Reportage — Climat : de COP en COP
La COP24 sauve l’Accord de Paris, mais pas plus

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La COP24 a finalement accouché d’un accord, samedi soir 15 décembre à Katowice, en Pologne. Si la « notice » pour l’application de l’Accord de Paris a été adoptée, le bilan global est très décevant.
Au premier plan, des ministres et des délégués nationaux qui s’enlacent, s’embrassent ou se tapent sur l’épaule, pour se féliciter de l’accord obtenu de haute lutte. De l’autre, des ONG et des pays quasi-condamnés par le changement climatique, la tête basse, qui encaissent pour la énième fois un uppercut dans l’estomac. Samedi soir, après avoir suivi durant deux semaines la 24e conférence onusienne sur le Climat, j’ai vu le rideau tomber sur cette scène jouée mille fois : celle de la fracture entre deux univers irréconciliables, le monde politique des négociations internationales et celui la société civile, humain et ancré dans le réel.
Petit retour en arrière. La journée du samedi avait commencé par… mon départ. Comme la plupart des journalistes accrédités à Katowice, j’avais en effet prévu un retour à Paris au lendemain du dernier jour de la COP. Mon vol repartait samedi à midi. Vendredi soir, la bataille semblait acquise puisque la plénière de clôture était programmée à 19 heures. C’était sans compter son report à 4 heures du matin, puis 10 heures, puis midi… Et ainsi de suite jusqu’à samedi 21h30. Sept reports en tout !
Les résultats de la négociation en bref :
- Rôle des marchés d’émission : reporté à la discussion de l’an prochain ;
- adoption de la notice (rulebook) d’application de l’Accord de Paris ;
- pas de prise en compte des droits humains
- peu d’avancée pour les pays pauvres ;
- approbation réticente du rapport du Giec.

Pourquoi ? Parce que dans la dernière ligne droite le Brésil a bloqué le processus. L’enjeu : le nébuleux article 6, article qui traite des marchés carbone, ces bourses d’échange où un grand pollueur peut acheter des quotas d’émission de CO2 à un pays plus propre. Rio craignait que les réductions d’émission puissent être comptabilisées doublement, à la fois par le pays concerné et le pays acheteur. Après des heures d’une bataille acharnée, le Polonais Michal Kurtyka, qui préside la COP, a finalement décidé de lâcher l’affaire et de repousser ce point à la COP25, qui se tiendra en novembre 2019 au Chili.
C’est alors que le représentant de la Turquie a pris la relève, remettant sur la table un dossier qu’elle rouvre à chaque COP depuis des années, à propos du statut particulier de la Turquie qui ne lui permet pas de bénéficier des aides financières liées au climat. Un psychodrame qu’il a fallu des heures pour éteindre, jusqu’à, enfin, à 21h25, la réouverture de la séance plénière. C’est donc sur mon écran d’ordinateur que j’ai vécu l’annonce de l’accord de Katowice et l’effusion de joie des délégués, se pressant tous à la tribune pour embrasser le président Kurtyka ou faire une photo-souvenir à ses côtés. Soudain, durant quinze minutes, le monde entier n’était plus qu’amour et selfies.
Si l’on se glisse dans la peau des diplomates, la COP24 est un succès. Car elle est parvenue à accomplir la mission qu’elle s’était fixée : adopter une notice -– le rulebook -– qui définit les règles d’application de l’Accord de Paris approuvé en 2015 et qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre pour maintenir le réchauffement de la planète sous 2 °C, voire 1,5 °C, par rapport à la fin du XIXe siècle. Les 133 pages de la notice adoptée samedi soir n’ont rien de très palpitants ; il s’agit d’alinéas extrêmement techniques, malgré tout essentiels pour donner vie à l’Accord de Paris. A l’heure où des pays comme les États-Unis et le Brésil –- deux poids lourds de la scène internationale –- refusent de prendre au sérieux l’urgence climatique, menaçant de briser les fragiles avancées réalisées jusqu’ici, la signature d’un accord restait une gageure. Le texte adopté a beau n’assurer que le strict minimum, il a le mérite d’exister.
« Cela a été une longue route, a résumé Michal Kurtyka, samedi soir en s’adressant aux délégués en plénière avant l’adoption définitive du texte. Vous avez travaillé sur ce paquet pendant trois ans. Avec quasiment 200 pays, il est difficile de trouver un accord. […] Nous devons tous abandonner un peu individuellement pour gagner collectivement. » Une « victoire du multilatéralisme » saluée par le représentant de la Chine, Xie Zhenhua, ou encore, dans un message, par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui en quinze jours n’a pas hésité à venir trois fois dans l’ancienne ville minière de Katowice pour aider à décrocher un accord.
Le problème est que beaucoup attendaient que les États profitent de cette COP pour relever leurs ambitions en matière de lutte contre le changement climatique. C’est ce qu’a exprimé samedi soir en plénière le représentant de l’ONG Climate Justice Now : « Aucun d’entre nous n’espérait que la COP24 sauverait le monde, mais on attendait mieux, et on méritait mieux. »

