Reportage — Climat : de COP en COP
La COP24, le journal jour après jour

Durée de lecture : 104 minutes
Climat : de COP en COP Climat et COP 24Tous les jours, notre envoyée spéciale vous raconte les coulisses, les anecdotes et les coups de théâtre de la COP24, qui se déroule en Pologne, du 2 au 14 décembre.
- Katowice (Pologne), envoyée spéciale
Samedi 15 décembre : la COP24 sauve l’Accord de Paris, mais pas plus

La COP24 a finalement accouché d’un accord, samedi soir 14 décembre à Katowice, en Pologne. Si la « notice » pour l’application de l’Accord de Paris a été adoptée, le bilan global est très décevant.
Au premier plan, des ministres et des délégués nationaux qui s’enlacent, s’embrassent ou se tapent sur l’épaule, pour se féliciter de l’accord obtenu de haute lutte. De l’autre, des ONG et des pays quasi-condamnés par le changement climatique, la tête basse, qui encaissent pour la énième fois un uppercut dans l’estomac. Samedi soir, après avoir suivi durant deux semaines la 24e conférence onusienne sur le Climat, j’ai vu le rideau tomber sur cette scène jouée mille fois : celle de la fracture entre deux univers irréconciliables, le monde politique des négociations internationales et celui la société civile, humain et ancré dans le réel.
Petit retour en arrière. La journée du samedi avait commencé par… mon départ. Comme la plupart des journalistes accrédités à Katowice, j’avais en effet prévu un retour à Paris au lendemain du dernier jour de la COP. Mon vol repartait samedi à midi. Vendredi soir, la bataille semblait acquise puisque la plénière de clôture était programmée à 19 heures. C’était sans compter son report à 4 heures du matin, puis 10 heures, puis midi… Et ainsi de suite jusqu’à samedi 21h30. Sept reports en tout !
Les résultats de la négociation en bref :
- Rôle des marchés d’émission : reporté à la discussion de l’an prochain ;
- adoption de la notice (rulebook) d’application de l’Accord de Paris ;
- pas de prise en compte des droits humains
- peu d’avancée pour les pays pauvres ;
- approbation réticente du rapport du Giec.

Pourquoi ? Parce que dans la dernière ligne droite le Brésil a bloqué le processus. L’enjeu : le nébuleux article 6, article qui traite des marchés carbone, ces bourses d’échange où un grand pollueur peut acheter des quotas d’émission de CO2 à un pays plus propre. Rio craignait que les réductions d’émission puissent être comptabilisées doublement, à la fois par le pays concerné et le pays acheteur. Après des heures d’une bataille acharnée, le Polonais Michal Kurtyka, qui préside la COP, a finalement décidé de lâcher l’affaire et de repousser ce point à la COP25, qui se tiendra en novembre 2019 au Chili.
C’est alors que le représentant de la Turquie a pris la relève, remettant sur la table un dossier qu’elle rouvre à chaque COP depuis des années, à propos du statut particulier de la Turquie qui ne lui permet pas de bénéficier des aides financières liées au climat. Un psychodrame qu’il a fallu des heures pour éteindre, jusqu’à, enfin, à 21h25, la réouverture de la séance plénière. C’est donc sur mon écran d’ordinateur que j’ai vécu l’annonce de l’accord de Katowice et l’effusion de joie des délégués, se pressant tous à la tribune pour embrasser le président Kurtyka ou faire une photo-souvenir à ses côtés. Soudain, durant quinze minutes, le monde entier n’était plus qu’amour et selfies.
Si l’on se glisse dans la peau des diplomates, la COP24 est un succès. Car elle est parvenue à accomplir la mission qu’elle s’était fixée : adopter une notice -– le rulebook -– qui définit les règles d’application de l’Accord de Paris approuvé en 2015 et qui vise à réduire à réduire les émissions de gaz à effet de serre pour maintenir le réchauffement de la planète sous 2 °C, voire 1,5 °C, par rapport à la fin du XIXe siècle. Les 133 pages de la notice adoptée samedi soir n’ont rien de très palpitants ; il s’agit d’alinéas extrêmement techniques, malgré tout essentiels pour donner vie à l’Accord de Paris. A l’heure où des pays comme les États-Unis et le Brésil –- deux poids lourds de la scène internationale –- refusent de prendre au sérieux l’urgence climatique, menaçant de briser les fragiles avancées réalisées jusqu’ici, la signature d’un accord restait une gageure. Le texte adopté a beau n’assurer que le strict minimum, il a le mérite d’exister.
« Cela a été une longue route, a résumé Michal Kurtyka, samedi soir en s’adressant aux délégués en plénière avant l’adoption définitive du texte. Vous avez travaillé sur ce paquet pendant trois ans. Avec quasiment 200 pays, il est difficile de trouver un accord. […] Nous devons tous abandonner un peu individuellement pour gagner collectivement. » Une « victoire du multilatéralisme » saluée par le représentant de la Chine, Xie Zhenhua, ou encore, dans un message, par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui en quinze jours n’a pas hésité à venir trois fois dans l’ancienne ville minière de Katowice pour aider à décrocher un accord.
Le problème est que beaucoup attendaient que les États profitent de cette COP pour relever leurs ambitions en matière de lutte contre le changement climatique. C’est ce qu’a exprimé samedi soir en plénière le représentant de l’ONG Climate Justice Now : « Aucun d’entre nous n’espérait que la COP24 sauverait le monde, mais on attendait mieux, et on méritait mieux. »

