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Grèce

En Grèce, le gouvernement brade la nature au nom de l’économie

En Grèce, la loi de « modernisation » de la législation environnementale votée début mai entend faciliter les projets d’investissements dans des zones naturelles protégées et mettre à l’écart de ces décisions les habitants concernés et les citoyens. Elle suscite une forte opposition des défenseurs de l’environnement.

Vendredi 5 juin, à l’occasion de la journée mondiale de l’environnement, de nombreuses organisations écologiques grecques ont appelé à manifester. Elles continuent de demander le retrait de la loi de modernisation de la législation environnementale, votée le 5 mai dans un Parlement à peine « déconfiné ». Le nom du texte pourrait être prometteur mais depuis l’ouverture de la consultation législative au mois de mars, la contestation a été forte. 42.000 citoyens signataires d’une pétition, 24 ONG environnementales, plus de 80 mouvements écologiques ainsi que l’opposition parlementaire se sont positionnés contre certaines dispositions de la loi. Au cœur des critiques : des menaces sur la protection de la biodiversité ainsi qu’une restriction démocratique.

L’objectif général de la loi est connu de tous : le ministre de l’Environnement et de l’Énergie, Kostis Hatzidakis, ne le cache pas, elle est « un outil pour réformer la croissance verte ». Officiellement, le ministre souhaite atteindre 35 % d’énergies renouvelables d’ici 2030 dans la production totale du pays, avec pour objectif d’augmenter la croissance économique. C’est d’ailleurs sur cette ligne de promotion des investissements que s’est fait élire le gouvernement du parti de centre droit Nouvelle Démocratie le 7 juillet 2019.

Le champ d’application du texte de loi est très large. Les 136 articles entendent traiter de certification environnementale, de sources d’énergies renouvelables, de gestion des zones Natura 2000, de gestion des déchets, de fin de l’utilisation des sacs en plastique, de transposition de deux directives européennes en droit national… Ioli Christopoulou, cofondatrice et directrice stratégique de Green Tank, un laboratoire d’idées écologique indépendant, salue le cadre posé par cette loi, qui mettra un terme à de nombreux flous juridiques, même si « d’autres lois devront être votées pour traiter en détail autant de sujets ». La méthode utilisée pose cependant question : la consultation législative a duré 15 jours, comme prévu par la loi grecque, mais des débats ont été rendus difficiles par la situation sanitaire de la pandémie de Covid-19. Pour Ioli Christopoulou, « cette loi a été surprenante : après la phase de consultation législative, nous avons découvert un projet de loi deux fois plus important, avec de nombreuses nouvelles dispositions. Cette façon de légiférer, sans concertation, n’est malheureusement pas nouvelle mais cela ne veut pas dire qu’elle ne doive pas changer ».

 Des « lourdeurs et dysfonctionnements bureaucratiques »

Parmi les dispositions dangereuses soulignées par nombre d’acteurs figure une liste d’activités qui seront expressément autorisées dans les zones Natura 2000. Pour chaque région protégée, la liste d’activités autorisées sera établie par décret présidentiel, sans consultation publique préalable, avec une étude des conséquences environnementales menée de manière générique pour chaque type de projet et non pour chaque projet particulier. Certaines de ces activités autorisées sont très problématiques du point de vue environnemental, comme les forages en hydrocarbures. Par exemple, une compagnie pétrolière pourra réaliser des activités d’exploration dans ces zones naturelles protégées sans qu’une étude d’impact ne soit menée. Soixante jours avant que les études ne débutent, la compagnie devra en notifier les autorités publiques et elle pourra mener ses recherches pendant une durée de trois mois. Au-delà de cette durée, l’accord des propriétaires de ces zones sera nécessaire pour continuer les explorations ou les forages. Mais, selon Ioli Christopoulou (Green Tank), « il n’y a pas de garanties qu’une consultation publique ait lieu en cas de renouvellement ou de modification d’autorisation de permis dans ces zones protégées ».

Le mont Pélion, en Thessalie, classé Natura 2000.

La Grèce compte 446 zones Natura 2000 — 27 % sur son territoire terrestre et 19 % dans ses mers — et certaines d’entre elles peuvent couvrir une île ou une montagne entière. Les conséquences de cette disposition législatives pourraient donc être majeures.

