Pain décroissant, livres et café épicerie, une recette de coopération conviviale

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Agriculture QuotidienLe CaLiBou, le café, librairie, boulangerie est né de l’alliance de cinq amis partageant les mêmes goûts pour la convivialité, la mixité sociale et les valeurs écolos. C’est à Godewaersvelde, dans le Nord.
- Godewaersvelde (Nord), reportage
C’est dans le village de Godewaersvelde, situé au pied du mont des Cats, dans le département du Nord, le long de la frontière belge, que Myriam Tiberghien, Gérard Lefebvre, Xavier Gambier, Véronique Lehérissé et Thibault Vandroth ont mis en œuvre collectivement un lieu d’activité afin de donner à leur trajectoire professionnelle une orientation nouvelle.
Myriam et Gérard étaient initialement salariés d’une association lilloise de protection de l’environnement dont ils estimaient « avoir fait le tour ». Ils souhaitaient tourner la page tout en conservant le même état d’esprit et en demeurant fidèles à leur engagement en faveur de l’écologie. Le besoin ardent de convivialité, le goût prononcé pour la mixité sociale et la passion pour les livres les ont conduits à créer, durant l’été 2017, un café-librairie, un concept qu’ils avaient découvert lors de leurs déplacements en Bretagne.

Sachant que Xavier, leur ami de longue date, envisageait lui aussi une reconversion professionnelle, ils ont proposé à ce dernier de s’associer à ce projet et d’adjoindre à la librairie un fournil bio. Ainsi prit naissance CaLiBou & Co, nom de l’établissement qui rassemble aujourd’hui café, librairie et boulangerie. « Nos volontés ont convergé, précise Myriam. Xavier habite Berthen, sur l’autre versant du mont des Cats, à dix minutes de Godewaersvelde, et nous souhaitions précisément nous installer à proximité d’un lieu touristique. Il se trouve que la région des monts de Flandre [1] attire chaque weekend des randonneurs. Lorsque le soleil est au rendez-vous, il y a du passage autour des monts. »
« Nous proposons ce que nous aimons »
Le café-librairie de Myriam et Gérard est également un restaurant (qui propose des faluches garnies, des soupes cuisinées à partir de produits locaux et essentiellement bio), un salon de thé (c’est Gérard qui prépare les gâteaux !), une épicerie (qui distribue notamment les pains bio commandés sur un cahier) et un relais de poste. « En venant retirer leurs colis ou leur lettre recommandée, certaines personnes s’approchent des livres et parfois en achètent », raconte Gérard.
L’ouverture d’une librairie dans une petite commune rurale a constitué un vrai défi que Myriam et Gérard ont su relever : « Nous avons été positivement surpris par l’existence d’une véritable demande que nous avons peut-être contribué à conforter en offrant les services d’une librairie de proximité. Nous essayons de sortir des sentiers battus en refusant les best-sellers et nous recyclons les livres d’occasion. En fait, nous proposons ce que nous aimons ! »

Romans, essais, bandes dessinées remplissent les tables et les étagères de la librairie, dont un espace a été aménagé afin de permettre au public de s’adonner à la lecture, mais uniquement celle des livres d’occasion.
Le CaLiBou & Co est un lieu de convivialité, ouvert, où les frontières entre les différentes activités ont été effacées. « On peut boire et ne pas acheter de livres de même que l’on peut s’emparer d’un livre et ne pas consommer, mais on peut faire les deux et certains y parviennent ! » observe Myriam. Des parents soucieux de faire vivre ce commerce local ont commandé aux libraires les livres scolaires demandés par les professeurs des collèges proches de Godewaersvelde. De même, l’institutrice du village a commandé plusieurs exemplaires de livres dont la lecture a été exploitée en classe. « Des gestes citoyens qui nous réconfortent », se réjouit Gérard.
D’autres manifestations, tels des concerts de musiciens locaux, des projections de films, des rencontres avec des écrivains en résidence à la Villa Marguerite-Yourcenar, nichée dans la verdure de Saint-Jans-Cappel, à une dizaine de kilomètres de Godewaersvelde, sont également organisées dans une troisième pièce de CaLiBou & Co. Un groupe de tricoteuses s’y réunira prochainement puis le film Trait de vie, de Sophie Arlot et Fabien Rabin, évoquant le retour à la traction animale sera projeté le 21 octobre. Un débat en présence des réalisateurs suivra la projection. L’occasion de défendre la cause paysanne et de soutenir les pratiques qui se démarquent de l’agriculture industrielle et mécanisée.
« Nous nous sentons bien accueillis. N’est-ce pas déjà une belle récompense ? »
Malgré leurs semaines bien chargées, Myriam et Gérard tirent un bilan satisfaisant de cette première année. « Il nous fallait changer de vie ! Certes, nous travaillons plus de 80 heures par semaine mais nous nous sentons bien accueillis. N’est-ce pas déjà une belle récompense ? » commente Myriam.
Une fenêtre placée sur le mur du fond de la dernière pièce laisse apparaître le fournil dans lequel s’active Xavier Gambier les lundis, jeudis et vendredis. Il était instituteur dans la métropole lilloise. « Un jour, j’ai écouté avec intérêt sur l’antenne de France Inter un reportage dressant le portrait d’un paysan-boulanger breton bio, Nicolas Supiot, et ce fut le déclic ! Pendant plusieurs années, cette idée a mûri. J’ai commencé à faire des pains pour la famille et pendant qu’ils levaient, grandissait aussi le rêve d’une nouvelle vie à la campagne. Myriam et Gérard m’ont ensuite fait part de leur projet, Godewaersvelde a été retenu et une nouvelle aventure a commencé ! » déclare Xavier, satisfait. Un couple de ses amis, Véronique Lehérissé et Thibault Vandroth, ont aussi décidé, en 2016, de devenir boulangers bio à la suite d’un tour de France des paysans. « Nous étions tous les trois intéressés par le bio ainsi que par les variétés anciennes de blé, précise Xavier. J’ai pensé qu’il était préférable de travailler en collaboration au CaLiBou, de partager le fournil plutôt que de se concurrencer. »