« Si les États ont bien répondu à la commande en adoptant un mode d’emploi de l’accord de Paris, celui-ci reste incomplet, déplore ainsi Fanny Petitbon de l’organisation Care France. La référence aux droits humains comme boussole de l’action climatique a été supprimée du texte et la question des pertes et dommages, pourtant cruciale pour les pays les plus vulnérables, est réduite au strict minimum. En faisant cela, les pays les plus riches opèrent un retour en arrière ».
Une des plus grosses déceptions reste la façon dont la décision finale de la COP (un texte indépendant du rulebook) se réfère au rapport spécial du Giec. Alors que 192 États souhaitaient « saluer » ce rapport qui alerte sur la gravité des impacts d’un réchauffement de 1,5 °C, les États-Unis, la Russie, le Koweït et l’Arabie Saoudite ont fait barrage, insistant pour minimiser le rôle des scientifiques. « C’était une ligne rouge pour Washington », me glissait cette semaine un diplomate européen. Résultat des courses : au lieu de saluer le rapport du Giec, le texte « salue le fait qu’il ait été publié à temps ». Sans rire. Pour de nombreux pays, notamment les petites îles qui risquent d’être submergées sous peu, la pilule passe mal. « Il n’y aurait pas dû avoir autant de résistance pour prendre en compte le rapport du Giec », a ainsi regretté en plénière le représentant de l’île de la Grenade, approuvé par les Maldives et par de nombreuses autres délégations.
La Malaisie suivie par de nombreux pays en voie de développement, a quant à elle critiqué un accord « déséquilibré » : l’industrie, a réexpliqué le délégué malaisien, a permis aux pays riches de se développer et ce sont leurs émissions qui ont les premières causé le dérèglement climatique. Mais aujourd’hui, les pays les moins avancés doivent à leur tour pouvoir se développer. L’équité est donc centrale dans l’action climatique et les pays riches doivent fournir beaucoup « plus d’argent et de transfert de technologie qu’ils ne le font ». Des arguments repris par le bloc des pays émergents (Brésil, Inde, Chine et Afrique du Sud), mais aussi par les États africains.
Si les sommes promises au Fonds d’adaptation ont atteint un record – 129 millions d’euros -, le financement des pays du Sud par ceux du Nord reste clairement un problème. En effet, souligne Fanny Petitbon de l’ONG Care, « c’est une goutte d’eau par rapport aux 300 milliards de dollars par an qui seront nécessaires pour répondre aux besoins en adaptation des pays les plus vulnérables d’ici 2030 ».
« À partir de maintenant, mes cinq priorités seront : l’ambition, l’ambition, l’ambition, l’ambition et l’ambition », a décrété M. Guterres. « Ambition dans les réductions d’émissions. Ambition dans l’adaptation. Ambition dans le financement. Ambition dans la coopération technique. Ambition dans l’innovation technologique. » D’ailleurs, a-t-il promis, cette « ambition sera au centre du sommet Climat » qu’il réunira à New York en septembre prochain.
C’est justement l’ambition qui a manqué au sommet de Katowice. Peut-être était-ce déjà écrit dans l’air de ce bassin minier, l’un des plus pollués d’Europe : difficile en effet d’imaginer une COP ambitieuse dans un pays dont 80 % de l’électricité est produite à partir du charbon. Car si une cinquantaine de pays se sont bien engagés à revoir à la hausse leurs objectifs de réduction des émissions avant 2020, la COP a échoué à entériner cette promesse pour les pays. Or, s’ils ne sont pas améliorés, les engagements actuels des États nous conduisent vers un réchauffement de 3,2 °C à la fin du siècle.

