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Des rappeurs chantent pour Notre Dame des Landes

Des textes engagés pour la préservation de la planète et contre le projet d’aéroport à Notre Dame des Landes, un premier opus - La part du colibri - en clin d’œil à Pierre Rabhi : Plum’ et Phylo Mic sont deux jeunes rappeurs qui revendiquent l’écologie comme source d’inspiration. Entretien et chansons à écouter.


Reporterre - Dans ta chanson « Non à Vinci Ayraultport », vous dénoncez le fait que « pour le profit de quelques-uns, la nature est prise en otage ». Contre quoi faut-il lutter d’abord : l’accaparement des richesses ou la destruction des terres ?

Plum et Phylo Mic - C’est le contexte général de Notre Dames des Landes, où une grosse multinationale, Vinci, veut exproprier les agriculteurs et les gens qui vivent sur place. Moi, je ne me considère pas lutter contre quelque chose mais pour autre chose.

Dans cette chanson sur NDDL, il y a un fond de construction : on n’est pas dans la lutte pour la lutte. On lutte pour l’autogestion, on lutte parce qu’on veut construire des modes de vie autonomes, on lutte pour l’agriculture et contre la destruction des terres. On se veut plutôt dans l’action que dans la réaction.

C’est ça notre philosophie, défendre des choses humanistes qui favorisent le développement de l’humain et pas le financement des politiques. Mon fil conducteur, c’est cette phrase qui dit : « Les politiques ne s’occupent pas de nous, on ne s’occupe pas d’eux ».

Moi je m’occupe de ceux qui œuvrent sur le terrain, je préfère représenter ces gens à NDDL ou les petits paysans en proximité. Ça me touche particulièrement, car ce sont des gens qui à leur échelle s’engagent pour faire changer les choses.

Vidéo de la chanson « Non à Vinci Ayraultport » :

Mais qu’est-ce qui te choque le plus à Notre Dame des Landes ?

C’est de raser des milliers de terres agricoles alors que l’urgence est de bien faire bouffer les gamins plutôt que de créer un autre aéroport… Les gens ne partent pas à New-York tous les week-end, il faut arrêter ce genre d’excuses. C’est un combat humaniste avant le combat d’une cause précise.

« Il n’est jamais trop tard pour que les consciences soient reliées/Minéral, végétal, animal, tout est lié/Tel des bouts de solution, un puzzle à reconstituer/Voilà le secret de ma beauté, que vous nommez biodiversité/une harmonie ancestrale, que l’on croirait immuable/mais qui est pourtant si fragile, qui est si vulnérable/Si simple et si complexe, sa valeur est inestimable/quand votre espèce la considère comme ressource exploitable… » : la chanson Gaïa reprend ce leitmotiv de la Terre-Mère qui traverse plusieurs de tes textes. Pourquoi ?

L’agriculture est devenue une industrie et on voit aujourd’hui où ça nous mène. Il est temps de faire marche arrière. C’est la lutte principale. Il y a plein de problèmes dans le monde actuellement, partout, mais le problème le plus important, c’est celui-là. Car il est universel, il nous concerne tous, on ne pourra pas continuer sur notre lancée, on sera stoppé.

Cette lutte-là rejoint toutes les autres, toutes les crises sociales, économiques, politiques qu’il peut y avoir. Elles sont intimement liées à ce problème-là : la Terre ne pourra pas supporter bien longtemps notre organisation merdique.

Vidéo de la chanson « Gaïa » :

Aujourd’hui, il est difficile d’entrevoir un changement. Cette semaine encore, le Parlement a refusé un projet de loi d’interdiction de la culture d’OGM. Comment sensibiliser l’ensemble de la population à ces enjeux ? A travers la musique ?

On ne peut pas créer le nombre si on ne travaille pas d’abord sur le chiffre. Il faut agir à son échelle et à partir de là, associer et créer un mouvement plus nombreux. Beaucoup pensent qu’il faut accélérer les choses et faire une révolution nombreuse, peut-être armée, moi je pense que la première révolution est de travailler sur sa propre conscience, faire les choses à son échelle, et après on pourra parler de nombre.

« La part du colibri » est un projet qui reflète bien ça, qui montre que le changement commence vraiment à son échelle. C’est d’abord une prise de conscience individuelle. C’est aussi une manière de dire que dans la lutte ou dans la prise de conscience, il n’y a pas forcément besoin de leader, on a tous quelque chose à apporter. Ta parole ne vaut pas plus ou moins que celle d’un autre, tout simplement parce que certains auraient plus de facilités ou un accès plus simple à la parole.

Moi avec la musique, j’ai un accès plus facile à la parole grâce au micro, mais je ne me prends pas pour porte-parole ou leader d’un mouvement ou d’une pensée… Le tout c’est de faire quelque chose, d’agir. Et donc des gens qui se mobilisent pour défendre leur terrain, leur mode de vie, comme à Notre Dame des Landes, c’est déjà une prise de conscience individuelle qui permet de se battre face à des choses qui nous dépassent. A notre échelle de citoyens, ce n’est pas facile de se mobiliser face à une grosse multinationale et face à un Etat.

