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EntretienClimat

Nucléaire : le récit du débat Montebourg-Piolle sur Reporterre

« Le nucléaire est-il écologique ? » Réunis dans un débat organisé par Reporterre le 12 avril, Arnaud Montebourg, ex-ministre du Redressement productif, et Éric Piolle, maire de Grenoble, ont exposé leurs positions. Retour sur les points d’accord et de désaccord.

Lundi 12 avril à 20 heures, Reporterre organisait un premier débat entre l’ex-ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg et le maire écologiste de Grenoble Éric Piolle. Pendant une heure trente, ces deux figures de la gauche française ont expliqué leurs positions sur l’énergie nucléaire. Alors qu’il fait son retour sur la scène politique, celui qui se qualifie comme un « responsable politique défroqué » a défendu ardemment l’atome face à l’élu d’Europe Écologie-Les Verts, qui a pris le contre-pied de chaque argument pronucléaire.

Animé par Hervé Kempf et Émilie Massemin, le débat s’ouvre sur cette première question : « Le nucléaire est-il écologique ? » Voici l’essentiel des échanges.



La discussion commence par des amabilités, Arnaud Montebourg offrant à son contradicteur un pot de miel de sa marque Bleu Blanc Ruche. Les deux hommes se félicitent d’avoir un espace serein pour débattre, eux qui ont partagé « des combats communs de défense de l’industrie française », rappelle l’ancien cadre grenoblois de Hewlett-Packard, licencié pour avoir refusé de mettre en place un plan de délocalisation.

Tiré au sort pour ouvrir le bal, Arnaud Montebourg rappelle l’horizon brossé depuis plus de vingt ans par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) : « Si nous ne faisons rien, nous passons au risque connu, évalué, mesuré qu’un tiers des terres émergées ne seront plus habitables. » Et de poursuivre par l’immense défi à relever : « Notre responsabilité va être de dire comment faire pour arriver à supprimer les 51 milliards de tonnes de gaz à effet de serre émises chaque année par les activités humaines à un horizon assez acceptable pour stabiliser la croissance de la température sur la planète et éviter les drames et le chaos certain auquel nous destinons l’humanité. » Et pour Arnaud Montebourg, cela passe par le nucléaire.

Arnaud Montebourg offrant à Éric Piolle un pot de miel de sa marque Bleu Blanc Ruche.

« Le couple idéal nucléaire – énergies renouvelables »

Dans son plaidoyer pronucléaire, l’ancien avocat pointe que l’objectif majeur est la fin des énergies fossiles, en premier lieu le pétrole. Avec une série de chiffres, le tribun enfonce le clou, s’il en est besoin, sur l’ampleur de la tâche : « La France achète chaque année pour 50 milliards d’euros de pétrole, à un prix moins cher que celui de l’eau en bouteille », « la planète consomme 15 milliards de litres de pétrole par jour ». « Si on veut se débarrasser du pétrole, on aura besoin de tous les outils », en particulier du nucléaire, une énergie bas carbone. Et de défendre « le couple idéal nucléaire – énergies renouvelables » pour atteindre une société zéro carbone.

Éric Piolle : « Le nucléaire est trop lent à construire et trop risqué. »

Pour Éric Piolle en revanche, le choix du nucléaire ne tient pas l’analyse : « Le nucléaire est trop lent à construire et trop risqué » et « beaucoup trop coûteux. » Rappelant qu’une des dimensions de l’écologie est la durabilité, l’édile grenoblois défend qu’« une énergie dont le coût et le risque augmentent avec le temps n’est pas résiliente ». Et de cibler le « fiasco industriel » de l’EPR de Flamanville : dix ans de retard, toujours pas de date de démarrage, des coûts multipliés par six pour atteindre 19 milliards d’euros.

« Le rapport technologie – risque est insupportable »

L’appréhension du risque nucléaire entre les deux débatteurs est abyssale. « Fukushima = zéro mort ; Tchernobyl = zéro mort », assène Arnaud Montebourg. Une double affirmation qui surprend les personnes autour de la table.

Intervention du journaliste Hervé Kempf : « Attendez, là on doit intervenir. En tant que journalistes, nous avions dit que nous interviendrions...

Arnaud Montebourg - J’ai dit une bêtise ?

-  Oui. Zéro mort à Tchernobyl, vous avez dit quelque chose qui est inexact.

-  Combien alors ?

-  Il y a un débat, mais il y a eu un certain nombre de morts instantanément ou dans les semaines qui ont suivi. Ensuite, il y a eu un très grand nombre de morts...