« Bravo », se réjouissait samedi soir sur Twitter Emmanuel Macron, ajoutant : « La France et l’Europe doivent montrer la voie ». En fait, la France a brillé par son absence à la COP. Aucun ministre ou secrétaire d’État français n’a participé aux quatre derniers jours de négociation, pourtant les plus importants.
Samedi, alors que les négociations jouaient les prolongations, une voix déterminée résonnait de nouveau sur YouTube : la jeune Suédoise Greta Thunberg remettait une couche. Après deux semaines de COP, je finirai sur cette formidable claque d’une gamine de 15 ans aux dirigeants de la planète :
« Notre biosphère est sacrifiée pour que des personnes riches vivant dans des pays comme le mien puissent vivre dans le luxe. […] En 2078, je fêterai mes 75 ans. Si j’ai des enfants, […] peut-être me demanderont-ils pourquoi vous n’avez rien fait alors qu’il était encore temps. Vous dites que vous aimez vos enfants plus que tout au monde, et pourtant vous leur volez leur futur. […] Vous nous avez ignorés dans le passé et vous continuerez à nous ignorer. […] Nous sommes venus ici pour vous faire savoir que le changement était en train d’arriver, que vous le vouliez ou non. »
Vendredi 14 décembre : prolongation fastidieuse pour un accord sans ambition

La négociation s’est poursuivie malaisément à Katowice vendredi 14 décembre. Les États-Unis et l’Arabie saoudite freinent autant qu’ils peuvent, tandis que les Européens sont peu présents. La conférence est prolongée jusque samedi midi.
Au 12e et dernier jour officiel de la COP, vendredi 14 décembre, les négociations et les marchandages ont tourné à plein. Beaucoup se disaient convaincus qu’un accord serait trouvé, mais personne ne pouvait prédire à quel moment et avec quelle ambition. Il est attendu samedi à la mi-journée.
« Le ministre #FdeRugy ne peut pas retourner à la #COP24 pour les dernières heures de négociation. Il a RDV avec le patron du lobby de l’automobile français ». Ce tweet de Maximes Combes, le porte-parole d’Attac, a fait sourire plus d’un membre de la délégation française à la COP. Sourire jaune en fait… Car contrairement au ministre français de l’Environnement qui a décrété la semaine dernière lors de son passage-éclair à Katowice que cette COP n’était qu’une « conférence de transition », tous à Katowice ne cessent de répéter l’énorme enjeu qu’elle représente pour l’avenir de l’action climatique.
Durant toute la journée de vendredi, les pays les plus vulnérables - États insulaires et pays les plus pauvres -, mais aussi les ONG ont multiplié les déclarations pour faire comprendre aux pays riches, notamment les États-Unis, que le déni n’est plus de mise.
Pour rappel, cette COP a trois enjeux :
- la publication du rulebook, une sorte de notice de l’Accord de Paris qui précise ses règles d’application et permette enfin sa mise en œuvre ;
- l’engagement des Etats à relever d’ici 2020 leurs objectifs de réductions des émissions de gaz à effet de serre (les Nationally determined contributions, NDC) ;
- et la promesse par les pays développés de nouveaux financements pour aider les pays les plus pauvres à s’adapter à la nouvelle donne climatique.

Depuis jeudi soir et la première esquisse de texte fournie par la présidence polonaise - le « draft » -, les délégations planchent d’arrache-pied pour obtenir des améliorations. « Nous ne sommes pas encouragés par le texte que nous avons sur la table. C’est dramatique de voir comment des pays comme l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis peuvent saccager un accord », se lamentait Sara Shaw, de l’ONG Friends of the Earth. Ce draft est « tiède et incohérent », jugeait pour sa part le Climate Action Network, regrettant qu’il ne contienne « pas d’engagement clair pour renforcer les engagements des pays d’ici 2020 ». Sarah Lickel du Secours Catholique se montrait elle très dure : « le rulebook ne règle rien. Il devrait présenter des garanties, notamment sur les droits humains. Quand on voit ce qui se passe en France avec les Gilets jaunes, on comprend qu’il est essentiel d’allier exigence sociale et ambition climatique ».
« They don’t care about us » (« Ils ne se soucient pas de nous ») : ce morceau de Michael Jackson qu’ont chanté dans la matinée 30 élèves polonais ayant lancé une grève de l’école à l’appel de la jeune Suédoise Greta Thunberg, a résonné toute la journée comme une rengaine dans les couloirs de la COP. « Beaucoup de gens pensent qu’on est trop petits pour compter mais ce n’est pas vrai », a dit Gosha, 15 ans, au nom de ses camarades.

