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ReportageSanté

Trente ans après Tchernobyl, la radioactivité contamine toujours les enfants

Des enfants ukrainiens, russes et biélorusses qui n’étaient pas nés au moment de l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl vivent contaminés par la radioactivité. L’association Les enfants de Tchernobyl en accueille chaque été en France pour faire baisser leur taux de césium 137 et réduire les risques pour leur santé.

  • Muhlbach-sur-Munster (Haut-Rhin), reportage

Ce samedi de juillet, Anastasiia, Bogdan et des dizaines d’autres enfants ukrainiens se sont donné rendez-vous à l’ancienne station de ski de Gaschney (massif des Vosges) avec leur famille d’accueil. L’ancien domaine, flanqué d’une forêt et de sentiers de randonnées, offre un cadre bucolique à cette journée festive. Au programme : balades, jeux et pique-nique. À les regarder jouer, on en viendrait à oublier qu’ils sont tous originaires de villages contaminés par l’accident de Tchernobyl survenu en 1986.

Pour ces jeunes, le départ en vacances a commencé d’une curieuse façon. Avant de décoller pour la France, les quatre-vingt-douze enfants ukrainiens, âgés de 8 à 17 ans, se sont rendus à Kiev pour mesurer leur charge corporelle en césium 137. Cet élément, issu de la fission de l’uranium, est un des marqueurs de la présence de radioactivité. Ce séjour estival loin de chez eux devrait leur permettre de faire baisser leur taux de radioactivité.

Pour vingt d’entre eux, c’est leur premier séjour en famille d’accueil. Pour les autres, les retrouvailles étaient très attendues, du côté des familles d’accueil comme des enfants. L’association Les enfants de Tchernobyl organise ces séjours depuis 1993 et accueillait cet été ses 56e et 57e groupes, soit 161 enfants pour 2019 : en juillet les Ukrainiens et en août les enfants russes.

La contamination par l’alimentation est la plus nocive 

« Ce sont des enfants de familles très pauvres. Ils n’ont pas souvent la possibilité d’aller vivre ailleurs », explique Catherine Albie, membre de l’association, qui s’est rendue plusieurs fois dans les villages à proximité de la centrale ukrainienne. La population avait été évacuée dans une zone d’exclusion de trente kilomètres autour de la centrale dès 1986, sans que le périmètre soit élargi depuis. Or, des villages bien plus éloignés présentent toujours des taux de césium 137 trop élevés.

Thierry Meyer, président et fondateur de l’association Les enfants de Tchernobyl, se rend régulièrement en Ukraine pour rencontrer les habitants ou aider à mesurer la radioactivité des sols. « On a rencontré la directrice de l’hôpital de Narodytchi qui nous a dit que sur un peu plus de mille enfants qui passent dans l’établissement pour des bilans de santé annuels (organisés par l’école), aucun enfant n’est en bonne santé. » Cette ville se situe à une centaine de kilomètres de Tchernobyl. Comme à Novozybkov, en Russie, d’où proviennent les enfants accueillis au mois d’août. La ville, jamais évacuée malgré son classement en « zone d’évacuation », peut révéler des taux de césium supérieurs à certains endroits de la zone interdite de Tchernobyl. Ce fut notamment le cas dans une des cours d’école.

On a du mal à comprendre qu’on puisse continuer à vivre dans ces endroits-là, en Russie, en Ukraine mais aussi en Biélorussie. « Tous les gens qui avaient un peu d’éducation et qui comprenaient ce qu’il se passait sont partis, explique Thierry Meyer. La radioactivité est inodore, incolore, on ne sent rien du tout sur place et la région autour de Tchernobyl est belle, ça peut être difficile à comprendre. »

Thierry Meyer, au micro, et les 92 enfants ukrainiens accueillis en juillet 2019 font face aux familles d’accueil.

La radioactivité des sols et des forêts n’est pas la pire pour la santé. La contamination par l’alimentation est la plus nocive et les habitudes locales ne font qu’empirer les choses. La cueillette, la chasse et la pêche, en plus d’être fermement ancrées dans les habitudes, constituent un moyen de subsistance pour les familles défavorisées. Or, c’est justement dans ces aliments que la radioactivité est la plus forte. Surtout les champignons, qui absorbent de grandes quantités de césium 137 et peuvent constituer le plat principal des familles durant des semaines.

