Parc éolien marin d’Oléron : l’État « se moque de la biodiversité »

- © Tommy Dessine / Reporterre
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Nature Énergie OcéansChauve-souris, esturgeons... Le projet de parc éolien marin d’Oléron n’est pas une bonne nouvelle pour la biodiversité. Comme d’habitude, dénoncent les associations, la zone d’implantation a été choisie de manière « arbitraire ».
Il est un point sur lequel tous les scénarios énergétiques s’accordent : sans l’éolien marin, la France pourra difficilement atteindre la neutralité carbone en 2050, selon les experts du Réseau de transport d’électricité (RTE), de l’Ademe et de l’association Négawatt. Le déploiement des pales en mer fait cependant face à un obstacle : l’opposition d’associations de protection de l’environnement, de plus en plus nombreuses à critiquer les zones d’implantation (souvent très riches en biodiversité) choisies par l’État. Après le parc de la baie de Saint-Brieuc, contre lequel deux associations ont porté plainte en février dernier, le projet de ferme éolienne en mer d’Oléron, prévu pour 2030, concentre les critiques. Huit associations ont adressé en septembre un recours gracieux au ministère de la Transition énergétique. Elles dénoncent les « impacts négatifs » du futur parc sur l’écosystème charentais.
« Il sera au milieu d’une voie de migration pour les oiseaux et les chauves-souris »
« Nous ne sommes pas opposés aux énergies renouvelables, ni au parc éolien, mais à l’endroit où il est prévu », précise d’emblée Isabelle Loulmet, présidente de France Nature Environnement Nouvelle-Aquitaine. La zone choisie pour implanter de 50 à 80 éoliennes, dont la capacité installée devrait être comprise entre 500 mégawatts (MW) et 1 gigawatt (GW), a en effet de quoi surprendre.
Le gouvernement l’avait au départ placée dans le périmètre du parc naturel marin de l’estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis. Sa localisation a été légèrement modifiée à la suite du débat public, qui s’est tenu entre septembre 2021 et février 2022. Fin juillet, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a annoncé que les éoliennes seraient finalement installées à la lisière, et non à l’intérieur, du parc naturel marin. Pas de quoi rassurer les défenseurs de l’environnement. « Le parc éolien se trouve toujours dans une zone de protection spéciale Natura 2000, au milieu d’une voie de migration intercontinentale pour les oiseaux, les chauves-souris et les insectes », déplore le vice-président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), Dominique Chevillon. Les enjeux écologiques y sont « très importants », assure Élodie Martinie-Cousty, pilote du réseau Océans, mers et littoraux de France Nature Environnement (FNE) .

Grands dauphins, crabes masqués, gorgones verruqueuses, Guillemots de Troïl… Soixante-quatorze espèces marines seraient menacées par ces ouvrages, selon Dominique Chevillon. Les connaissances scientifiques sur les conséquences de l’éolien marin sur le vivant sont encore lacunaires. Dans un rapport publié en juillet 2021, le Comité national de protection de la nature (CNPN) s’inquiète de leurs effets possibles sur les oiseaux et les chauves-souris. L’implantation d’éoliennes en mer pourrait les priver d’espaces vitaux et causer des collisions mortelles, explique-t-il. En ce qui concerne les mammifères marins, le groupe d’experts craint que les travaux de construction ne génèrent une pollution sonore préjudiciable. Les « anodes sacrificielles » – des pièces en métal utilisées pour éviter la corrosion des mâts – pourraient quant à elles rejeter dans l’eau des métaux, notamment de l’aluminium, dont les effets sur la vie marine restent « insuffisamment étudiés ».

