Tribune —
La télé rend les enfants obèses
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Pendant que les oursons, les louveteaux, les chiots, les chatons, les jeunes antilopes, les petits grizzlis, les veaux, les chèvres, les renardeaux et les canetons nagent, bougent, sautent, courent, sautent et grimpent, les petits humains restent assis de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps, et de plus en plus tôt après leur naissance. L’attention de leur cerveau est captée grâce des moyens technologiques puissants et ils peuvent difficilement détacher leur regard de l’écran, parfois ils n’y arrivent pas.
Quelle est l’activité la plus courante chez la vaste majorité des enfants ? Regarder la télévision. Elle et divers autres écrans accaparent aujourd’hui des dizaines heures de la vie des enfants chaque semaine. Or, la science nous apprend que les enfants qui passent plus d’une heure par jour devant un écran (de télévision, d’ordinateur, de jeux vidéo) augmentent de 30% le risque de surplus de poids (1), comparés à ceux qui y passent moins d’une heure.
Faut-il s’étonner que les coûts individuels et sociaux aient augmenté et continuent d’augmenter ? Déplorer le phénomène n’est pas une solution, à moins que ça nous conduise à en cherche une. Faut-il se résigner ou répliquer ? Ne nous fait-on pas écouter des « experts » qui nous disent qu’il ne faut pas s’inquiéter ?
Un enfant est considéré obèse quand son indice de masse corporelle (IMC) atteint 30 (2). Encore tout récemment, on refusait d’inclure le temps-écrans parmi les facteurs de la pandémie d’obésité. Qui aurait oser mettre en cause le progrès moderne qui permet aux images d’arriver chez nous en passant par des satellites ?
Et puis graduellement, l’évidence s’est imposée : comment avons-nous pu nier la différence énorme entre d’un côté le robinet, le frigo, le lave-linge, le sèche-linge, le chauffe-eau, la cuisinière, le calorifère, l’automobile, le train, …et loin, très loin de l’autre côté, la télévision. Alors que les premiers nous faisaient économiser des efforts et du temps, la deuxième accaparait notre temps et nous éloignait des loisirs physiquement actifs et transformait les conversations familiales en folklore.
Chez les enfants, les écrans ne font pas que gaspiller du temps, ils remplacent une activité humaine essentielle, surtout au cours des 16 premières années après la naissance. Ici et là, autour de nous, on rencontre des personnes qui ont compris que les petits humains ont autant besoin d’activité physique que tous les animaux et qu’il faut éviter de les laisser se faire attraper (avaler) par les écrans.
Aujourd’hui plus que jamais auparavant, il faut savoir (et pouvoir) faire la différence entre mettre le cerveau de nos enfants au service de la télé, et mettre la télé au service de nos enfants.
Les écrans contribuent à l’obésité des jeunes de cinq manières
Ils gardent les enfants sédentaires souvent et longtemps, plus de 25 heures/semaine en moyenne (3). Tout le monde sait qu’on brûle moins de calories affalé devant l’écran qu’en pédalant sur un vélo. Les enfants qui passent plus de 2 heures par jour devant la télé sont 2 fois plus susceptibles (3) d’avoir un surplus de poids et de devenir obèses que les enfants qui y passent moins d’une heure.(4)
Trois fois sur quatre, la publicité à l’écran fait la promotion d’aliments trop gras, trop salés ou trop sucrés. Les enfants voient 40 000 messages publicitaires par an.(5) Les préférences des enfants sont influencées par les messages qui vantent ce type d’aliments. Votre enfant ne sait pas lire, mais il reconnaît ses « amis » Bob l’éponge, Winnie l’ourson, Shreck, Dora. On a payé les producteurs d’émissions pour enfants afin de pouvoir placer la photo d’un personnage aimé des enfants sur la boîte. L’enfant moderne reconnaît rapidement certains logos avant même d’apprendre à parler ou à lire.