 Autre facteur de contamination : le bois des forêts

L’association Les enfants de Tchernobyl aide aussi ceux qui ne sortent pas des zones contaminées, en leur expliquant par exemple comment préparer les champignons pour qu’ils soient moins radioactifs. Des campagnes d’affichage sont aussi réalisées pour informer les habitants sur les champignons qui absorbent moins de radioactivité.

Autre facteur de contamination : le bois des forêts. « Les choses sont mal faites », commente Catherine. En effet, les familles ukrainiennes vivant dans ces zones se chauffent essentiellement au bois, qu’elles ramassent dans les forêts autour de la centrale. En brûlant, le bois libère des particules de césium 137, lesquelles sont ensuite inhalées. Puis, les cendres étant souvent utilisées comme engrais dans le potager, elles contaminent les aliments cultivés. Et si cela ne suffisait pas à noircir le tableau, les fréquents incendies de forêt remettent en suspension la radioactivité contenue dans les arbres.

« À partir de vingt becquerels par kilogramme de césium 137, on a une augmentation de pathologies cardiaques », explique Thierry Meyer. Or, cette année, plusieurs enfants présentaient des taux de soixante-neuf becquerels par kilogramme. Il a interrogé les enfants sur leurs habitudes. En croisant ces informations avec les résultats du laboratoire de Kiev, sans surprise, Thierry Meyer a constaté que les enfants les plus contaminés sont ceux ayant déclaré manger des champignons ou se chauffer au bois de la forêt voisine.

« L’élément chimique du césium est chimiquement proche du potassium. En présence de radioactivité, le corps se retrouve à fixer du césium à la place du potassium, or, c’est dans les muscles que l’on trouve le plus de potassium dans le corps », explique Thierry Meyer, chimiste de profession. Ainsi a-t-on pu constater des maladies comme l’arythmie cardiaque ou encore des infarctus du myocarde. Mais les pathologies ne se limitent pas au cœur : chez les habitants restés sur place, on constate une augmentation des cancers, des troubles de la thyroïde, ou encore des désordres hormonaux.

Le simple fait de changer d’alimentation suffit à améliorer l’état de santé 

Le séjour en France permet à ces enfants de faire baisser leur taux de césium 137 d’environ 30 % à raison de 10 % par semaine. Le simple fait de changer d’alimentation suffit à améliorer l’état de santé. Suffisamment pour traverser l’automne et l’hiver, soit pendant la saison des champignons, des baies et du chauffage au bois.

Yarina, 8 ans, et sa famille d’accueil.

Françoise et Gilbert ont accueilli pour la première fois la petite Yarina, huit ans. Ils ont attendu d’être à la retraite pour tenter l’expérience. « On avait envie de faire quelque chose d’utile et on savait où allait notre argent », explique Françoise. Leur seule crainte : ne pas pouvoir communiquer avec la petite Ukrainienne. Mais Yarina a très vite su se faire comprendre par la gestuelle et les quelques mots de français qu’elle a appris sur place.

Bodgan, 16 ans, vient depuis neuf ans en France grâce à l’association.

Bodgan, 16 ans, vient pour la neuvième année consécutive en Alsace. « J’avais envie de revenir. C’est comme une deuxième famille pour moi. » Son frère, maintenant âgé de vingt-cinq ans, est aussi venu en France dix étés durant grâce à l’association. Comme d’autres enfants interrogés, Bogdan pensait que le séjour avait surtout pour but de leur offrir des vacances, à eux qui ne partent jamais. « Quand je suis venu pour la première fois, je n’avais pas compris que c’était pour ma santé. » Il parle parfois du problème de la radioactivité avec ses amis, sait que ça touche leur organisme, mais ne se voit pas déménager pour autant.

Cette année, c’est la première fois que l’association a fait venir un « petit-enfant de Tchernobyl » : plus de vingt ans après sa mère, Natalya, le petit Petro a été accueilli dans une famille alsacienne. Tous ces enfants, qui n’étaient pas nés au moment de la catastrophe, souffrent de la radioactivité plus de trente ans après le drame. Ces territoires resteront contaminés pour des dizaines de milliers d’années.


Pour en savoir plus sur l’association Les enfants de Tchernobyl. Si vous souhaitez vous proposer pour l’accueil d’un enfant l’été prochain, vous pouvez contacter l’association dès le mois de novembre.

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