-  On me dit que vous avez raison et que j’ai tort, donc je reconnais que je me suis trompé. »

« Il m’arrive de me tromper », reconnaît M. Montebourg, qui relativise toutefois le risque nucléaire en le comparant aux dégâts imputables à tous les gros projets énergétiques, comme le barrage des Trois-Gorges en Chine : « Nous sommes habitués aux risques. Il faut les reconnaître, les maîtriser. »

Pour Éric Piolle, le nucléaire représente un risque majeur, sans commune mesure avec un lâchage de barrage par exemple. Sa perception du danger d’un accident nucléaire a été notamment marquée par sa rencontre avec le Premier ministre japonais Naoto Kan au moment de l’accident de Fukushima, qui depuis plaide pour l’abandon du nucléaire : « Il a basculé dans un nouvel univers depuis, parce qu’il a vécu cette catastrophe nucléaire, le non-contrôle démocratique, les informations qu’on lui cachait, la peur que tout s’effondre. »

Et d’évoquer la question d’avoir des zones non habitables pour les êtres humains alors que les périmètres d’un accident nucléaire en France pourraient toucher Bordeaux, Lyon ou Paris. « Le rapport technologie – risque est insupportable. Ça ne peut pas être robuste », tranche le maire écolo. Qui rappelle que si les centrales nucléaires n’étaient pas garanties par l’État, aucun industriel ne miserait sur cette technologie.

Sur cet enjeu technologique et industriel, Arnaud Montebourg défend à travers le nucléaire l’indépendance énergétique de la France, dont il constitue la troisième industrie, l’EPR vendu en Chine ou encore l’innovation du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui est le quatrième déposant français de brevets. Mais ces arguments de l’homme du made in France ne tiennent pas pour M. Piolle, qui rappelle que la France a perdu des compétences sur la technologie de l’atome — elle a fait appel au Japon pour la cuve de l’EPR à Flamanville. Et que la majorité des brevets du CEA est déposée dans des domaines hors du nucléaire.

Quant à l’emploi, « je suis pour l’investissement dans le nucléaire », puisqu’il faut développer la technologie et les emplois pour le démantèlement des centrales. « La question n’est pas d’être pour ou contre le nucléaire, car il est là, mais de savoir si la photo finale est avec ou sans nucléaire », souligne Éric Piolle.

Autre désaccord de fond, la question des déchets. Pour le promoteur de l’atome, le réacteur à neutrons rapides conçu par la Chine est déjà la solution, puisque cette technologie utilisait les déchets radioactifs comme combustible. Mais « la promesse d’une solution technoscientiste » n’est pas la hauteur de « la responsabilité d’acteurs publics », selon Éric Piolle, qui souligne la durée de vie des déchets radioactifs à des échelles de temps géologiques.

« Les quarante impuissantes après les Trente Glorieuses »

Interrogé sur le mix énergétique en 2050, Éric Piolle défend le 100 % énergies renouvelables, en s’appuyant sur les scénarios montrant la faisabilité du tout renouvelable : ceux de Négawatt et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).

Si l’élu local se félicite que la France ait voté la division par deux de sa consommation énergétique, il s’inquiète qu’« elle ne démarre pas », alors que le pays atteint seulement entre 5 et 15 % des objectifs qu’il s’est fixés pour le développement des énergies renouvelables, la méthanisation mise à part : « Les quarante impuissantes après les Trente Glorieuses », s’énerve l’élu grenoblois. Il défend son bilan, avec la société mixte locale Gaz Électricité de Grenoble (GEG), dont la ville est actionnaire majoritaire et qui doit couvrir la totalité des besoins des habitants en énergies renouvelables.

Arnaud Montebourg : « On va arriver dans une impasse. Les industriels vont là où l’électricité est abondante et peu chère. »

Pour Arnaud Montebourg, le scénario 100 % renouvelable ne tient pas en raison de l’intermittence des sources d’énergies solaires et éoliennes et de l’absence de technologies pour stocker efficacement l’énergie produite. « On va arriver dans une impasse. Les industriels vont là où l’électricité est abondante et peu chère », s’inquiète l’ancien député de Saône-et-Loire. Son mix énergétique reprend celui de la stratégie nationale bas carbone : une augmentation de la part de l’électricité dans le bilan énergétique global de 25 à 60 %, avec le nucléaire qui représenterait la moitié de la ressource, l’autre moitié étant couverte par les énergies renouvelables.