On a fait juger des carottes (6) à des enfants : celles placées dans un contenant rouge décoré d’un gros M jaune vif avaient meilleur goût. On a demandé aux enfants de bien réfléchir, de goûter de nouveau, elles avaient meilleur goût. Le système nerveux de l’enfant avait associé le logo au contenu, et ce, malgré que le commerçant au logo rouge et jaune n’ait jamais vendu une seule carotte.
Selon le Dr Victor Strasburger, les publicitaires réussissent à marquer les enfants de plus en plus jeunes en instillant en eux un désir impératif pour le produit associé au logo.(7) Bref, les agences de marketing paient des docteurs en neurologie, une science créé pour soigner, et les rémunèrent afin d’épingler leur message profondément, et ça fonctionne.
Regarder la télé incite à grignoter, et la plupart du temps des aliments malsains, trop salés, sucrés ou gras. Chaque heure/jour de télé additionnelle fait avaler au spectateur l’équivalent de 167 calories supplémentaires par semaine, surtout lorsque les aliments ingurgités sont ceux annoncés à la télé, avec beaucoup de calories et peu de valeur nutritive.(8) Les ados « invincibles » mordus de jeux vidéo sont des proies faciles : bien accrochés à leur console, ils mangent plus eux aussi, sans même avoir faim.(9)
La télé abaisse le métabolisme (l’ensemble des dépenses énergétiques) pratiquement au niveau du sommeil. Une étude canadienne (2008) auprès de 42 612 personnes (10) a révélé que le risque d’obésité augmente de 80 % lorsqu’on consacre 21 h/s (heures par semaine) à la télé au lieu de 5 h/s ou moins.
L’ordinateur est-il aussi nocif ? Les personnes qui s’en servent plus de 6 h/s pour se récréer sont de 20 à 30% plus susceptibles d’être obèses. Les personnes qui consomment plus de télévision ont de moins bonnes habitudes : ils sont plus sédentaires et moins nombreux à manger des fruits et légumes. L’écoute de la télévision et le sommeil abaissent le métabolisme pratiquement au même niveau.
Voici la demande d’énergie métabolique (indice MET) quand on dort, (0,9), quand on regarde la télé (1,0) quand on lit (1,3), que l’on joue aux cartes (1,5), qu’on écrit à l’ordinateur (1,8), que l’on range l’épicerie (2,5). Imaginons les calories brûlées quand notre enfant marche, pédale, court, patine, danse, saute à la corde, grimpe, revient de l’école à pied ? Du point de vue de la santé publique, les décideurs se demandent s’il ne faudrait pas décourager l’écoute de la télévision (10) plutôt que d’encourager l’activité physique.
Les écrans grugent du temps de sommeil. Le directeur de la Clinique du sommeil de l’Hôtel-Dieu du CHUM, le Dr Pierre Mayer, place l’explosion des nouvelles technologies de l’information/communication, (NTIC) y compris celle des réseaux sociaux, parmi les ennemis du sommeil. (11) Le manque de sommeil contribue au surpoids (12) selon le cercle vicieux suivant : quand on dort moins, on sécrète moins de leptine, l’hormone qui règle l’appétit. Dormant moins, on a donc plus faim. En mangeant plus, on prend plus de calories. Privé de sommeil, la fatigue augmente et l’on diminue l’activité physique. La proportion de personnes obèses augmente en même temps que le temps de sommeil diminue.
Nous dormons aujourd’hui 2,5 heures de moins par nuit qu’il y a 40 ans. Il nous manque 30% de notre temps de sommeil. Dans la plupart des classes des écoles de France et du Québec, on voit des enfants bailler au beau milieu de la matinée tous les lundis, et souvent même tous les jours de la semaine. Des enfants se lèvent avant leurs parents pour aller regarder des dessins animés, s’amuser sur la console de jeux ou correspondre avec leurs « amis ».
Les adolescents manquent eux aussi de sommeil.(13) Plusieurs de ceux qui ont des écrans dans leur chambre se lèvent au milieu de la nuit pour répondre à un appel, activer leur console de jeux, regarder un film ou visiter des sites pornographiques.
Le diagnostic n’est pas alarmiste, il est réaliste, et solidement documenté. On n’est donc pas face à un phénomène épisodique ou à des cas individuels. Il s’agit d’un problème de société qui traverse toutes les frontières, avec des variantes mineures selon la culture locale.
