l’érosion, mais on ne sait pas encore dans quelle mesure. « C’est un processus que l’on ne comprend pas encore très bien, dit Gonéri Le Cozannet, chercheur au BRGM. Nous n’arrivons pas à modéliser l’érosion avec précision à plus de dix ans. » Selon Arnaud Héquette, qui s’est penché sur plusieurs cas de tempête entre Dunkerque et la frontière belge, l’influence du niveau de la mer sur l’érosion est perceptible : « Lorsque les dunes s’érodent, ce qui est déterminant lors des tempêtes n’est pas la force des vagues, mais le niveau d’eau qui est atteint. »
« Cela va également impacter l’intérieur des terres »
« À long terme, il faut s’attendre à une plus forte érosion du trait de côte et des cas de submersion permanente, ainsi que des intrusions salines dans des terres de surface [et donc moins d’eau douce] », affirme le chercheur Benoit Meyssignac. En France, la Camargue, le Marais poitevin et les îles des tropiques sont selon lui les plus exposés à ces phénomènes. « Si la mer a augmenté de 1 mètre en 2100, cela signifie qu’il y aura eu depuis quelques dizaines d’années des submersions temporaires des ports, et on commencera à voir des submersions permanentes », abonde Gonéri Le Cozannet. Par ailleurs, selon lui, les littoraux français qui vont probablement s’éroder le plus sont ceux sur lesquels il y a « peu de déplacements sédimentaires », soit les « petites plages de poche de Méditerranée ». Mais difficile d’avoir une vision globale : « On sait où le trait de côte recule, on sait où sont les zones basses, mais nous n’avons pas de vision unique sur la manière dont l’élévation du niveau de la mer se traduit et se traduira sur le littoral. »
« Il ne faut pas imaginer que la montée de la mer affectera uniquement le littoral, cela va également concerner l’intérieur des terres avec des remontées de nappes phréatiques, des zones humides seront inondées et des zones qui n’étaient pas humides vont le devenir, explique Stéphane Costa, chercheur au CNRS LETG, rattaché à l’université de Caen. De plus, l’eau va pénétrer par les fleuves et les rivières et bloquer les écoulements, avec des répercussions sur plusieurs dizaines de kilomètres à l’intérieur des terres. »

Qu’en est-il des conséquences sur les installations humaines ? L’Évaluation nationale des risques d’inondation, publiée en 2011 par le ministère de l’Écologie, est l’une des seules synthèses à l’échelle du pays. Selon celle-ci, dans l’hypothèse d’une élévation du niveau de la mer de 1 mètre à l’horizon 2100, la submersion marine menace 1,4 million de résidents français. La Gironde, la Loire-Atlantique, la Seine-Maritime, le Nord et le Pas-de-Calais présentent à eux seuls la moitié des résidents permanents vulnérables au risque de submersion marine. Au moins 850 000 emplois seraient par ailleurs menacés en métropole. Après la tempête Xynthia en 2010, l’État a lancé un plan submersions rapides et prescrit des plans de prévention des risques littoraux (PPRL) prioritaires sur 303 communes littorales de la métropole.
Ces PPRL comprennent des cartes identifiant les zones à risque, fondées sur la modélisation de la dernière tempête extrême, avec une élévation du niveau de la mer de 20 centimètres. Ils identifient également les « aléas à horizon 2100 » avec un scénario d’élévation du niveau de la mer de 60 centimètres. Ces plans fixent des règles d’inconstructibilité pour les zones non urbanisées et des mesures de réduction des risques pour les zones déjà construites. Ils peuvent par exemple imposer la construction d’espaces refuges en hauteur dans les habitations. Dans les territoires où un PPRL a été approuvé, il est possible d’afficher les zonages réglementaires sur la carte interactive Géorisques. Ces plans sont également publiés sur les sites des préfectures, mais de nombreux PPRL prioritaires n’ont toujours pas été approuvés, en raison de contestations de la part d’élus ou des habitants. Ces zonages peuvent en effet entraver les logiques de développement des maires, ou faire craindre aux propriétaires fonciers une dévaluation de leurs biens. Ainsi, 40 % de ces PPRL faisaient toujours l’objet de discussion en 2019, selon les calculs du groupe de réflexion La Fabrique écologique.

Des politiques de prévention trop optimistes ?
Certains jugent que les prévisions de l’État dans ces plans de prévention sont trop pessimistes. Pourtant, avec l’actualisation des données scientifiques, l’hypothèse d’une augmentation de 60 centimètres du niveau de la mer d’ici à 2100 semble au contraire plutôt optimiste. Au sein des services de l’État, la possibilité de faire évoluer la règle ferait l’objet de discussion. Mais au vu des difficultés pour faire accepter les prévisions actuelles, on comprend que le réalisme a du mal à s’imposer.
« Si on ne parvient pas à tenir l’objectif de rester sous les 2 °C d’augmentation de température, il y a peu de chance que la montée du niveau de la mer ne soit que de 60 centimètres, regrette Gonéri Le Cozannet. Mais quand nous, scientifiques, arrivons avec des scénarios à 1 mètre, voire plus, on nous dit “Attendez, on verra ça dans dix ans”. » Il souligne par ailleurs que « si l’élévation du niveau de l’eau est de 1 mètre en 2100, cela signifie qu’en 2200, elle sera de 2, voire 3 mètres ».
Le géographe observe que nos voisins européens ont des stratégies bien différentes. « Au Royaume-Uni, pour la barrière à l’embouchure de la Tamise qui doit protéger Londres des inondations, les autorités ont planifié des travaux en prévision d’une élévation du niveau de la mer jusqu’à 3 mètres. » Les Néerlandais planchent également sur différents scénarios, dont une élévation de la mer supérieure à 1 mètre, en vue de préparer des protections lourdes. En Belgique, les digues sont plus largement dimensionnées qu’en France. Ces constructions en béton ne sont toutefois pas la panacée, car elles sont très coûteuses, pour le porte-monnaie et l’environnement. Un prix qui risque d’être de plus en plus souvent questionné à mesure que la mer monte.
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