La Malaisienne Meena Raman, de l’ONG Friends of the Earth, a beau user de mots différents, elle ne dit pas autre chose. Les petits, les pauvres doivent compter, tandis que les riches doivent leur venir en aide. Au cœur des négociations, comme à chaque COP depuis 24 ans, le principe des responsabilités communes mais différenciées (CBDR) : si tous les États sont responsables du réchauffement climatique, leurs efforts doivent être modulés en fonction de leur responsabilité historique – les pays les plus anciennement industrialisés doivent faire plus – et des moyens dont ils disposent. Meena Raman regrette que les Etats les plus riches tardent à transférer leurs technologies innovantes vers les pays moins bien pourvus et ne leur assurent pas plus de financements. En 2018, les Etats ont pourtant promis 129 millions d’euros pour le fonds d’adaptation, un chiffre record. Malheureusement, ce n’est encore qu’une goutte d’eau au vu des besoins qui se comptent en milliards. « Les Etats-Unis, poursuit Meena Raman, sont en train d’effacer [dans les textes en négociation] toutes les références à l’équité et à la responsabilité historique des États. »
« C’est fascinant d’entendre parler d’un côté des pays qui parlent de survie et de l’autre des pays qui parlent d’intérêts économiques », observe le ministre costaricain de l’Environnement Carlos Manuel Rodriguez.
Les points de blocage

Dans le rulebook, trois points font l’objet d’accrochages plus intenses :
- les pertes et préjudices (loss and damage) : les pays en voie de développement veulent absolument voir apparaître ce point, pour s’assurer qu’à l’avenir les pertes irréversibles causées chez eux par des événements extrêmes soient véritablement prises en compte. Or dans le draft, cette question n’apparaissait que dans une note de bas de page ;
- la transparence : pour s’assurer que les États réalisent correctement leurs NDC, l’Accord de Paris prévoit des règles de suivi. Tandis que les États-Unis plaident pour des règles strictes et identiques pour tous, les pays les moins avancés, mais aussi la Chine, réclament une plus grande flexibilité, arguant qu’ils n’ont pas encore les moyens d’un tel suivi ;
- l’article 6 : assez incompréhensible pour les béotiens, il concerne « les mécanismes de compensation et des valeurs non-marchandes ». Il s’agit des règles qui devront s’appliquer sur le marché planétaire des émissions carbonées, ce marché où ceux qui polluent le moins ont la possibilité de revendre des quotas à ceux qui polluent le plus.
En plus du rulebook, qui devrait faire une centaine de pages, les ministres et leurs délégués bataillent sur une autre difficulté, peut-être la plus épineuse : sous quel terme sera-t-il fait référence dans la décision finale – qui accompagnera le rulebook — au rapport spécial du Giec sur les impacts d’un réchauffement de 1,5 °C ?

La logique voudrait que ce rapport figure en bonne place puisque c’est sur ces résultats scientifiques que se base l’action climatique engagée par les États. Malheureusement quatre pays— les États-unis, la Russie, le Koweït et l’Arabie Saoudite -– se sont opposés à ce que la décision « salue » (welcome) ce rapport, préférant qu’elle en « prenne note » (note), une expression insuffisante aux yeux des pays insulaires et de l’Union européenne. Une tiédeur, voire un déni scientifique, qui irrite le groupe des 47 pays les moins avancés, ainsi que celui des 48 pays les plus vulnérables (CVF), emmené par l’ancien président des Maldives Mohamed Nasheed. « Si nous ne trouvons pas un arrangement approprié, a-t-il prévenu, cela rendra l’Accord de Paris inutile. Les coraux mourront, nous perdrons notre biodiversité… Nous avons une fenêtre d’opportunité de 12 ans, la science est très claire. Nous ne pouvons négocier avec les lois de la physique, c’est la science, la science, la science. »
Mais que feront-ils si les États-Unis, ou d’autres pays, ne reconnaissent pas le travail du Giec, ou encore si l’accord n’est pas assez ambitieux à leur goût ? « Nous mettrons notre veto », a répondu posément M. Nasheed.
Depuis quelques jours, les alliances se sont multipliées pour rehausser l’ambition. Ainsi de la Coalition pour une Haute Ambition, avec quelque 70 pays dont la France et l’Allemagne, ou celle de l’Urgence composée de 90 pays vulnérables ou peu avancés. Alors que les désaccords semblaient insurmontables - le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a d’ailleurs jugé bon de revenir vendredi à Katowice pour mettre de l’huile dans les rouages -, les habitués, eux, restaient confiants sur la conclusion d’un accord.
Vendredi soir, on apprenait la tenue d’une séance plénière à 4 heures du matin, suggérant un consensus aux petites heures du matin. Mais cette nuit, vers 4 heures justement, une nouvelle ligne est soudain apparue sur les écrans bleus de la COP : « PLÉNIÈRE 10H – DISCOURS DE CLÔTURE 12 -14H »…
Jeudi 13 décembre : la négociation finale s’annonce difficile et décevante