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Notes
(1) Selon la DREES, les enfants qui passent plus d’une heure/jour devant un écran présentent un risque de surpoids/obésité 30% supérieur à ceux qui y passent moins d’une heure ». Rapporté sur le site de dans Futura-Santé, avril 2013. http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/medecine/d/lobesite-infantile-est-en-baisse-en-france_25277/
(2) L’IMC équivaut au poids (en kilos) divisé par la taille (en mètres) au carré. Femme actuelle : « La corrélation très forte entre le temps passé devant la télé et l’obésité est connue depuis longtemps. Le développement des jeux vidéo, d’Internet et l’abondance de l’offre télévisuelle, via le câble et le satellite, favorisent la sédentarité. » Non seulement la dépense énergétique est quasi-nulle, mais le temps-écrans est associé au grignotage, encouragé par les nombreuses publicités pour les boissons gazeuses, glaces et autres « snacks ». (…) le nombre de kilos gagnés est proportionnel au temps passé devant les écrans. »
http://www.femmeactuelle.fr/enfant/enfants/sante-psycho/lutter-contre-l-obesite-infantile-00332/%28page%29/2
(3) Groupe de recherche Médias et santé - UQAM, Jean-Philippe Laperrière M.A.(2010).
(4) Crespo, CJ. et al. (2001), « Television watching, energy intake, and obesity in U.S. children : results from the third National Health and Nutrition Examination Survey », Archives of Pediatric and Adolescent Medecine, Vol. 155, no 3, pp. 360-365. Le sondage du 3e NHNE a recueilli des données sur 4069 enfants des États-Unis entre 1988 et 1994. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11231802
(5) Coalition québécoise sur la problématique du poids (CQPP), « Publicité aux enfants ».
http://www.cqpp.qc.ca/fr/priorites/publicite-destinee-aux-enfants
(6) « McDo a meilleur goût », Reportage de Radio-canada. « L’auteur de la recherche, Tom Robinson, a déclaré que la perception du goût par les enfants était « physiquement altérée par la marque ». Selon lui, il est remarquable de constater à quel point les jeunes enfants sont déjà influencés par la publicité. »
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2007/08/07/004-test-Mcdo.shtml
(7) Dr Victor Straburger, Université du Nouveau-Mexique, Albuquerque, rédacteur principal de la politique de l’American Academy of Pediatrics concernant le marketing ciblant les enfants. « Les publicitaires ont essayé de faire exactement ce que cette étude démontre : marquer les enfants de plus en plus précocement, instiller en eux un désir quasi obsessif pour un produit d’une marque particulière. » Propos rapportés par Radio-Canada en 2007.
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2007/08/07/004-test-Mcdo.shtml
(8) Wiecha JL, Peterson KE, Ludwig DS, Kim J, Sobol A, Gortmaker SL. (2006). « When children eat what they watch : impact of television viewing on dietary intake in youth ». Arch Pediatr Adolesc Med. 160(4):436-42. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16585491
(9) Chaput, JP. (2011). « Video game playing increases food intake in adolescents : randomized crossover study », American Journal of Clinical Nutrition. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21490141
(10) Julie Mandeville, Statistique Canada, propos rapportés dans Le Devoir, 19 juin 2008.
http://www.edupax.org/images/stories/edupax/doc_msword/9_ArticleDevoir%20TelevisionObesite_2008-06-19.doc
(11) ’’Dormir - le sommeil raconté’’, Dr Pierre Mayer, directeur de la Clinique du sommeil de l’Hôtel-Dieu du Centre Hospitalier de l’Université de Montréal. http://www.lapresse.ca/vivre/sante/201205/28/01-4529161-dix-verites-sur-le-sommeil.php
(12) Dr Garry Sigman, pédiatre, Centre médical universitaire Loyola, Chicago, Illinois. http://www.health.am/ab/more/childhood-obesity-epidemic/
(13) Site web de Sommeil-Santé. http://www.sommeilsante.asso.fr/informez/inform_somnolence_adolescents.html