Nucléaire : les militants de Bure dénoncent un « procès politique »

Procès en appel des sept opposants au projet Cigéo, le 28 novembre 2022. - © Franck Dépretz / Reporterre
Procès en appel des sept opposants au projet Cigéo, le 28 novembre 2022. - © Franck Dépretz / Reporterre
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Nucléaire Luttes Justice Déchets nucléairesLe 28 novembre, la cour d’appel de Nancy a requis des peines allant de douze mois de prison ferme à huit mois avec sursis contre sept opposants au projet Cigéo. Leurs avocats, dénonçant une « procédure hallucinante », ont plaidé la relaxe.
- Nancy (Meurthe-et-Moselle), reportage
Dans la salle d’audience tout en bois et en moulures de la cour d’appel de Nancy, un grand soupir de soulagement se fait entendre... avant la suite de la bataille. Nous sommes le lundi 28 novembre, il est 9 h 30 et, dès l’ouverture du procès en appel de sept opposants à Cigéo, le président Vincent Totaro a fait une annonce : « Les prévenus sont définitivement mis hors de cause pour “association de malfaiteurs”. »
Contrairement à ce qui avait été initialement indiqué aux avocats de la défense, le parquet de Bar-le-Duc (Meuse) n’a en effet pas interjeté appel de la relaxe déjà obtenue en première instance pour ce chef d’accusation. Les autres infractions reprochées aux militants antinucléaires, qui ont tous fait appel, ont en revanche bien été réexaminées : organisation d’une manifestation non déclarée, attroupement après sommation de dispersion, dégradation et vol en réunion, détention en bande organisée de substances ou produits entrant dans la composition d’engins incendiaires.
Lundi 28 novembre au soir, l’avocate générale de la cour d’appel de Nancy a requis des peines allant de huit à dix mois de prison avec sursis pour six prévenus, tandis que douze mois de prison ferme ont été requis à l’encontre du septième. En première instance, le 21 septembre 2021, un opposant avait été totalement relaxé, quatre autres étant condamnés à des peines allant de six à neuf mois de prison avec sursis et deux autres à respectivement neuf et douze mois de prison ferme. À Nancy, les avocats de la défense ont plaidé à nouveau la relaxe pour l’ensemble des militants, dénonçant une « procédure hallucinante » et une enquête « parfaitement tirée par les cheveux ».

« Cette information judiciaire est un terrible échec, mais elle a en revanche magnifiquement réussi à brider logistiquement, matériellement et pécuniairement toute une mobilisation », a notamment déclaré Me Matteo Bonaglia lors de sa plaidoirie mardi 29 novembre. Depuis le début de cette affaire, il y a cinq ans, les prévenus s’alarment d’un procès « politique » visant à criminaliser et à étouffer leur lutte opiniâtre contre Cigéo, ce projet d’enfouissement de 85 000 m³ de déchets nucléaires extrêmement radioactifs, à Bure (Meuse).

Une enquête « tentaculaire »
Aucune partie civile n’a fait le déplacement. Et pour cause : en septembre 2021, la demande de constitution de partie civile de la commune de Bure et de son assureur avait été déclarée irrecevable par le tribunal de Bar-le-Duc. Six des sept prévenus, défendus collectivement, ont en revanche fait le déplacement pour ce procès en appel. Faisant valoir leur droit au silence, ils ont refusé d’intervenir ou de répondre aux questions de la cour. Ils ont toutefois montré un soutien les uns envers les autres : comme l’a rappelé Me Bonaglia, ce sont aussi des relations amicales et sentimentales qui ont été mises à mal par cette procédure « attentatoire à nombre de droits et libertés fondamentales ». De fait, pendant plus de deux ans, ces militants ont été interdits de se voir et de se parler en raison de l’information judiciaire.
Celle-ci a débuté en juillet 2017, avec l’ouverture d’une enquête contre X pour « dégradation par moyens dangereux et association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un délit puni de dix ans d’emprisonnement ». En cause : l’incendie en juin 2017 d’un hôtel-restaurant à Bure, connu pour héberger du personnel de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), en charge du projet Cigéo. Le juge d’instruction versera ensuite au dossier la dégradation, en février 2017, de l’écothèque de l’Andra, et une manifestation non déclarée qui a eu lieu le 15 août 2017. Une enquête « tentaculaire » a alors été lancée, l’État dépensant la somme d’1 million d’euros : des dizaines de personnes placées sur écoute, des perquisitions à répétition, une cellule de gendarmerie spécialement dédiée, la DGSI récupérant une partie des 450 objets placés sous scellés...
Des « techniques relevant de l’antiterrorisme et du grand banditisme », qui n’ont pourtant jamais permis de déterminer les responsables de la dégradation de l’écothèque et de l’incendie de l’hôtel-restaurant. Si un non lieu a été rendu le 8 avril 2021 pour ses deux affaires, celles-ci ont pourtant motivé le chef d’accusation d’association de malfaiteurs (depuis abandonné) pour les sept prévenus. Et, a fortiori, justifié l’ouverture de l’information judiciaire expliquant leur présence à la cour d’appel de Nancy… pour au final seulement « quelques infractions mineures », comme l’a dit Me Raphaël Kempf.