À l’avant-dernier jour de la 24e conférence climatique des Nations unies, la négociation se tend à mesure que l’horloge tourne. L’esprit de l’accord de Paris est bien retombé, et il s’agit en fait de limiter la casse. Quant aux ministres français, ils sont tout simplement… absents.
« Merci de noter qu’une fois la COP24 officiellement terminée, tous les membres des médias devront quitter les lieux dans les trois heures » : message reçu ce matin dans ma boîte à courriels, la fin de la COP approche… Nous sommes désormais au 11e jour des négociations ici à Katowice et après les échauffements de la première semaine, le moteur onusien tourne à plein régime. Objectif : réussir d’ici vendredi soir à décrocher non seulement un accord, mais surtout un accord ambitieux.
Même si certains États, notamment les États-Unis, continuent à bloquer les négociations, la plupart des observateurs ne doutent pas qu’un accord sera trouvé. « Deux-trois jours avant la fin, c’est toujours comme ça, c’est le mélodrame, on a l’impression que ça va planter. Et puis, ça finit toujours par aboutir », me dit un diplomate européen, grand habitué des COP. La question est plutôt de savoir quand – la COP24 se termine officiellement vendredi soir mais, vu le retard accumulé, il est d’ores et déjà quasi certain qu’elle se prolongera samedi –- et comment. L’idéal serait que trois volets aboutissent :
- primo la publication d’une notice claire et ambitieuse de l’Accord de Paris, le fameux rulebook, qui permette d’appliquer l’accord climatique avec efficacité à travers le monde ;
- secundo l’engagement des États à relever d’ici 2020 leurs objectifs de réductions des émissions de gaz à effet de serre (les Nationally determined contributions, NDC) ;
- et tertio la promesse par les pays développés de nouveaux financements pour aider les pays en voie de développement, plus vulnérables au changement climatique.

Jeudi13 décembre, les appels se sont multipliés pour convaincre les États les plus riches de relever leur ambition sur ces trois volets. Jennifer Morgan, de Greenpeace, a rappelé les dirigeants à leurs responsabilités. « Les gens, les a-t-elle prévenu, n’attendent plus un consensus mondial, ils poursuivent leurs gouvernements, ils poursuivent les grands compagnies pétrolières, ils bloquent des routes et des ponts, ils organisent des grèves à l’école, et ce n’est que le début. Plutôt que de vides promesses, nous avons besoin que les États réhaussent leur ambition ». La jeune Suédoise Greta Thunberg, qui depuis le début de la COP se dépense sans compter pour médiatiser la cause climatique, s’est quant à elle chargée de convaincre les plus jeunes : dans un message posté sur les réseaux sociaux, elle a appelé enfants et ados à faire vendredi, comme elle-même depuis plusieurs mois, la grève de l’école et à se rassembler devant leur « Parlement ou [leur] gouvernement local » pour faire pression.

De leur côté, les 48 pays les plus vulnérables regroupés au sein du Climate Vulnerable Forum (CVF) -– dont certains sont menacés de disparaître sous les mers –- ont appelé leurs homologues à sauver la COP d’« une issue médiocre ». « Nous ne sommes pas prêts à mourir. Nous n’avons pas l’intention de devenir la première victime du changement climatique », a dit l’ancien président des Maldives, Mohamed Nasheed.
Depuis dix ans qu’il assiste aux conférences internationales sur le climat, « rien ne semble avoir changé », regrette-t-il. « On utilise toujours le même langage, un langage de dinosaure. […] Le problème, c’est qu’on continue à demander aux gros pollueurs de cesser de polluer mais sur des fondements éthiques, et ils ne nous écoutent pas. » Pour cesser ce dialogue de sourds, il propose de changer radicalement d’approche : « Plutôt que de leur demander des réductions, peut-être devrions-nous leur demander des hausses », autrement dit d’augmenter leurs investissements dans les énergies propres. « Alors ils cesseront d’utiliser des énergies fossiles. […] Demandons des choses positives plus que des choses négatives, les investissements augmenteront et les émissions diminueront. »

