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Nucléaire

Sûreté nucléaire : les députés sauvent l’IRSN

Lors du rassemblement des salariés de l'IRSN, à Paris le 28 février 2023, Patrick Lejuste et Nicolas Brisson ont exposé leurs incertitudes quant à leurs futures missions.

L’Assemblée nationale a rejeté le 15 mars la dissolution de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dans le gendarme du nucléaire (ASN). Mais le projet pourrait être revu une seconde fois.

Raté ! Le gouvernement n’aura pas réussi à imposer la dissolution de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), expert technique, dans l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), gendarme de la filière. L’Assemblée nationale a rejeté cette réforme lors de l’examen de la loi d’accélération sur le nucléaire, le 15 mars en début de soirée.

Le suspense a duré jusqu’au bout. Peu après 17 h 30, le gouvernement avait obtenu le maintien de la réforme à 2 voix près, 147 voix pour et 145 contre, avec le soutien du Rassemblement national. La situation s’est retournée juste après, avec le vote à main levée d’un amendement d’un député Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires (Liot). « La sécurité nucléaire repose sur une organisation duale composée de l’Autorité de sûreté nucléaire […] et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, a lancé Benjamin Saint-Huile. Cette organisation garantit l’indépendance entre d’une part, les activités de contrôle de la sûreté nucléaire […] et, d’autre part, les missions d’expertise et de recherche. »

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Fait notable, quelques députés de la majorité ont joint leurs voix aux oppositions de gauche à la réforme, comme l’a observé l’AFP. « Sans aucune étude d’impact [...] c’est une folie de nous balancer ça comme ça », a ainsi lancé la députée Renaissance et ancienne ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, se disant « choquée ». « Tu sais parfaitement que cette réforme et cette interrogation étaient engagées déjà il y a quelques mois », lui a répondu la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher.

Dégradation de la sûreté nucléaire

Le projet de fusion entre l’IRSN et l’ASN avait été rendu public le 8 février dernier, cinq jours après la réunion à huis clos du premier Conseil interministériel de politique nucléaire. Parmi les objectifs invoqués, « fluidifier les processus d’examen technique et de prise de décision de l’ASN », alors qu’un chantier titanesque attend la filière nucléaire avec le prolongement des réacteurs existants et la construction de six nouveaux EPR. Puis, sourd à la demande de l’intersyndicale de l’IRSN de prendre le temps de mener cette réorganisation d’ampleur, le gouvernement avait décidé de l’introduire par simple amendement à la loi d’accélération sur le nucléaire. Ceci, en court-circuitant le Sénat, qui avait déjà adopté le texte fin janvier.

Cette réforme de la sûreté nucléaire était dans les cartons depuis bien plus longtemps, a révélé le média Contexte lundi 13 mars. Elle figurait dès octobre 2022 dans les 174 « sujets envisagés » par le Secrétariat général à la planification écologique, créé après la réélection d’Emmanuel Macron. Le Canard enchaîné du 15 mars affirme quant à lui que c’est le président de la République lui-même qui a donné l’ultime impulsion.

Depuis, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer une réforme dangereuse, qui pourrait aboutir à une dégradation de la sûreté nucléaire. Dans un avis du 13 mars, le Haut Comité à la transparence et à l’information sur la sécurité nucléaire a réclamé une concertation pluraliste sur les missions et rôles de la future autorité, et le respect des recommandations de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (Opecst).

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Ce dernier, dans une note récupérée par Contexte, pointait le manque de crédibilité d’une réforme pouvant être perçue « au mieux comme un simple “meccano administratif”, au pire comme un moyen de ne pas faire obstacle aux objectifs fixés à la filière pour le renouveau du programme électronucléaire national ». Dès 2014, un rapport de la Cour des comptes alertait sur les « multiples difficultés » que soulèverait une fusion entre l’IRSN et l’ASN.

« Ce n’est pas encore gagné »

Dans ce contexte, le vote du maintien de l’IRSN a été largement salué. « Je suis très content, mais je me méfie de ma joie, car ce n’est pas encore gagné. Le gouvernement doit entendre ce rejet », a réagi François Jeffroy, élu DSC CFDT à l’IRSN. Dans un communiqué envoyé peu avant 23 heures, l’intersyndicale de l’institut a exprimé sa « reconnaissance la plus profonde » à l’égard des députés. Le 13 mars, plusieurs centaines de salariés grévistes, sur les 1 700 que compte l’institut, étaient encore rassemblés devant l’Assemblée pour clamer leur indignation et défendre leur indépendance.

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« L’injonction présidentielle, le baratin gouvernemental, les pirouettes de la majorité n’ont pas suffi : bravo à l’Assemblée pour avoir, avec sagesse, repoussé le projet opaque, précipité et dangereux de démantèlement de l’IRSN », s’est réjoui sur Twitter l’ancien député et président de l’Opecst Cédric Villani, opposant farouche de la réforme.

Mais si l’IRSN a remporté une bataille, elle n’a pas encore gagné la guerre. Le gouvernement peut encore recourir à une deuxième délibération, d’ici la fin des débats vendredi soir et le vote solennel prévu mardi 21 mars. Puis, la navette parlementaire devrait se poursuivre avec un retour du texte au Palais du Luxembourg. « Nous avons proposé au Sénat, compte tenu de l’importance du sujet, d’avoir une deuxième lecture », a en effet prévenu Mme Pannier-Runacher.

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