Pour sécuriser la chasse, le gouvernement envisage… une application

Pas encore annoncée, l'idée d'une application de géolocalisation des chasseurs est déjà vue comme inefficace. - Unsplash / Matthew Maaskant
Pas encore annoncée, l'idée d'une application de géolocalisation des chasseurs est déjà vue comme inefficace. - Unsplash / Matthew Maaskant
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Chasse Nature NumériqueLe gouvernement s’apprête à annoncer ses mesures pour sécuriser la pratique de la chasse en France. Plutôt que l’interdiction dominicale, il pourrait miser sur une application pour smartphones.
L’interdiction de la chasse le dimanche sera écartée et le gouvernement s’apprête à la place à annoncer le développement d’une application pour localiser les parties de chasse, ont affirmé plusieurs médias — notamment Le Figaro et Le Parisien.
Le gouvernement planche depuis plusieurs mois sur un plan « zéro accident » de chasse pour sécuriser la pratique de ce loisir. Lundi 9 janvier, à l’occasion d’un déplacement dans le Loiret, la secrétaire d’État à l’Écologie, Bérangère Couillard, doit dévoiler les mesures que le gouvernement entend déployer dans les six mois.
Insécurité en forêt
Ces informations ont fait bondir la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et le collectif Un jour, un chasseur. Durant la saison 2021-22, 90 accidents de chasse, dont huit mortels, ont été recensés par l’Office français de la biodiversité (OFB).
Parmi ces coups fatals, deux ont atteint des non-chasseurs. L’année précédente, la part des non-chasseurs blessés avait plus que doublé, soulevant l’indignation et la crainte des Français. Selon une enquête de l’Ifop, seuls 30 % des Français se sentent en sécurité lors d’une balade dans la nature, soit 16 points de moins qu’en 2009.
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« Je ne veux pas laisser penser que l’interdiction de la chasse le dimanche règlerait la question des six autres jours de la semaine », a justifié une source gouvernementale auprès du Parisien.
Pourtant, près de 80 % des Français sont favorables à cette mesure. À la place, le gouvernement miserait sur une application sur laquelle les chasseurs devront se localiser pour que les promeneurs puissent être informés en temps réel de la présence d’une partie de chasse à proximité.
« Encore une fois, c’est cracher à la gueule des victimes »
« On commence à être habituées à ce que le gouvernement n’avance pas. Mais encore une fois, c’est cracher à la gueule des victimes, dit à Reporterre Mila Sanchez, de l’association Un jour, un chasseur. Déployer une appli n’est pas une mesure de sécurité. C’est encore une fois demander au promeneur d’éviter des balles. »
La militante rappelle que les armes des chasseurs sont létales à plusieurs kilomètres. En 2020, son ami Morgan Keane a été tué dans son jardin. En 2021, le sexagénaire Joël Viard roulait en voiture sur l’autoroute lorsqu’il a été touché mortellement par le tir d’un chasseur. L’application téléphonique envisagée « ne règle pas le problème des morts », dit-elle.

Sans oublier les impasses de cette mesure : de l’absence de réseau dans certaines campagnes au défaut de localisation des chasseurs isolés, en passant par les personnes moins à l’aise avec ce type de matériel, ou celles qui n’en veulent tout simplement pas. « Dans les territoires où cette application est déjà utilisée, les retours sont que cela ne marche pas », dénonce la militante.
Un « gadget » facultatif
Même réaction du côté de la Ligue pour la protection des oiseaux. « C’est du gadget, de l’enfumage, a réagi son président, Allain Bougrain-Dubourg, auprès de Reporterre. C’est une dangereuse plaisanterie. D’abord, elle serait facultative. Dès lors qu’il n’y a aucune obligation, chacun s’en accommodera à sa manière et cela ne résoudra pas le problème. »
Par ailleurs, subordonner une promenade aux informations fournies par une application interroge les liens que nous tissons avec notre environnement. « Les promeneurs, les vététistes, les randonneurs, les cavaliers, les familles qui se promènent dans la nature devraient se balader avec cette application pour faire un cheminement conforme aux besoins et aux vœux des chasseurs. C’est le monde à l’envers », juge-t-il encore.
Enfin, quel cadre législatif pourrait soutenir une telle mesure ? Quelle responsabilité imputée aux promeneurs éventuellement blessés qui ne seraient pas connectés ? « Seraient-ils coupables ? » s’interroge Allain Bougrain-Dubourg.
Interdire la chasse le week-end
Début décembre, le député Europe Écologie-Les Verts (EELV) Charles Fournier a déposé une proposition de loi proposant d’interdire la chasse pendant les week-ends, les vacances et les jours fériés, ainsi que la pratique des chasses dites traditionnelles (à courre, en enclos).
« Je n’interdis pas la chasse à travers cette proposition. Je dis juste que pour des raisons sécuritaires, il faut interdire la chasse les jours où les promeneurs utilisent la nature. Ce sont des loisirs qui ne sont pas compatibles », a expliqué le député sur BFM TV. Cette mesure existe dans de nombreux pays européens : l’Italie, le Portugal, l’Espagne, l’Angleterre, la Suisse, les Pays-Bas ont choisi un jour ou deux sans chasse. « La France est extrêmement en retard à ce niveau-là. Au Royaume-Uni, il est interdit de chasser le dimanche depuis 1831 », explique Mila Sanchez.

Et les chiffres sont sans appel : sur les 80 incidents relevés dans la presse depuis septembre 2022 et répertoriés par le collectif Un jour, un chasseur, 57 ont eu lieu le week-end, dont 39 le dimanche. « C’est à ce moment-là que les familles sortent se promener et inévitablement c’est là qu’il y a des problèmes », explique Mila Sanchez.
La Fédération nationale de la chasse s’est farouchement opposée à cette proposition, en particulier contre l’interdiction de la chasse le dimanche. Son président, Willy Schraen, a prévenu : « Cela mettra à feu et à sang toute la ruralité. » Une remarque à laquelle le gouvernement n’est probablement pas sourd. « Ce n’est pas le moment de faire des étincelles inutiles avec des gens susceptibles de manifester alors que les motifs de contestations s’accumulent », a ainsi souligné une source gouvernementale au Figaro.
Quel repos pour la nature ?
D’ailleurs, la Fédération semble satisfaite des annonces à venir lundi 9 janvier matin. Selon La Dépêche, elle doit « publier une lettre soutenant la vingtaine de propositions qui sera présentée par le gouvernement lundi [le 9 janvier] ».
Si cet abandon de l’interdiction dominicale était confirmée, « cela signifierait un grand renoncement de l’exécutif, alors même qu’il s’agit d’une mesure efficace, très largement consensuelle et réconciliatrice », estime la LPO. La France est le pays d’Europe où l’on chasse le plus grand nombre d’espèces d’oiseaux : 64 contre 39 en moyenne dans le reste de l’Europe. 20 millions d’animaux sont élevés pour la chasse. Et 15 espèces chassées figurent sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). « La nature, elle aussi, serait satisfaite de respirer pendant une journée, le dimanche. Voilà la réalité », conclut Allain Bougrain-Dubourg.