Le Maldivien a ensuite brocardé les « quatre pays qui nous prennent en otage », sous-entendu les États-Unis, la Russie, le Koweït et l’Arabie Saoudite, qui s’opposent à ce que la COP24, dans sa décision finale, « salue » (welcome) le rapport du Giec sur les 1,5 °C, préférant qu’elle en « prenne note » (note), une expression insuffisante aux yeux des pays insulaires et de l’Union européenne. Le royaume saoudien va jusqu’à contester les conclusions scientifiques du rapport : « Il vous montre uniquement les opportunités » qu’il y a à lutter contre le changement climatique mais « il ne vous en montre pas le coût », dénonce dans une interview au site Carbon Brief le délégué saoudien à la COP.
Le rapport du Giec toujours contesté par l’Arabie saoudite, les États-Unis et la Russie
Cette question de vocabulaire peut sembler cosmétique, mais elle revêt une grande importance car elle créera un précédent : quel avenir pour la lutte climatique si les États ne reconnaissent pas que la science est fondamentale et doit guider leur action ?
En fait, il n’y a pas vraiment 4 pays bloqueurs et 196 pays qui marcheraient tous main dans la main vers un accord idéal comme le laisse entendre Mohamed Nasheed. C’est le cas pour qualifier le rapport du Giec, mais pas sur la question du rulebook ou sur celle des financements.
De nombreux pays comme l’Inde, l’Afrique du Sud ou des pays en voie de développement craignent que les pays riches, en tête desquels les États-Unis et l’Australie, ne rabotent les financements : en volume, mais aussi en qualité. Certains s’inquiètent ainsi de la tendance croissante des pays développés à se défausser sur les investisseurs privés. Une question cruciale reste celle des pertes et préjudices (loss and damage) que les pays en voie de développement veulent absolument voir apparaître dans le rulebook, pour s’assurer qu’à l’avenir, les pertes irréversibles causées chez eux par des événements extrêmes seront prises en compte en tant que telles, et non pas incluses dans d’autres fonds, dédiés à l’adaptation au changement climatique.

Les économies émergentes (Brésil, Inde, Chine et Afrique du Sud) insistent quant à elles sur la flexibilité. Depuis les premières négociations climatiques en 1992, un principe important est celui des responsabilités communes mais différenciées (CBDR en anglais). En gros, cela signifie que les États sont tous responsables du réchauffement climatique, mais que leurs efforts doivent être modulés en fonction de leur responsabilité historique – les pays les plus anciennement industrialisés doivent faire plus – et des moyens dont ils disposent. Une fois que les États auront fixé leurs NDC, ils devront ensuite régulièrement évaluer leurs avancées. Ce que réclament les pays du Sud, c’est une flexibilité dans ces évaluations car ils jugent qu’ils n’auront pas les moyens financiers et techniques pour bien les faire. Mais un coup de théâtre survenu jeudi soir pourrait changer la donne : la Chine a annoncé qu’elle renonçait à cette exigence et acceptait d’obéir aux mêmes règles que les pays développés sur ce point.
Aucun ministre français dans le round final !
Une Coalition pour une haute ambition a été lancée mercredi par quelque 70 États, dont 11 Européens parmi lesquels la France et l’Allemagne. Elle ne réunit qu’un tiers des pays signataires de l’accord de Paris, alors que la coalition similaire lancée en 2015 comptait 118 nations, dont les 28 pays de l’UE.
L’Europe est très en retrait. Et la France brille par son absence ! Ni le ministre d de la Transition écologique François de Rugy, ni la secrétaire d’État Brune Poirson — partie précipitamment mardi soir en raison de la crise des Gilets jaunes –- ne sont présents à Katowice ? Sans doute une première dans toute l’histoire des COP.
Jeudi soir, la présidence polonaise — critiquée par de nombreux observateurs pour son « inertie » et son échec à créer une dynamique ministérielle -– a enfin fini par publier un nouveau texte. Peu avant minuit, des experts commençaient à le décrypter, tout en se frottant les yeux, déjà gonflés de fatigue. Si certains points leur semblaient positifs, d’autres au contraire suscitaient leur inquiétude, comme la question des pertes et préjudices -– dont le traitement allait selon eux « décevoir les petites îles et les pays en voie de développement » — ou l’article 6, bourré de crochets, sur l’utilisation des marchés carbone et autres moyens de coopération. C’est sur cette base que les ministres devaient commencer vendredi à livrer bataille.
- Regarder ici le reportage photo de Sadak Souici
Mercredi 12 décembre : Rater la COP24 « ne serait pas seulement immoral, mais suicidaire »

