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Océans

Pillage des fonds marins : la course est lancée

L'un des engins qui seront utilisés dans les fonds marins par The Metals Company.

De gros engins d’une société canadienne vont bientôt ratisser le fond de l’océan Pacifique pour tester ces équipements. Une exploitation minière qui menace de nombreuses espèces.

Une mine à 20 000 lieux sous les mers ? Encore impensable il y a quelques années, ce sera chose faite… le mois prochain. La société canadienne The Metals Company (TMC) a obtenu, mercredi 7 septembre, le feu vert des autorités internationales pour tester ses machines extractives dans l’océan Pacifique. « Environ 3 600 tonnes de nodules polymétalliques devraient être collectées [d’ici la fin de l’année] », s’est réjouie la firme dans un communiqué.

Ces nodules, sortes de patates concentrées de minerais, attisent les appétits des compagnies minières en quête de nouveaux gisements. Sauf que pour les ramasser, il faut envoyer des engins jusqu’à 6 000 mètres de profondeur, ratisser les fonds marins, et les remonter à la surface, au risque de perturber ces écosystèmes sous-marins extrêmement fragiles.

« La plaine abyssale abrite une grande biodiversité, encore largement méconnue, rappelle François Chartier, qui suit le dossier au sein de Greenpeace France. À chaque fois qu’il y a eu des explorations, on a découvert de nouvelles espèces. » Anémones, vers tubulaires adaptés à la pression et l’obscurité, mais également cachalots, calamars, et autres poissons des profondeurs.

« Robot-pelleteuse », « aspirateur géant »

Autant d’êtres vivants qui pourraient être menacés par l’exploitation minière. « Concrètement, TMC va utiliser un énorme robot-pelleteuse pour aller chercher les minerais, ainsi qu’une sorte d’aspirateur géant pour les ramener à la surface, dit l’activiste écolo. Ce faisant, ils vont retourner et faire remonter les sédiments, ce qui pourrait perturber nombre d’espèces qui se nourrissent uniquement de ce qui tombe de la surface. » Pour Arlo Hemphill de Greenpeace USA, « [l’activité minière] pourrait entraîner une perte irréversible de la biodiversité et menacer des puits de carbone essentiels, la médecine future et les pêcheries internationales de thon et d’autres espèces », a-t-il déclaré dans un communiqué.

De son côté, la compagnie entend fournir des minerais afin de produire « des batteries pour 280 millions de véhicules électriques », le tout en générant « en moyenne, 90 % d’émissions de CO2 en moins que l’utilisation de minerais provenant de mines terrestres ».

Les nodules polymétalliques convoités dans les fonds marins. Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Abramax

TMC précise aussi que « tous les essais seront suivis par des scientifiques indépendants issus d’une douzaine d’institutions de recherche de premier plan dans le monde, qui analyseront les impacts environnementaux ». Pas de quoi convaincre François Chartier : « Certes, il y aura des scientifiques, mais le but de ces tests n’est pas la recherche, c’est bien de lancer l’activité industrielle. »

Une « provocation »

Pour la compagnie, il s’agit en effet de la dernière étape en vue d’obtenir un permis d’exploiter — le sésame lui ouvrant les portes des profondeurs. Le fruit d’un long travail de lobbying, révélé par le New York Times fin août : dès 2007, les dirigeants de la société canadienne ont reçu des informations clés de la part de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) — l’entité chargée de réguler les activées dans les profondeurs — leur permettant d’accaparer les parcelles de fonds marins les plus précieuses. À force de pressions, ils ont également noué un partenariat avec les petits États insulaires de Nauru et de Tonga, une alliance indispensable afin d’obtenir une licence d’exploitation [1].

C’est ainsi que Nauru Ocean Resources Incorporated (Nori), filiale de TMC, va effectuer ses essais cet automne. « Tout s’accélère, constate, amer, François Chartier. TMC et Nauru montrent leurs muscles, parce qu’ils espèrent obtenir une autorisation d’exploiter dès juillet 2023. »

Pour le militant, il s’agit d’une « provocation », alors que le mouvement en faveur d’un moratoire sur le pillage des fonds marins prend de l’ampleur. Lors de la Conférence des Nations unies pour l’océan, en juin dernier, associatifs, parlementaires, scientifiques et surtout des États se sont publiquement prononcés contre l’exploitation minière de la haute mer. Une position partagée — après moult revirementspar Emmanuel Macron.

À défaut d’un moratoire, difficile à obtenir au niveau international, nombre de pays espèrent l’adoption d’un règlement commun — l’équivalent d’un Code minier pour l’océan — afin d’encadrer l’extraction sous-marine. Ce sera l’objet de nouvelles négociations à l’AIFM, fin octobre prochain.

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