D’autant que, de l’avis des avocats, ces infractions sont insuffisamment « caractérisées ». Prenant l’exemple des personnes à qui l’on reproche la détention de produits explosifs, Me Florian Regley a démonté l’enquête à la sulfateuse. « Les 22 000 pages de ce dossier ne permettent à aucun moment de prouver leur intention de porter atteinte à des personnes ou des biens. En revanche, il est écrit qu’ils “ne pouvaient ignorer” à quel usage ces substances seraient destinées. Cette formule magique vise à combler les lacunes d’une enquête en tout point incohérente. Or, il s’agit ici de faire du droit », a-t-il lancé, non sans ironie. Pour lui, la qualification de « bande organisée » dans les réquisitions est « un affront fait à la justice » : « Aucun document, aucune déclaration, aucune écoute téléphonique, aucun message envoyé ne fait état d’un projet d’emploi de ces produits. »

Délibéré le 26 janvier 2023
De la même manière, son confrère Etienne Ambroselli a rappelé comment, tout au long de l’enquête policière et judiciaire, l’idée de « manifestation non déclarée » a été assimilée à tort à celle d’« illégalité ». « Or, une manifestation non déclarée ne peut absolument pas, et de quelque façon que ce soit, être considérée comme illicite. Participer à une manif’ non déclarée est l’exercice d’une liberté fondamentale », a-t-il ajouté. Sans oublier de souligner comment, outre deux gendarmes, plusieurs manifestants avaient été grièvement blessés par les forces de police lors de la manifestation du 15 août.
Matteo Bonaglia, lui, est revenu sur divers « raccourcis intellectuels » opérés par le juge d’instruction. Il a mis en avant le cas d’une prévenue censée avoir été « formellement identifiée » lors de cette fameuse manifestation. De quelle manière ? Grâce à une photo non horodatée… où l’on peut voir « son regard très prononcé par ses lunettes ». « Madame a pour sûr un très beau regard, mais que signifie un “regard très prononcé” ? » a demandé l’avocat, citant par ailleurs le nombre élevé d’adultes portant ce genre d’accessoire. Dans la salle d’audience, des rires se sont élevés. De même lorsque Me Bonaglia a listé les divers objets saisis dans le cadre de cette enquête, et dont la défense a demandé la restitution. Cette « liste à la Prévert — ou plutôt à la Maurice Papon » comporte des ordinateurs, des appareils photo, des téléphones portables, et même une bouteille de vin rouge Terre nature.

Du vin, il y en avait également au stand de soutien installé non loin de la cour d’appel par la Confédération paysanne. Nombre de personnes ont fait le déplacement pour épauler les prévenus. Parmi elles, Juliette Geoffroy, porte-parole du Collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs (Cedra) : « Ce dossier grossier a accouché d’une souris, et il serait peut-être temps de nous laisser passer à autre chose. D’autant que la lutte continue, quand bien même la répression policière et judiciaire contre Cigéo est toujours d’actualité au-delà de ce procès, par exemple dans le cadre de l’affaire Poma. »

Alors que l’État semble vouloir coûte que coûte relancer le nucléaire, des échéances importantes arrivent, dont le dépôt par l’Andra, d’ici la fin de l’année, de la demande d’autorisation de création (DAC) de Cigéo. Un projet pour lequel Me Bonaglia a eu ces mots, suscitant une émotion palpable parmi les prévenus : « Madame l’avocate générale a dit, lors de ses réquisitions, qu’il ne faisait pas bon jouer dans la rue pour les enfants lors de la manifestation du 15 août 2017. Mais sans celles et ceux qui comparaissent ici aujourd’hui, c’est pour les futurs enfants qu’il ne fera pas bon jouer dehors. »
La cour d’appel de Nancy rendra son délibéré le 26 janvier, à 13 h 30. Si la cour d’appel maintenait les condamnations, les opposants à Cigéo entendent porter l’affaire devant la Cour de cassation, voire la Cour européenne des droits de l’Homme.