Au dixième jour des négociations, et à 48 heures du clap de fin, le secrétaire général de l’ONU et les ONG ont fait front, avec des mots puissants, pour persuader les États qui regimbent de ne pas saboter la conférence climatique.
Ce matin, j’ai senti que je n’étais pas seule en marchant vers la COP. Comme si quelqu’un ou plutôt quelque chose m’accompagnait sur le trajet. Et puis j’ai compris : des effluves de carbone-suie s’insinuaient dans mes narines et ma trachée. Depuis deux jours, le temps s’est refroidi, stimulant l’usage des poêles à charbon, qui chauffent ici la plupart des foyers. Cela m’a rappelé cette conversation quelques jours plus tôt avec un expert finlandais de la pollution : il avait réussi à déprimer ses collègues en les informant que le niveau de particules fines à Katowice était l’un des plus élevés d’Europe. Il leur avait asséné le coup de grâce en leur montrant une cette carte colorée, indiquant les zones les plus polluées, dans un dégradé allant du vert au rouge foncé. La zone de Katowice y apparaissait sous la couleur noire…

En faisant mon marché parmi les différents événements de la COP, le choix a été vite fait. Car, désormais, ce sont les négociations qui priment. Aussi passionnants soient-ils, les side events passent à la trappe. Pour vous dire, j’étais si occupée à suivre ces négociations que j’en ai raté l’inratable Al Gore ! Manifestement, je n’ai pas été la seule : autour de moi, personne ne savait où et quand avait eu lieu son show… Autres événements dont je ne vous parlerais pas : l’idée de créer un passeport climat pour les ressortissants des nations amenées à disparaître ou le régime alimentaire sain et durable capable de nourrir 10 milliards d’êtres humains. Car à quelques dizaines d’heures du gong final, il est temps de plonger dans l’univers obscur de la négociation.
Petit retour en arrière d’abord. Si vous vous souvenez, les experts techniques ont rendu samedi soir à la présidence polonaise une première copie du rulebook, cette notice de l’accord de Paris, afin que les ministres n’aient plus qu’à trancher les points sensibles. À chaque paire de crochets correspondait une difficulté politique à régler. Seulement, le président polonais, Michal Kurtyka, a jugé que le texte, qui ne faisait plus que 100 pages au lieu de 300, était encore trop technique. Il a donc enjoint aux négociateurs de rendre un nouveau texte, plus clair, comprenant moins de crochets. Mardi soir, jugeant les progrès encore « insuffisants », la présidence polonaise a décidé de reprendre les rênes, s’engageant à retravailler elle-même le texte et à en remettre mercredi un texte plus resserré, avec moins d’options.
« Est venu le temps du compromis. Cela signifie des sacrifices, mais ils nous profiteront à tous »
Mercredi, le texte est ainsi arrivé bout par bout aux parties et aux observateurs, déclenchant de nombreuses réactions, souvent de déception. La faiblesse de l’ambition désole les pays les plus vulnérables au changement climatique, comme le Premier ministre fidjien, Frank Bainimarama. « Le temps pour parler et écouter », comme ce fut le cas durant un an à l’occasion du « dialogue Talanoa » où les États ont confronté leurs expériences, « doit maintenant laisser place à l’action », a-t-il alerté, demandant aux 195 autres États signataires de l’accord de Paris de relever leurs engagements de réduction de leurs émissions (NDC). « Ils doivent être multipliés par cinq », a-t-il rappelé, si l’on veut rester sous un réchauffement planétaire inférieur à 1,5 °C. À l’heure où quatre pays — États-Unis, Arabie saoudite, Russie et Koweït — jouent avec les mots et refusent de « saluer » le rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sur les 1,5 °C, proposant de seulement en « prendre note », le dirigeant fidjien a remis les pendules à l’heure : « Ensemble, nous devons accepter sans réserve la science et l’avis selon lequel nos NDC actuelles nous mènent à un réchauffement de plus de 3 °C d’ici la fin du siècle. »
Conscient du danger qu’il y aurait à ce que des États refusent de rejoindre « le canoë » fidjien, António Guterres, le secrétaire général de l’ONU lui-même, s’est réinvité mercredi à Katowice pour tenter d’éviter le naufrage. Il a rappelé que d’ici à vendredi soir, il était indispensable que la COP s’entende sur le rulebook, progresse sur la question des financements climat et s’engage à relever ses NDC. « Certains d’entre vous devront prendre des décisions politiques difficiles, mais est venu le temps […] du compromis. Cela signifie des sacrifices, mais ils nous profiteront à tous. […] Rater cette occasion […] ne serait pas seulement immoral, ce serait suicidaire. »
Ce désespoir, je l’ai aussi entendu dans une autre voix, celle de l’Indien Harjeet Sing, de l’ONG Action Aid International. Cela faisait plusieurs jours qu’il m’éclairait sur l’évolution des négociations, tout en se battant auprès des délégations pour qu’elles intègrent dans le rulebook la question des pertes et préjudices (loss and damage), ces pertes irrécupérables causées par la sécheresse, les inondations et autres typhons. Mais mercredi, j’ai senti sa gorge se serrer. « Ce qui arrive ici est très triste : les pays reviennent à la situation de 2014 où l’on se battait pour que le loss and damage soit reconnu » comme une question indépendante, non incluse dans les financements consacrés à l’adaptation au changement climatique. L’accord de Paris, a-t-il dénoncé, « n’est pas seulement une histoire de panneaux solaires et d’éoliennes, mais concerne les gens et la planète. Si on ne parle pas des conséquences sur les gens, alors nous échouons. »