Ta chanson « La part du colibri » est un clin d’œil à la philosophie des colibris…

Cette chanson est une sorte d’hommage à la légende elle-même, dont j’aime beaucoup la métaphore que je voulais faire connaître dans le milieu hip-hop. Ça change le rapport aux choses : dans le hip-hop contestataire, on a l’impression qu’il faut faire des choses énormes, tout de suite. Si on fait pas la Révolution, on va rien changer.

Moi, ce propos-là me gênait parce que je ne conçois pas du tout la lutte et le fait de se battre au quotidien comme ça. Je crois beaucoup plus à l’idée de faire sa part, si chacun fait un petit truc au quotidien, même insignifiant, c’est déjà beaucoup. Et puis il y a le lien avec la terre bien sûr : renouons les liens avec le concret, avec la nature, c’est là que je rejoins Pierre Rabhi.

Vidéo de la chanson « La part du colibri » :

Le milieu du rap ne paraît pas intéressé par les problématiques écologistes. A part quelques textes, ils sont très peu à avoir abordé la question. Comment l’expliques-tu ?

Parce qu’il y a autant de personnalités différentes qui se cachent derrière autant de rappeurs. Le rap, c’est une culture, une manière d’exprimer ce qu’on pense en tant que personne. On fait la musique en fonction des sujets qui nous touchent. Donc le rap, c’est large.

Il n’y a pas UN rap, il y a autant de rap différents que de rappeurs. On n’est pas une communauté qui se ballade main dans la main. Je ne crois pas aux cases, rap-ci, rap-ça… Donc s’il y a aussi peu de textes là-dessus, c’est parce que c’est une question de conscience, on revient toujours là-dessus.

C’est donc finalement le reflet d’une absence générale de la cause écologiste dans notre société… ?

Oui, je pense qu’il y a de ça. Ça vaut pour l’écologie, mais ça vaut aussi plus largement pour l’entraide ou toutes les causes qui pourraient faire avancer l’humanité. Et puis, si le rap est pluriel, il est marqué par une culture unie, c’est évident. Il reste d’abord issu d’un milieu urbain, avec ses problématiques urbaines… alors, certes, aujourd’hui bien sûr, la question urbaine, avec la pollution et autres, rejoint la question de l’écologie.

Mais il y a une culture et une histoire du mouvement général qui expliquent peut-être un peu cette absence. Ceux qui font du hip-hop aujourd’hui ont cette culture avec eux. Il faut faire attention aux généralités, mais c’est sûr que l’écologie n’est pas encore une priorité pour eux. Ils s’expriment d’abord sur les galères du quotidien.

C’est vrai qu’un mec qui est en région parisienne, dans le 93, ou un mec à Toulouse, au Mirail par exemple, il va peut-être pas avoir l’idée de faire un texte sur Notre Dame des Landes. Parce que c’est pas du tout sa réalité à lui. En même temps, et c’est aussi ça la richesse de cette musique. Ça voudrait dire quoi un rap affilié à l’écologie ?

Dans « Rimes addictives », tu dis « je rapperai toujours en amateur » : est-ce à dire qu’il faut nécessairement rester alternatif pour traiter des sujets alternatifs ?

C’est surtout un choix personnel et artistique. Le rap, c’est ma passion, j’ai pas envie d’en faire mon métier ou de gagner de l’argent avec ça. Aujourd’hui, l’industrie a pris possession du milieu et beaucoup de gens voient le rap comme un moyen de gagner sa vie. C’est pas du tout l’état d’esprit du hip-hop. Maintenant, on entretient les valeurs commerciales. Mais c’est la plume qui nous accompagne, et pas nous qui accompagnons le développement économique du mouvement hip-hop.

Moi, je ne suis pas une machine à écrire. Je fais de la musique depuis longtemps, mais il y a des périodes dans ma vie où je suis resté sans faire de son. Quand je dis « je gratterais toujours en amateur/j’suis pas de celle qui cherche des thunes/sur des paroles à la dérive », ça veut dire qu’il faut entretenir le hip-hop populaire, celui qui est dans la rue et qui reste un art à nous.

Vidéo de la chanson « Rimes addictives » :

Au fait, as-tu déjà chanté à Notre Dame des Landes ?

Oui, on a chanté au Festival Off avec les zadistes. Quand on parle de NDDL, on parle en connaissance de cause : on a vu sur ces milliers d’Hectares autant de personnes différentes qui se sont rassemblées pour une seule et même lutte ce jour précis. Notre vision est ancrée dans le réel : à Notre Dame des Landes la lutte est collective mais les identités sont nombreuses.

-  Propos recueillis par Barnabé Binctin

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