Pour le député européen du parti Syriza Petros Kokkalis, cela « est même contraire à la directive européenne Habitats (92/43/CEE) et aux dispositions visant à éviter la dégradation des zones Natura 2000. En donnant une seconde chance à des sources d’énergies fossiles, la loi est également contraire à l’engagement de décarbonisation à nouveau affirmé par le Pacte vert pour l’Europe présenté en décembre 2019. De plus, elle contredit la nouvelle stratégie de l’Union européenne pour la biodiversité, présentée le 29 mai 2020, qui souhaite la restaurer d’ici 2030 ».

Des décrets présidentiels devront préciser quelles activités seront autorisées dans chaque région Natura 2000. S’il juge nécessaire de définir ce qui peut être fait ou pas dans ces zones, Kostis Grimanis, chargé de plaidoyer justice climatique à Greenpeace Grèce, estime qu’il aurait fallu procéder autrement pour viser une meilleure protection de ces écosystèmes : « Il aurait fallu d’abord définir les besoins de protection de ces régions et ensuite autoriser ou non certains projets. »

Dans un entretien au média en ligne Greenagenda, le ministre de l’Environnement et de l’Énergie a déclaré que « parmi les dispositions les plus importantes figure la simplification radicale des procédures pour obtenir les certifications environnementales afin qu’elles ne nécessitent pas six, huit années mais seulement 100, 150 jours ». Le ministre estime que de nombreux projets ont été retardés en raison de ces délais liés à des « lourdeurs et dysfonctionnements bureaucratiques ». Inévitablement, cet objectif d’accélérer le processus de délivrance des licences environnementale ira de pair avec une moindre évaluation des conséquences environnementales des projets et se traduira aussi par un affaiblissement des consultations publiques, car celles-ci, aux yeux du gouvernement, prennent du temps et retardent le processus.

« La gestion d’une zone Natura 2000 ne doit pas être imposée » 

C’est dans cette perspective que s’inscrit également le nouveau système de gestion des zones Natura 2000. Une agence centrale de gestion dépendant du ministère a été créée pour définir la politique de protection de la biodiversité à mettre en œuvre par les 24 antennes locales, qui remplacent les 36 gestionnaires précédents. Ioli Christopoulou (Green Tank) salue cette nouveauté : « Il y avait besoin de mettre en place un cadre clair. » Cependant, le fonctionnement proposé est vertical et centralisateur. C’est la réserve exprimée par le député européen de Syriza Petros Kokkalis : « Ce contrôle gouvernemental ne peut pas remplacer un mécanisme de droit public. Nous avons besoin ici d’un véritable contrôle public et non pas d’un contrôle ministériel. » Pour Kostis Grimanis, chargée de plaidoyer justice climatique à Greenpeace Grèce, « cette évolution est positive mais ne garantit pas que ces antennes locales, désormais moins nombreuses, auront les moyens légaux pour mettre en œuvre des mesures de protection ou pour approuver des projets sur leurs territoires ». En effet, il faudra encore attendre un décret présidentiel pour savoir si municipalités, régions, représentants de la société locale pourront — au mieux — avoir un avis consultatif sur les projets.

Les gorges de Rouvas, en Crète, zone classée Natura 2000.

Sur le point de la participation à la décision, Ioli Christopoulou (Green Tank) est catégorique : « La gestion d’une zone Natura 2000 ne doit pas être imposée. Il est très important de faire émerger des décisions grâce à la discussion et à l’implication de toutes les parties prenantes locales. Il faut les faire participer à la gestion de la région protégée. » L’approche non participative du gouvernement est même contraire à l’esprit de gestion de ces zones voulue par la Commission européenne.

Au nom de l’efficacité, les habitants d’une région perdent donc la possibilité de se prononcer sur des projets qui affectent l’environnement où ils vivent et travaillent. Comment faire accepter des investissements, même écologiquement vertueux, sans les associer ? Cette façon de procéder s’est déjà heurtée à des murs de contestation en Crète. Aristeidis Papadakis, président de l’organisation citoyenne Intervention écologique d’Héraklion, raconte : « Lorsque des parcs solaires photovoltaïques ont été installés sur des terrains privés sans aucune concertation, les habitants sont devenus fous. Le nombre d’installations par rapport aux besoins de l’île était beaucoup trop élevé. » Kostis Grimanis (Greenpeace Grèce) ajoute : « Pour répondre durablement au changement climatique, il faut faire participer la société civile aux décisions mais aussi à la production de solutions. »

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