Relance : le gouvernement fait l’impasse sur l’écologie

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Économie PolitiqueLes déclarations du président de la République de bâtir un monde d’après « résolument écologique » sont contredites par la présentation du projet de loi de finances rectificatif. Unanimes, les associations écologiques déplorent le soutien aux secteurs néfastes à l’environnement et l’absence d’aide à la transition.
La sincérité écologique du gouvernement se trouve à nouveau mise au banc d’essais. Après de multiples annonces sur « le monde d’après », le troisième projet de loi de finances rectificatif, présenté ce mercredi 10 juin en Conseil des ministres, fait figure de « moment de vérité », selon les mots de Véronique Andrieu, directrice du WWF. Car jusqu’ici, « si le virage écologique et social était dans tous les discours, dans les actes, les mesures prises ont surtout montré une volonté de ménager l’économie, en saupoudrant de poudre verte de perlimpinpin », constate le Réseau Action Climat (RAC) dans un dossier consacré à ce sujet.
Emmanuel Macron a souverainement tweeté :
Le monde d'après sera résolument écologique. Je m'y engage. Nous le bâtirons ensemble. Nous avons une opportunité historique de reconstruire notre économie et notre société sur de nouvelles bases, de nous réinventer, d’investir dans un avenir décarboné.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) June 5, 2020
Mais les paroles ne pèsent rien face à la réalité des faits. Le nouveau budget, qui doit ensuite être débattu et adopté par le Parlement, ajoute 40 milliards d’euros au compteur des financements de sauvetage et de relance de l’économie — 20 milliards d’euros de soutien financier direct et 300 milliards d’euros de prêts garantis aux entreprises. « La gravité de la crise appelle une réponse massive et immédiate », a justifié Bruno Le Maire, ministre de l’Économie. Pour « soutenir un certain nombre de secteurs les plus menacés, et, avec eux, des centaines de milliers d’emplois », le gouvernement n’a donc pas lésiné sur les moyens : 15 milliards d’euros pour l’aéronautique, 18 milliards pour le tourisme, 8 milliards pour l’automobile ou encore 1,2 milliard pour la « French Tech ».
Le détail de ces aides sera précisé lors des débats parlementaires, mais les écolos voient d’ores et déjà rouge. Dans un communiqué, le RAC a vivement regretté « que le gouvernement ait de nouveau pris des décisions doublement néfastes pour le climat » :
D’abord car il finance des activités économiques à l’origine de la crise climatique sans contreparties écologiques et sociales fortes et contraignantes ; ensuite car il n’apporte pas l’argent nécessaire pour accélérer la transition écologique et baisser les émissions et les inégalités sociales. »
Autrement dit : le compte n’y est pas. Le réseau, qui fédère de nombreuses ONG autour des enjeux climatiques, tique particulièrement sur quatre éléments de ce nouveau budget :
- l’absence de conditionnalités sociales, puisque le gouvernement semble accorder ses aides « sans s’assurer qu’un maintien des emplois est garanti, alors qu’une incertitude pèse sur les plans sociaux que mettront en place ces entreprises » ;
- l’absence de conditionnalités environnementales, notamment pour le secteur aérien et automobile. « Les 165 millions d’euros d’investissement public [1] dans des avions dits “zéro carbone”, seul gage donné par le gouvernement en plus des faibles écoconditionnalités pour Air France, montre que la question de la réduction de l’effet climatique de l’aérien n’est pas prise au sérieux », note le RAC. Le secteur automobile bénéficie pour sa part de 8 milliards d’euros de soutien incluant « 400 millions d’euros dont une grande partie permettra de déstocker des véhicules diesel et essence neufs ».
