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Climat

« Nommons les canicules, elles ont des responsables »

Contre TotalÉnergies, 250 activistes se sont réunis le mercredi 25 mai 2022 à l'initiative de Greenpeace, ANV-COP21, Alternatiba et Les Amis de la Terre.

La France a traversé deux vagues de chaleur en seulement deux mois. L’économiste Maxime Combes propose de les nommer d’après leurs responsables afin de « repolitiser » ces évènements climatiques extrêmes.

Maxime Combes est économiste. Il travaille notamment avec l’Observatoire des multinationales. Il a écrit Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et coécrit (avec Olivier Petitjean) Un Pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie (Seuil, 2022).



Reporterre — Vous aviez proposé de nommer la vague de chaleur de juin « TotalÉnergies1 ». Vous proposez de nommer la canicule actuelle « TotalÉnergies2 ». Pourquoi ?

Maxime Combes — Il y a une forme de fatalisme, d’abattement, de résignation face à ces vagues de chaleur. On a l’impression qu’elles nous tombent dessus, mais que l’on ne peut rien y faire. On le voit à la fois dans la population, mais également dans les réponses du gouvernement. On nous annonce cette canicule depuis quinze jours, mais il n’y a eu aucune mesure pour s’assurer que les services publics continuent de fonctionner et que les plus fragiles soient protégés. On ne nous parle pas non plus des responsables.

Donner aux vagues de chaleur le nom d’une entreprise permet de lutter contre cette résignation. Ça permet de repolitiser ces phénomènes, de remettre au cœur du débat public la question de l’urgence climatique et de ses responsables, et de débattre de la réponse à apporter en matière d’atténuation.


Comment cette nouvelle terminologie pourrait-elle changer notre perception des vagues de chaleur ?

Cela permettrait de mieux s’en rappeler et de faciliter la compréhension des enjeux. Un peu comme cela a été fait avec les cyclones. Tout le monde se souvient de l’ouragan Katrina [qui a eu lieu en 2005, aux États-Unis]. Plutôt que d’avoir « la canicule de 2003 », nous aurions pu lui donner un nom l’identifiant comme un évènement climatique extrême. Donner des noms montre que le réchauffement climatique se conjugue au présent. Il y a eu « TotalÉnergies1 », « TotalÉnergies2 », il y aura sûrement « TotalÉnergies3 », etc.

Ça permet également de sortir de l’idée selon laquelle ces vagues de chaleur ne seraient qu’un aléa climatique. Elles ne sont pas un aléa, mais la transcription concrète, dans notre vie de tous les jours, de ce que les scientifiques du Giec [1] n’ont cessé de démontrer dans leurs rapports depuis des années : que les vagues de chaleur seront plus nombreuses, plus longues et plus intenses si nos émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter. On entend encore, à la télé ou sur les réseaux sociaux, qu’il est normal qu’il fasse chaud. C’est normal qu’il fasse plus chaud l’été, mais ce n’est pas normal qu’il fasse 40 °C pendant quinze jours. Donner un nom aux canicules permet de montrer qu’il y a quelque chose d’anormal, qui va peut-être devenir la norme, mais qui est dramatique, problématique, et qu’il faut s’en occuper, comme on s’occupe d’un cyclone.



Pourquoi avoir choisi TotalÉnergies, plutôt que d’autres entreprises climaticides, comme Vinci, Renault ou tant d’autres ?

TotalÉnergies est la première multinationale de l’énergie en France, et la pire en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Elle fait partie des vingt entreprises qui ont le plus contribué au réchauffement climatique, et n’a fait que freiner les politiques climatiques des gouvernements. Encore aujourd’hui, elle continue d’investir massivement dans les énergies fossiles.

Nommer les canicules d’après TotalÉnergies, c’est le meilleur moyen de montrer qu’une catastrophe climatique n’est pas un accident, et que toute la population n’en est pas également responsable. Ça permet de pointer du doigt notre système énergétique dans sa globalité. Si l’on choisissait le nom d’un constructeur automobile ou d’autoroutes, au motif que tout le monde part en vacances, cela renverrait à la consommation individuelle. Là, on pointe du doigt le fondement de notre civilisation moderne, qui est construite sur l’exploitation des énergies fossiles. TotalÉnergies symbolise l’ébriété énergétique, alors qu’il faut aller vers la sobriété.

« Nommer les canicules d’après TotalÉnergies est de nature à provoquer le débat »

Par ailleurs, TotalÉnergies se moque de nous. Récemment, dans une tribune écrite avec les directeurs d’Engie et d’EDF, Patrick Pouyanné [le président-directeur général de TotalÉnergies] nous disait que nous avions un problème énergétique, et qu’il faudrait limiter notre consommation. Et quelques jours plus tard, il faisait un aller-retour en avion pour aller à Aix-en-Provence parler de sobriété énergétique ! C’est anecdotique au regard des émissions de gaz à effet de serre globales, mais cela dit beaucoup du comportement des élites face au réchauffement climatique. Elles considèrent que les politiques climatiques sont pour les autres, pas pour elles.

Le problème, c’est que le débat sur la responsabilité du changement climatique n’existe pas. Le gouvernement renvoie toujours l’urgence climatique à la responsabilité de chacun, ou à une responsabilité indifférenciée qui ne concerne personne. Nommer les canicules d’après TotalÉnergies est de nature à provoquer le débat.



Cette nouvelle terminologie pourrait-elle devenir officielle ?

L’idée chemine. La députée écolo Julie Laernoes a demandé à la ministre Agnès Pannier-Runacher [à l’Assemblée nationale, le 12 juillet] si elle serait d’accord pour renommer la prochaine canicule d’après TotalÉnergies. La ministre de la Transition énergétique a répondu qu’elle préférait rechercher des solutions plutôt que de « vociférer ». Mais non, le gouvernement ne recherche pas de solutions. Il n’a même pas de plan d’urgence pour répondre à la canicule.

Le fait que quelques journalistes s’y intéressent laisse entendre que cela pourrait prendre dans l’espace public. On essaie aussi de s’appuyer sur la communauté des militants écologistes, dans les ONG ou les partis politiques de gauche, pour que cette idée se répercute un peu partout. Cela obligerait davantage de médias à s’en saisir. Un journaliste de Mediapart, Mickaël Correia, a proposé de nommer les feux de forêt d’après les milliardaires français. Je vois d’un très bon œil tous ces débats, qui contribuent à repolitiser la discussion.

« Quand on ne nomme pas les choses, elles n’existent pas »

Des discussions commencent également à avoir lieu entre des scientifiques du climat et des météorologues de Météo France. L’idée ne leur déplaît pas, comme de nommer l’ensemble des phénomènes climatiques extrêmes. Cette discussion prendra du temps, et c’est normal. Il est peu probable que des noms d’entreprises soient retenus. Mais même s’ils leur donnent des prénoms, comme c’est déjà le cas pour les cyclones, nous aurons progressé. Quand on ne nomme pas les choses, elles n’existent pas.

On peut parfois se sentir tout petit, désemparé, sans capacité d’agir face à l’ampleur du changement climatique et de ses conséquences. L’objectif est de s’embarquer dans une histoire commune, dans laquelle on est capable de dénoncer les responsables du réchauffement climatique, et donc de transformer notre système.

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