Dans le reste de l’Europe, la biodiversité est prise en compte
Les associations s’inquiètent également des effets du parc offshore sur l’écosystème terrestre. La zone étudiée pour son raccordement au continent englobe en effet des « zones humides d’importance majeure », où foisonnent hermelles, esturgeons et zostères. « Ce serait une perte de biodiversité unique, estime Sophie Huberson, de l’association Nature Environnement 17. On ne pourrait jamais la compenser. »
Les associatifs interrogés par Reporterre se disent tous « sidérés » par le choix du gouvernement. « On n’a pas travaillé à protéger des zones Natura 2000 pendant quarante ans pour qu’elles soient dévastées, grâce à l’État, par des industriels qui se moquent de la biodiversité et des écosystèmes, s’agace Dominique Chevillon, de la LPO. Ces zones auraient dû être évitées. »
Élodie Martinie-Cousty, de France Nature Environnement, regrette que l’État ait choisi les zones de développement de l’éolien marin de manière « arbitraire », en Charente-Maritime et ailleurs : « Il ne s’est imposé aucune méthode ». Dans le reste de l’Europe, et notamment en Allemagne, la biodiversité est prise en compte « en amont » dans le choix des localisations des parcs éoliens, observe le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) dans son rapport. Les zones les plus riches en mammifères marins et en oiseaux sont évitées, afin de réduire au maximum les effets des parcs éoliens sur le vivant et les activités qui en dépendent, comme la pêche. Au niveau européen, seuls 2,7 % des mâts sont situés à proximité ou au sein de zones classées Natura 2000, a calculé Sophie Huberson. « En France, nous n’avons pas fait de travail de planification », déplore Élodie Martinie-Cousty. « Tout se fait au coup par coup, sans vision globale », abonde Isabelle Loulmet.
« En France, tout se fait sans vision globale »
Jusqu’à présent, le gouvernement français a uniquement pris en compte les contraintes « socio-économiques ou militaires », regrette le CNPN. « Ce sont les industriels qui choisissent les lieux en fonction de leur rentabilité, fustige Dominique Chevillon. L’État ne défend pas l’intérêt général, ni l’environnement. Par ce type d’implantations, il défend les intérêts des industriels, pour la plupart étrangers, qui se moquent des incidences de leur industrie. C’est proprement scandaleux. » Contacté à de multiples reprises par Reporterre, le ministère de la Transition énergétique a refusé de s’exprimer sur sa méthode de sélection des zones d’implantation des parcs éoliens marins.
Opter pour l’éolien flottant, plus cher, serait moins néfaste
Afin de limiter la casse écologique, les associations opposées au parc éolien marin d’Oléron proposent de le décaler à l’ouest, dans une zone moins riche en biodiversité. « La filière de l’éolien flottant commence à démarrer, explique Élodie Martinie-Cousty. Grâce à elle, on pourrait mettre les parcs plus au large. Il y aurait beaucoup moins d’interactions avec la faune, les paysages et les pêcheurs, qui pêchent pour la plupart à moins de 12 miles [19 kilomètres] des côtes. » Seul problème : l’éolien flottant est pour le moment plus cher que l’éolien posé. [1] À l’horizon 2050, ses coûts d’investissement devraient s’élever à 60 euros par mégawatt-heure (MWh), selon RTE, contre 40 euros/MWh pour l’offshore posé. Ce qui reste moins cher que le nouveau nucléaire, précise Élodie Martinie-Cousty. « Grâce à l’éolien flottant, on pourrait mettre plus de parcs, plus grands, et avoir une meilleure autonomie énergétique », espère-t-elle.

À Oléron, le gouvernement ne semble pour le moment pas disposé à revoir sa copie. La détermination des associations de protection de l’environnement locales n’en reste pas moins « grande » : « Quand nous aurons épuisé les recours en France, nous saisirons la communauté européenne et les instances internationales », promet Dominique Chevillon. « Protéger la biodiversité est essentiel pour que notre monde reste vivable, insiste Isabelle Loulmet. Il ne faut pas la sacrifier au motif que nous devons atteindre un autre objectif tout aussi impératif, qui est la lutte contre le changement climatique. »