« Si les États ont bien répondu à la commande en adoptant un mode d’emploi de l’accord de Paris, celui-ci reste incomplet, déplore ainsi Fanny Petitbon de l’organisation Care France. La référence aux droits humains comme boussole de l’action climatique a été supprimée du texte et la question des pertes et dommages, pourtant cruciale pour les pays les plus vulnérables, est réduite au strict minimum. En faisant cela, les pays les plus riches opèrent un retour en arrière ».
Une des plus grosses déceptions reste la façon dont la décision finale de la COP (un texte indépendant du rulebook) se réfère au rapport spécial du Giec. Alors que 192 États souhaitaient « saluer » ce rapport qui alerte sur la gravité des impacts d’un réchauffement de 1,5 °C, les États-Unis, la Russie, le Koweït et l’Arabie Saoudite ont fait barrage, insistant pour minimiser le rôle des scientifiques. « C’était une ligne rouge pour Washington », me glissait cette semaine un diplomate européen. Résultat des courses : au lieu de saluer le rapport du Giec, le texte « salue le fait qu’il ait été publié à temps ». Sans rire. Pour de nombreux pays, notamment les petites îles qui risquent d’être submergées sous peu, la pilule passe mal. « Il n’y aurait pas dû avoir autant de résistance pour prendre en compte le rapport du Giec », a ainsi regretté en plénière le représentant de l’île de la Grenade, approuvé par les Maldives et par de nombreuses autres délégations.
La Malaisie suivie par de nombreux pays en voie de développement, a quant à elle critiqué un accord « déséquilibré » : l’industrie, a réexpliqué le délégué malaisien, a permis aux pays riches de se développer et ce sont leurs émissions qui ont les premières causé le dérèglement climatique. Mais aujourd’hui, les pays les moins avancés doivent à leur tour pouvoir se développer. L’équité est donc centrale dans l’action climatique et les pays riches doivent fournir beaucoup « plus d’argent et de transfert de technologie qu’ils ne le font ». Des arguments repris par le bloc des pays émergents (Brésil, Inde, Chine et Afrique du Sud), mais aussi par les États africains.
Si les sommes promises au Fonds d’adaptation ont atteint un record – 129 millions d’euros -, le financement des pays du Sud par ceux du Nord reste clairement un problème. En effet, souligne Fanny Petitbon de l’ONG Care, « c’est une goutte d’eau par rapport aux 300 milliards de dollars par an qui seront nécessaires pour répondre aux besoins en adaptation des pays les plus vulnérables d’ici 2030 ».
« À partir de maintenant, mes cinq priorités seront : l’ambition, l’ambition, l’ambition, l’ambition et l’ambition », a décrété M. Guterres. « Ambition dans les réductions d’émissions. Ambition dans l’adaptation. Ambition dans le financement. Ambition dans la coopération technique. Ambition dans l’innovation technologique. » D’ailleurs, a-t-il promis, cette « ambition sera au centre du sommet Climat » qu’il réunira à New York en septembre prochain.
C’est justement l’ambition qui a manqué au sommet de Katowice. Peut-être était-ce déjà écrit dans l’air de ce bassin minier, l’un des plus pollués d’Europe : difficile en effet d’imaginer une COP ambitieuse dans un pays dont 80 % de l’électricité est produite à partir du charbon. Car si une cinquantaine de pays se sont bien engagés à revoir à la hausse leurs objectifs de réduction des émissions avant 2020, la COP a échoué à entériner cette promesse pour les pays. Or, s’ils ne sont pas améliorés, les engagements actuels des États nous conduisent vers un réchauffement de 3,2 °C à la fin du siècle.

« Bravo », se réjouissait samedi soir sur Twitter Emmanuel Macron, ajoutant : « La France et l’Europe doivent montrer la voie ». En fait, la France a brillé par son absence à la COP. Aucun ministre ou secrétaire d’État français n’a participé aux quatre derniers jours de négociation, pourtant les plus importants.
Samedi, alors que les négociations jouaient les prolongations, une voix déterminée résonnait de nouveau sur YouTube : la jeune Suédoise Greta Thunberg remettait une couche. Après deux semaines de COP, je finirai sur cette formidable claque d’une gamine de 15 ans aux dirigeants de la planète :
« Notre biosphère est sacrifiée pour que des personnes riches vivant dans des pays comme le mien puissent vivre dans le luxe. […] En 2078, je fêterai mes 75 ans. Si j’ai des enfants, […] peut-être me demanderont-ils pourquoi vous n’avez rien fait alors qu’il était encore temps. Vous dites que vous aimez vos enfants plus que tout au monde, et pourtant vous leur volez leur futur. […] Vous nous avez ignorés dans le passé et vous continuerez à nous ignorer. […] Nous sommes venus ici pour vous faire savoir que le changement était en train d’arriver, que vous le vouliez ou non. »