Après une formation suivie grâce à l’association Savoir-faire et découvertes chez Jean Michel Messiaen, à Clarques dans le Pas-de-Calais, qui enseigne les savoir-faire manuels, artistiques, artisanaux, locaux et écologiques, Xavier a obtenu son CAP de boulanger. Il a financé alors, en compagnie de Véronique et Thibault, l’achat du local, dont ils ont aménagé ensemble le fournil, qui a ouvert en 2017, après que l’instituteur a présenté sa démission auprès de l’Éducation nationale.
Véronique et Thibault ont créé leur Scop (société coopérative de production) Le pain déPAYSANts et Xavier a opté pour une Sasu (société par actions simplifiée à associé unique), dénommée Du pain décroissant. Ce type d’entreprise lui permet de demeurer affilié à la Sécurité sociale. Xavier se rassure : « Assimilé salarié, je parviens ainsi à bénéficier de la couverture sociale pour mes trois enfants et moi-même. » Il précise encore, au sujet de l’organisation du travail : « Nous sommes complémentaires, Véronique et Thibault occupent le fournil les jours où je n’y suis pas, mais nous parvenons à nous croiser régulièrement pour discuter. Juridiquement et financièrement, nous sommes indépendants et tout se passe bien entre nous ! »
« Je veux travailler pour gagner ce qu’il faut mais pas davantage ! »
Pourquoi Du pain décroissant ? « Pour le jeu de mot évidemment, répond Xavier, bien que je ne réalise pas encore de croissants ! Mais, plus sérieusement, je considère qu’il convient de consommer moins, de consommer mieux. Et puis, je veux travailler pour gagner ce qu’il faut mais pas davantage ! Je souhaite, avant tout, préserver ma vie de famille. Je ne travaille pas le mercredi ni le dimanche et je m’apprête à partir quelques jours durant les prochaines vacances de la Toussaint avec mon épouse et mes enfants. L’escargot, l’emblème de la décroissance, me convient très bien ! »
Xavier utilise de la farine issue d’une variété de blé ancien, le rouge de Bordeaux, que lui livre Michel Carol Patin, paysan boulanger du Pas-de-Calais. Il envisage de se rapprocher de l’Adearn (l’Association pour le développement de l’emploi agricole et rural dans le nord de la France) lorsqu’il disposera d’un peu plus de temps pour contribuer à faire vivre cette association, à laquelle, par ailleurs, adhèrent Véronique et Thibault. Les blés anciens se sont imposés aux trois boulangers en raison de leurs valeurs nutritionnelles supérieures à celles des blés modernes. Ils permettent également une meilleure préservation de la biodiversité. L’épicerie du café offre un débouché aux pains de Xavier, Véronique et Thibault et les marchés locaux ainsi que quelques restaurants lillois assurent l’appoint.

« Je suis ravi de ma nouvelle vie, conclut Xavier. Je ne parviens pas encore à dégager un vrai Smic, mais j’ai bon espoir. Je souhaite, avant tout, assurer le bien-être de ma famille, faire en sorte que ce soit agréable pour tout le monde et, surtout, je veux être libre ! »