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Luttes

Violentées lors de l’AG de Total, des militantes portent plainte contre la police

Deux militantes d’Alternatiba Paris ont porté plainte à l’IGPN contre les forces de police présentes à l'assemblée générale de TotalÉnergies le 26 mai 2023.

Deux militantes ont porté plainte contre les forces de police pour les violences « disproportionnées » subies lors du blocage de l’AG de TotalÉnergies, le vendredi 26 mai. Elles témoignent.

Le mouvement climat se rebiffe. Après le déferlement de violences « disproportionnées » et les arrestations subies en marge de l’assemblée générale de TotalÉnergies, vendredi 26 mai, deux militantes d’Alternatiba Paris, Hélène et Murielle, ont déposé plainte à l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) — la « police des polices » — pour des faits « de violence avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique, en réunion, non-assistance à personne en danger et atteinte à la liberté de manifester », ainsi que « des plaintes contre X pour complicité par instigation, afin de déterminer la responsabilité des donneurs d’ordres », a déclaré Arié Alimi, avocat au barreau de Paris.

Cette annonce a été formulée lors d’un point presse organisé « au pied levé » le mardi 30 mai, au tiers-lieu Césure, dans le 5e arrondissement de Paris, par les organisations de la coalition contre TotalÉnergies — Alternatiba, Les Amis de la Terre, Attac, Greenpeace, 350.org, Extinction Rebellion et Scientifiques en rébellion.

Les avocats Alexis Baudelin et Arié Alimi, avec les militantes Hélène et Murielle. © Basile Mesré-Barjon / Alternatiba Paris

« Les militants et militantes sont déterminés à ne pas laisser la politique répressive du gouvernement continuer à violenter impunément des personnes », a déclaré en introduction Léa Geindreau, d’Alternatiba Paris. « Vendredi dernier, comme à Sivens ou sur le Pont de Sully, il y a eu une volonté de faire mal de manière disproportionnée aux militants écologistes, a poursuivi Arié Alimi. C’est pourquoi nous demandons aux policiers et aux donneurs d’ordre de rendre des comptes. »

« J’ai cru que quelqu’un allait crever »

Rappel des faits. Dans le 8e arrondissement de Paris, vendredi 26 mai, des centaines d’activistes ont tenté d’empêcher la tenue de l’assemblée générale de TotalÉnergies en bloquant les accès à la salle Pleyel, où se déroulait la grande messe actionnariale de la major pétrolière. L’objectif : accroître la pression écologiste sur la multinationale et dénoncer son pseudo plan « climat », qui entérine son expansion pétrogazière.

Prévenues depuis un mois, les forces de police les attendaient de pied ferme. Leur réponse a été cinglante : les activistes — dont certains étaient assis au sol ou enchaînés à des barrières — ont été traqués, matraqués, intimidés, aspergés de gaz lacrymogène, bousculés, traînés au sol. Ils ont été contraints de battre en retraite, les yeux et les poumons en feu.

Une inconscience « à la limite du criminel »

Leurs récits sont glaçants. Murielle, 46 ans, milite à Alternatiba Paris depuis décembre 2018. Elle est mère d’une petite fille de trois ans. Lors de cette action, elle était médiatrice, c’est-à-dire qu’elle était chargée « du dialogue avec les actionnaires et les forces de l’ordre ». Aux alentours de 6 h 30 du matin, une grenade lacrymogène a été dégoupillée en plein milieu de son groupe, encerclé de policiers, qui bloquaient l’entrée de la salle Pleyel. « Nous étions dans un lieu clos, alors nous avons rapidement été asphyxiés, a-t-elle déclaré lors de la conférence de presse. Autour de moi, j’ai entendu des appels à l’aide, des gens qui étouffaient. C’était une course contre la montre, et quand un espace s’est ouvert pour sortir, je me suis pris des coups de pied dans le bas du dos et j’ai vu une personne être poussée contre une barrière de chantier. » Elle a décidé de déposer plainte car, pour elle, « ce niveau d’inconscience dans le maintien de l’ordre est à la limite du criminel ».

