Vivre près d’une centrale nucléaire : ils se confient

Le Comité Centrales a créé une messagerie pour recueillir textes, photographies, dessins, vidéos, enregistrements sonores… Ici, la centrale nucléaire de Cruas (Ardèche). - Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Maarten Sepp
Le Comité Centrales a créé une messagerie pour recueillir textes, photographies, dessins, vidéos, enregistrements sonores… Ici, la centrale nucléaire de Cruas (Ardèche). - Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Maarten Sepp
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NucléaireAvec les Doléances atomiques, des antinucléaires recueillent la parole de ceux qui vivent près d’une centrale. Objectif : remettre ces témoignages aux parlementaires qui débattront cet été de politique énergétique.
Tours (Inde-et-Loire), correspondance
« Comment mettre en mots toutes ces choses qui nous touchent ? » Après avoir hésité, Mireille a finalement écrit un texte intitulé « Ce n’est pas donné à tout le monde ». Elle y raconte la « charge mentale quotidienne » qu’impose la vie auprès d’une centrale nucléaire. Elle habite près de celle de Belleville-sur-Loire, côté Nièvre. Dans son texte, qu’elle présente en cette journée de mi-février à Tours, elle évoque « les gracieux panaches de fumée » visibles de partout, « la boîte de pastilles d’iode » et « le livret des bons réflexes en cas d’accident » à portée de main, les réveils en sursaut « au bruit d’une sirène qui n’a pas sonné », la lassitude d’avoir peur d’un danger inodore et silencieux…
Mireille fait partie des contributeurs aux Doléances atomiques lancées par le Comité Centrales. « Ce comité est né en 2018 de la rencontre entre les militants antinucléaires de l’infotour sur Cigéo [projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure (Meuse)], en région Centre, et du projet de piscine d’entreposage des déchets radioactifs à Belleville-sur-Loire », raconte Catherine Fumé, l’une de ses membres.
Le comité a réalisé un film sur les luttes historiques contre l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioctifs (Andra), Notre Terre mourra proprement. « Pendant la tournée de présentation, les gens nous demandaient souvent : “Qu’est-ce qu’on peut faire ?" Ça nous a donné l’idée des doléances. »
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L’objectif est de tirer un « bilan émotionnel » des dernières décennies du nucléaire, en replaçant le débat du point de vue de celles et ceux qui vivent concrètement le nucléaire au quotidien. La période y est propice : après l’annonce de la relance de la filière par Emmanuel Macron, un débat public sur la construction de nouveaux réacteurs EPR a été organisé. « Nous voulons dépasser ce débat qui se résume souvent à des discussions experts contre experts. Nous voulons donner la parole à ceux qui n’y participent jamais, parce qu’ils ne se sentent pas légitimes. Ils le sont pourtant vraiment, parce qu’ils vivent le nucléaire ! »
Une « base populaire » contre le nucléaire
Le Comité Centrales a lancé un appel et créé une messagerie pour recueillir textes, photographies, dessins, vidéos, enregistrements sonores… Tout le monde peut y participer. Il organise aussi des portages de paroles. Le principe : « Poser une question dans l’espace public et proposer aux passants d’y répondre en écrivant sur des pancartes laissées sur place. Les gens s’arrêtent et discutent entre eux. Ça suscite vraiment le débat. » La question ainsi posée à Tours était « La relance du nucléaire, vous la voulez ? ». Une boîte vocale est en projet pour celles et ceux qui ne seraient pas à l’aise avec l’écriture.
Le Comité Centrales s’est directement inspiré de la pratique d’Anglaises qui, dans les années 1980, ont partagé publiquement leurs opinions, sentiments, rêves ou cauchemars en vue d’empêcher l’installation d’une base militaire nucléaire à Greenham Common, en Angleterre.
« Ne pas être complice »
Pour l’instant, les contributions sont publiées sur un blog de Mediapart, mais elles ont vocation à nourrir le débat parlementaire qui se tiendra cet été sur la loi de programmation énergétique : elles pourraient être remises aux députés et sénateurs sous forme de cahiers, « afin qu’ils ressentent qu’il y a une base populaire derrière les revendications pour l’abandon du nucléaire ».
Et le Comité Centrales ne s’arrêtera pas là : il s’est rapproché de l’association Nos voisins lointains, qui assure une collecte similaire auprès des évacués de la zone de Fukushima au Japon, et espère ainsi poursuivre à l’international. « Nous allons inciter les gens à piocher dans ces ressources pour des soirées lectures, des mises en scène, pourquoi pas une brochure ou un livre… », explique Catherine Fumé.
Cette démarche aura-t-elle vraiment un impact sur les choix politiques énergétiques en France ? « C’est un petit caillou qu’on ajoute, répond Marie-Do, une habitante du Cher parmi les premières à avoir déposé une doléance. Au moins, ne pas être complice. Ce n’est peut-être pas ça qui les décidera à arrêter le nucléaire, mais il faut qu’ils sachent que ça ne se fera pas sans opposition. Il faut une avalanche de participations ! »
Pour envoyer les contributions : [email protected]