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ReportageLuttes

Veillée d’armes pour sauver l’ONF

Faute d’un soutien de l’État, l’Office national des forêts va devoir augmenter sa dette, pour combler d’importantes pertes financières. Les syndicats dénoncent une étape supplémentaire dans le démantèlement de l’établissement public et ont organisé une action à un siège régional de l’institution, à Nancy.

  • Nancy (Meurthe-et-Moselle), reportage

Sous couvert de réunion syndicale, une dizaine de militants syndicalistes membres de Snupfen (Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel) Solidaires et une équipe de militants associatifs de Canopée – Forêts vivantes, avec à leur tête Sylvain Angerand, le coordinateur des campagnes de l’ONG, ont occupé, dans la nuit de jeudi 17 au vendredi 18 décembre, la direction régionale de l’Office national des forêts (ONF) à Nancy. Un choix hautement symbolique : la région Grand Est est le moteur économique de l’ONF, son « usine » à bois. « 40 % des ventes de bois de l’Office sont réalisées dans le Grand Est, sachant que les ventes globales de l’ONF représentent 60 % des ventes de bois en France », raconte Frédéric, un garde-forestier dans les Vosges.

But de l’opération : dénoncer non seulement la liquidation de l’Office organisée selon les militants par le gouvernement, mais également le volet Forêts du plan de relance, qui va favoriser les grandes coopératives privées et leurs projets de transformation de forêts en plantations industrielles. L’occupation des locaux a donc débuté jeudi en fin d’après-midi. Après le départ des salariés qui travaillent dans les bureaux, les syndicalistes ont laissé entrer les militants associatifs. Dans le bureau du directeur régional, ils ont installé leurs matériels informatiques pour organiser le grand débat sur la forêt, longtemps promis par le gouvernement mais qui n’a jamais eu lieu, retransmis sur Facebook et YouTube.

  • Notre reportage photographique dans les locaux de l’ONF

Et pour cause, après des années de restructurations de l’Office qui gère les forêts publiques (un quart de la forêt française), les effectifs ont été divisés par deux, à moins de 8.000 salariés. Et après avoir imposé la filialisation des activités concurrentielles, Bercy prévoit maintenant de filialiser les missions d’intérêt général et de transférer l’activité à la sous-traitance privée, comme l’a révélé Libération. Une opération qui pourrait se traduire par 500 suppressions d’emplois entre 2021 et 2026. Pour les syndicats de l’établissement public, si ce projet était concrétisé dans le futur contrat d’objectifs et de performance, il s’agirait d’un pas supplémentaire dans le démantèlement de l’Office.

Après ce premier coup réussi, la retransmission a été suivie en direct par 2.700 personnes, Sylvain Angerand promet d’autres opérations coup de poing ailleurs. Avec toujours le même objectif : faire exister ce grand débat sur la forêt pour informer le grand public des enjeux et des menaces qui planent sur les forêts françaises.

Un budget très lourdement déficitaire pour 2021 

Cette action est intervenue alors que deux jours auparavant, le conseil d’administration de l’ONF avait avalisé, non sans mal, un budget de crise. En effet, lors de la réunion de son conseil d’administration du 16 décembre, les représentants de l’État (14 sur 30 administrateurs) ont voté un budget très lourdement déficitaire pour 2021 : il sera en perte de 81,2 millions d’euros, ce qui obligera l’établissement public à augmenter sa dette financière de 100 millions, la portant à 520 millions. « Alors que l’État a donné des dizaines de milliards d’euros aux industries les plus polluantes, il ne veut rien faire pour l’ONF. Si l’établissement n’était pas public, il serait déjà en faillite », dénonce Philippe Canal, le secrétaire général du Snupfen Solidaires.

Mais ce projet de budget n’a pas fait l’unanimité. Dix administrateurs ont voté contre : les sept représentants du personnel, mais également ceux de l’Association des régions de France (ARF), de la FNE (France Nature Environnement) et de la FNB (Fédération professionnelle du bois). De plus, les représentants de la Cour des comptes et de l’Inspection générale des finances se sont abstenus, ce qui sonne comme un sévère avertissement adressé à l’État, qui a repoussé au mois de mars prochain la présentation du contrat d’objectifs et de performance (Copp) 2021–2026, qui doit redéfinir les missions et les moyens de l’ONF.

  • Lire la présentation du budget 2021 mis au vote


La direction de l’établissement n’a pas caché durant les débats que ce projet de budget était factice. « Ce budget ne sera pas exécuté comme il est écrit puisqu’il ne comprend rien sur les arbitrages gouvernementaux et le plan de relance, mais il faut un budget pour que l’ONF puisse fonctionner », a-t-il été expliqué aux membres du conseil d’administration au cours des débats, dit à Reporterre une source syndicale. Cette « insincérité budgétaire » avouée pourrait être condamnable en justice.

Autres abstentionnistes : les quatre administrateurs qui siègent au nom de la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR). Une abstention qui a fait grincer des dents les organisations syndicales : elles espéraient un vote négatif pouvant inverser le rapport des forces avec l’État et conduire au rejet du budget. « Il s’agit d’une trahison de la part de la FNCOFOR. Il ne faudra pas que les maires viennent ensuite pleurer en dénonçant le manque de personnel sur le terrain », s’énervait un syndicaliste à l’issue de la réunion du conseil.

Les banques créditrices trainent des pieds

Et pour cause. Si le Parlement a voté un amendement annulant les 95 suppressions de postes à l’ONF prévus par le projet de budget du ministère de l’Agriculture, l’établissement public a bien pris en compte ces suppressions d’emplois dans son propre projet de budget avant que l’État n’impose au Parlement leur rétablissement dans la loi de finances. « En fait, après les 200 suppressions de postes effectuées en 2020, l’ONF va encore en supprimer 170 l’année prochaine : aux 95 postes supprimés par le projet de budget, il faut ajouter 30 CDD non renouvelés et 45 départs naturels non remplacés », affirme une source syndicale.

Alors que les effectifs de l’ONF s’élevaient à quelque 15.000 en 2005, à la fin de l’année, ils ne devraient plus être que de 7.635 ETP (équivalent temps plein). Un niveau inférieur à l’enveloppe d’emplois autorisés par le budget, qui s’établit à 7.872 ETP.

Dernier point significatif du budget voté par le conseil d’administration et qui menace l’avenir de l’établissement : les banques créditrices traînent des pieds pour accorder à l’Office de nouveaux emprunts. « Une seule des sept banques sollicitées a formulé une offre répondant aux conditions du marché à hauteur de la demande. Plus inquiétant, plusieurs prêteurs historiques de l’ONF ont fait connaître leur réticence à augmenter leur exposition dans la dette de l’établissement », explique la résolution soumise aux votes des administrateurs.

Un avertissement qui va certainement obliger l’État à prendre rapidement position sur le futur de l’ONF. Réponse donc fin mars quand le contrat d’objectifs et de performance, en cours de négociations entre les ministères de tutelle (Agriculture, Transition écologique et Bercy), aura été finalisé. Mais les syndicats s’attendent déjà au pire : la poursuite du démantèlement de l’établissement public et des suppressions d’emplois.

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