- la logique croissanciste sous-jacente à ce nouveau projet de loi de finances, qui « confirme les annonces du gouvernement de viser la croissance de la vente de biens et de services pour augmenter l’assiette de la TVA afin de rembourser la dette contractée pour faire face à la pandémie, regrette le RAC. C’est nier que l’empreinte carbone des produits que nous importons représente désormais 57 % de nos émissions de gaz à effet de serre. »
- le manque de soutien aux collectivités territoriales, « qui portent plus de 70 % de l’investissement public ». Afin de faire face à la baisse des recettes, le gouvernement propose 4,5 milliards d’euros pour l’ensemble des collectivités, une enveloppe « insuffisante », et non fléchée « sur les secteurs de la transition », déplore le RAC.
Inquiètes de ne pas être écoutées par les décideurs, indignées par la pression redoublée des lobbys, plusieurs grandes ONG ont décidé de monter au créneau ensemble. Greenpeace, le WWF, France Nature Environnement, Oxfam, la Fondation Nicolas-Hulot, le Secours catholique et le Réseau pour la transition énergétique (Cler) ont ainsi vertement critiqué l’absence d’ambition écologique et sociale du gouvernement. « On voit des promesses, des annonces, mais rien d’engageant à ce stade, observe Alain Grandjean, président de la Fondation Nicolas-Hulot. C’est une grosse déception de ne pas voir de cap, de volonté claire… On attend toujours un plan d’ensemble cohérent, plutôt que des mesures d’urgence sectorielles. »
Les mesures qu’il faudrait prendre

Pas question pour autant de baisser les bras : « Tout ce qui s’est passé offre une occasion incroyable aux décideurs publics, veut croire Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace. On n’a jamais autant entendu d’appels à des changements. Mais il n’y aura pas de “monde d’après” si la puissance publique n’impose pas aux grands pollueurs des changements importants. » Pour rectifier le tir, les ONG ont publié leurs « lignes rouges » à ne pas dépasser et leurs propres recommandations pour ce nouveau projet de loi de finances.
Parmi les préconisations, on retiendra :
- l’importance de poser des conditions à respecter en contrepartie des aides accordées : obliger les entreprises qui reçoivent les aides à prendre des engagements chiffrés et contraignants de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (via le reporting climat notamment) ; encadrer le versement des dividendes et des bonus aux dirigeants ;
- dans le secteur des transports : un plan de développement du secteur ferroviaire ; une réforme de la fiscalité automobile (pour freiner l’essor des SUV) ainsi que du secteur aérien (pour taxer le kérosène) ;
- pour « réduire la précarité » : un « revenu climat » financé par la taxe carbone ; un plan massif pour rénover les passoires énergétiques ; un plan de transition des emplois vers des emplois « verts » en particulier.
- pour « relocaliser la production » : un soutien aux projets citoyens et publics d’énergie renouvelable et l’abandon des projets coûteux d’EPR nucléaires ; un moratoire sur l’artificialisation des terres ainsi que l’accompagnement de la création de circuits courts et de filières agricoles locales durables.
Les associations ont également souligné l’importance de l’échelon européen : la nouvelle Politique agricole commune, actuellement en négociation, le « pacte vert » (Green Deal) et le budget européens sont autant d’outils qui façonneront la direction que prendra la reprise économique.
Après les multiples appels « pour l’après » lancés par des collectifs, plateformes et autres pactes, ce nouveau pavé dans la mare éclaboussera-t-il les décideurs ? « C’est la première fois que toute la société civile organisée est mobilisée et formule des propositions convergentes, estime Véronique Fayet, du Secours catholique. Quand l’ensemble des associations et des syndicats dit stop et demande un nouveau modèle avec un plancher social et un plafond écologique, il faut que le gouvernement entende… Sinon, on va au-devant de graves problèmes. » Certains associatifs espèrent également que les propositions émises seront reprises par des députés ou des sénateurs sous forme d’amendements. Le texte sera examiné à l’Assemblée nationale à partir du 29 juin puis au Sénat à compter du 15 juillet. De son côté, le gouvernement a rappelé ce mercredi que viendra ensuite « le plan de relance national », censé rendre « l’économie plus forte, compétitive et durable », d’après M. Le Maire, qui n’a cependant pas donné de calendrier précis.