Tribune —
Le casse-tête gazier
C’est É-NOR-ME ! Gigantesque ! Monstrueux ! Le genre de truc qui renvoie la « renaissance du nucléaire » dans le bac à sable. Qui transforme les « centrales solaires » en simples opérations spéculatives. Qui change la donne. Qui... Pas dans cent ans. Maintenant.
Quoi ? Qu’est-ce ? Quid ? Le gaz de schiste, « shale gas », comme on dit en anglais. Du gaz identique à celui qui fait bouillir votre eau du matin, mais qui, au lieu d’être concentré dans des réservoirs, est disséminé à 5 000 mètres de profondeur dans des couches argileuses très compactes et très imperméables.
On ne savait pas l’exploiter. Jusqu’à ce que la conjonction de deux innovations techniques - le forage horizontal et la fracturation hydraulique des roches - permette à des petites compagnies de commencer à pomper le gisement du bassin de Barnett (Texas). La course a démarré au début des années 2000 et, en moins de dix ans, la production de gaz de schiste représente... près de 20 % de la production de gaz aux Etats-Unis ! Et pourrait atteindre la moitié en 2030.
« C’est la plus grande innovation énergétique de la décennie », dit un gourou de l’industrie des hydrocarbures, Daniel Yergin, de Cambridge Energy Research Associates. L’Agence internationale de l’énergie écrit dans son World energy outlook 2009 que ce « boom inattendu (...) devrait contribuer à un important excédent de gaz dans les prochaines années ». Quant au « pic gazier », ce moment où la production mondiale devrait diminuer, il est vraisemblablement repoussé de plusieurs décennies.
Réserves mondiales : près de 900 téramètres cubes, selon l’Institut français du pétrole, plus de quatre fois les ressources de gaz conventionnel. Dans tous les coins du monde, on cherche frénétiquement le nouveau fluide : en Pologne, avide de s’affranchir du voisin russe, en Allemagne, en Chine, au Québec - où la vallée du Saint-Laurent est visée - et en France, où paraîtront prochainement au Journal officiel des permis de recherche dans les régions de Villeneuve-de-Berg (Ardèche), Montélimar (Drôme) et Lodève (Hérault).
Ah, la vie est belle ! Plus de problème d’énergie ! Le drapeau US va continuer à flotter fièrement sur les centrales électriques - qui émettront moins de gaz à effet de serre, puisque le nouveau combustible génère moins de dioxyde de carbone que le charbon. Non ?
Eh bien... Ce n’est pas si simple. Il faut beaucoup, mais alors beaucoup d’eau pour fissurer les roches. Et quand on la récupère, elle est souvent chargée en métaux lourds, donc toxique. Ensuite, il faut de très nombreux puits pour exploiter ce gaz, parce que la ressource est disséminée : au Texas, déjà des dizaines de milliers. On tire le gaz - mais les paysages en prennent un sacré coup. Notre mode de vie vaut-il le saccage de l’environnement ? En tout cas, les cartes du grand jeu énergétique sont rebattues.