Sa camarade, Hélène, s’est rendue à la manifestation « pour faire des vidéos, avec [s]on téléphone comme seule défense ». Elle a également été nassée et gazée. « J’ai cru que quelqu’un allait crever, on s’est retrouvés à faire des acrobaties pour essayer de ne pas piétiner des camarades au sol. » Une fois sortie de la nasse, elle raconte « avoir volé », avoir été « projetée au sol », poussée par un policier, alors qu’elle filmait. « Je me suis éclaté les genoux au sol, j’ai failli perdre connaissance. » Quelques jours plus tard, elle dit se rendre « tout juste compte de ce qui s’est passé ». Elle porte plainte « parce qu’il est hors de question de laisser passer cela ».

« Les vrais criminels sont du côté de Total »

Il y a eu les violences physiques, mais aussi les arrestations. Cinq activistes ont été placés en garde à vue. Quatre ont été libérés le dimanche 28 mai, soit au bout de 48 heures. Deux d’entre eux sont poursuivis. Parmi eux, il y a Damien, lui aussi militant à Alternatiba Paris, très attaché à la notion de non-violence. « Les forces de l’ordre ne sont pas nos adversaires », a-t-il précisé en préambule. Mais vendredi, « c’est bien elles qui ont commis les violences ». Il se souvient « des coups de tonfa portés à la tête, des étranglements, des plaquages au sol ». De son arrestation, il dit simplement qu’il a eu « peur », notamment de « [s]e retrouver seul avec des forces de l’ordre qui étaient, à ce moment-là, en roue libre ». « Un policier m’a prévenu que j’allais “ramasser”. » Il sera jugé en correctionnelle au mois de novembre, avec un autre activiste, pour « violence sur personne dépositaire de l’autorité publique ». Ce qu’il réfute.

Un autre militant devra suivre un stage de citoyenneté. « Mais quelle leçon de citoyenneté a à donner un État condamné pour inaction climatique, qui bafoue les libertés publiques de celles et ceux qui exercent leur droit à manifester pour une planète vivable ? a questionné l’avocate au barreau de Paris Chloé Saynac, qui a assisté les cinq personnes arrêtées lors de l’action. Des activistes ont été arrêtés arbitrairement, sans qu’on puisse dire ce qui leur était reproché. Je rappelle qu’il n’est pas interdit de participer à une manifestation non déclarée. »

D’autres militants comptent porter plainte contre les forces de police. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Elle a dénoncé l’« impunité organisée » des policiers et des gendarmes « qui exercent des violences sur le mouvement social, comme à Sainte-Soline [lors de la manifestation contre les mégabassines, dans les Deux-Sèvres], et que l’on retrouve dans le cadre de cette action ». Elle a cité le port du RIO [1], « imposé mais jamais respecté » ou les nombreuses plaintes « classées sans suite » à l’IGPN et l’IGGN. Elle espère que, cette fois-ci, l’histoire sera différente.

Alma Dufour, députée La France insoumise (LFI) de Seine-Maritime, présente lors de l’action, a été « interpellée » par le « double discours » de l’État. La Première ministre, Élisabeth Borne, a en effet déclaré que les militants étaient « dans leur rôle d’alerter ». « Malgré ce discours de quasi-tolérance, le maintien de l’ordre était complètement inverse, à l’image des atermoiements perpétuels du gouvernement sur la question climatique », regrette la députée.

Sa collègue Manon Aubry, eurodéputée, s’est fait insulter et hurler dessus par des actionnaires. Elle a surtout observé « la résistance d’un vieux monde qui tente le tout pour le tout », à travers « la police à Darmanin qui préfère cajoler une multinationale pétrolière et ses actionnaires, qui saccagent la planète, quitte à réprimer avec véhémence une jeunesse qui chante “On fait ça pour vos enfants” », a-t-elle dit à Reporterre. « Les vrais criminels sont du côté de Total, et pourtant ce sont les activistes du climat qui vont se retrouver devant les tribunaux. » Les activistes le certifient, d’autres plaintes suivront contre les actionnaires et vigiles de TotalÉnergies qui ont également commis des violences.

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