Une bataille des chiffres s’engage alors entre les deux hommes sur la capacité de production des éoliennes. Elles produisent de l’énergie 20 % du temps selon le pronucléaire, 50 % selon l’anti. Tout dépend de la génération d’éoliennes, de la technologie impliquée. À l’argument que les énergies renouvelables ne produisent pas d’énergie en continu, Éric Piolle rétorque que les réacteurs nucléaires vont être de plus en plus intermittents eux aussi, à cause des travaux de maintenance croissants dus au vieillissement des centrales et aux conditions climatiques qui empêchent le refroidissement des réacteurs (eau trop chaude, débit d’eau trop bas) : « Aujourd’hui, même 36 % de la capacité de la puissance nucléaire est à l’arrêt », rappelle l’élu écologiste.

Énième point de divergence, la fermeture de la centrale de Fessenheim. Pour Arnaud Montebourg, la décision politique de fermer et ses conséquences en termes d’émissions de CO2 et de perte d’emplois sont indéfendables alors que ni l’Agence de sûreté nucléaire (ASN) ni l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) n’ont déclaré de problème justifiant cette fermeture. Pour Éric Piolle, cette fermeture de la plus ancienne centrale est à la mesure du risque qu’elle faisait peser sur le grand canal d’Alsace et la plus grande nappe d’eau douce d’Europe à proximité. Auquel s’ajoute le risque géopolitique d’une centrale basée à la frontière allemande.

Faire sauter le lobby du nucléaire

Autre pierre angulaire des arguments antinucléaires, la question démocratique. « La paralysie de la production des énergies renouvelables tient au lobby du nucléaire. Une situation très spécifique à la France et que nous devons faire sauter », dénonce Éric Piolle, pointant la concentration du pouvoir de l’atome. Et d’argumenter que « le sens des énergies renouvelables » est justement de « permettre une participation des habitants, des collectivités ». En face, Arnaud Montebourg pointe les conflits d’usage du territoire liés aux énergies renouvelables, pour l’installation d’éoliennes et de centrales photovoltaïques notamment.

Au-delà de nos frontières, chacun regarde les choix énergétiques des voisins à travers son prisme. Arnaud Montebourg pointe l’incohérence de l’Allemagne après l’accident de Fukushima de fermer ses onze centrales nucléaires, décision qui l’a conduit à ouvrir onze centrales à charbon et à gaz. Ce à quoi Éric Piolle rétorque que la trajectoire énergétique allemande lui permet déjà de baisser largement la part du charbon au profit des énergies renouvelables. Même passe d’armes sur la Chine : lorsque Montebourg défend le programme nucléaire de la Chine, Éric Piolle lui oppose que le géant asiatique investit massivement dans le renouvelable, vingt fois plus que dans l’atome.

« Un projet fédérateur à vocation universaliste »

Dans la dernière partie du débat, les deux invités ont été interrogés sur leurs priorités pour le prochain quinquennat. Ils partagent l’objectif de mobiliser la société vers un monde sans pétrole. « Un projet de société qui peut être un fardeau ou un enthousiasme, une forme de nouvelle vie », s’exalte Arnaud Montebourg. Une ardeur reprise par Éric Piolle : « Le projet écolo permet de retrouver un caractère pionnier à la France, un projet fédérateur à vocation universaliste. » Arnaud Montebourg défend une économie publique-privée pilotée par la puissance publique, la mise en place de la taxe carbone, des échanges mondiaux qui doivent se rétrécir, des budgets affranchis de l’obsession de la dette, « car pour investir il faut de la dette ». « Nous pouvons nous retrouver sur la limitation d’échanges internationaux dépourvus de sens », répond Éric Piolle.

Les deux hommes politiques évoquent également les sujets consensuels de la rénovation énergétique des bâtiments, une mobilité bas carbone, une production industrielle qui renonce au tout jetable et à l’obsolescence programmée. Ils concluent sur leurs points d’accord pour exercer le pouvoir ensemble. « Je suis persuadé que nous pouvons avoir un champ de travail qui permette l’exercice du pouvoir, un arc gauche-écolo-humaniste. Le différend sur le nucléaire n’est pas indépassable », conclut Éric Piolle. « Ce que je vois c’est la victoire de madame Le Pen s’il n’y a pas d’offre politique alternative au macronisme méprisant. C’est ça mon sujet. Le reste, on va s’arranger », confirme Arnaud Montebourg.

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