12 décembre 2015 – 12 décembre 2018 : trois ans aujourd’hui que l’accord de Paris a été adopté. Qui paraissent des siècles. Alors qu’en 2015, les planètes semblaient parfaitement alignées et que les émissions mondiales commençaient — enfin — à diminuer, en 2018, la situation s’est renversée : les émissions sont reparties à la hausse et les planètes ont rejoint une orbite capricieuse, avec l’arrivée au pouvoir des climatosceptiques aux États-Unis puis au Brésil et de crises nationales chez des pays habituellement leaders des négociations climatiques (Brexit au Royaume-Uni, crise budgétaire en Italie, politique en Allemagne, et sociale en France avec les Gilets jaunes).
« C’est une COP européenne mais où est l’UE ? Pourquoi ne se comporte-t-elle pas en leader ? »
Trois ans après l’élan de la COP21 de Paris, l’Union européenne fait peine à voir. « Elle a été très décevante », aux yeux d’Harjeet Singh, un point de vue partagé par de nombreux observateurs. « C’est une COP européenne mais où est l’UE ? Pourquoi ne se comporte-t-elle pas en leader ? » Question que j’ai posée quelques instants plus tard au commissaire européen au Climat et à l’Énergie, Miguel Arias Cañete. M. Cañete n’a pas apprécié. Mais alors pas du tout. Écoutons sa réponse : « Le leadership n’est pas dire qu’on est le leader mais c’est d’agir. Et on est train de réduire nos émissions, on développe les technologies du futur. […] Nous serons les premiers au monde à atteindre la neutralité carbone. Être ambitieux, c’est aussi être solidaire et on est le premier financeur des pays en voie de développement. Ça, c’est du leadership. »

Il avait l’air si convaincu qu’on était les meilleurs que j’ai eu un doute. Alors je suis allée poser la question à Neil Makaroff, qui suit de près les politiques climatiques européennes pour le Réseau Action Climat. Les lois européennes sur la transition énergétique, si elles étaient correctement mises en œuvre, aboutiraient à une réduction de 45 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport au niveau de 1990. Le problème, souligne Neil Makaroff, c’est que primo, ce n’est pas gagné : si les émissions continuent sur la tendance actuelle, c’est tout bonnement impossible. Et que deuzio, « même si on y arrivait, 45 % de baisse d’ici 2030, c’est ridicule par rapport à l’objectif de la neutralité carbone en 2050 ». Les experts estiment en effet qu’on devrait se situer en 2030 entre moins 55 % et moins 65 %. Repousser les efforts après 2030, c’est juste l’assurance de perdre une course impossible à gagner en 20 ans seulement.
Coup de théâtre ! Au moment où j’écris ces lignes a lieu un rebondissement — c’est ça aussi les COP — puisque 11 pays européens, dont la France et l’Allemagne, mais aussi l’Argentine, le Mexique, les Fidji et quelques autres, ainsi que le groupe des 47 pays les moins développés viennent de lancer la Coalition pour une ambition élevée, se disant dans un texte commun « déterminés » à rehausser leurs engagements d’ici 2020. L’Europe pourrait-elle redevenir le chef de file providentiel que tous attendent à Katowice ? Reste à savoir si cette déclaration de dernière minute suffira à ranimer l’esprit de Paris… En effet, en 2015, ce furent 120 pays, dont l’UE toute entière et non 11 États sur 28, qui avaient signé une déclaration de ce type pour emporter le morceau quand la machine avait grippé. Et puis d’autres États freinent toujours des quatre fers. Harjeet Sing regrette ainsi que les États-Unis, l’Australie et le Japon, autrement dit les États « qui représentent les intérêts des énergies fossiles ne laissent l’espace à aucun progrès, que ce soit sur l’ambition, le financement, ou sur le fait de reconnaître le point crucial des pertes et préjudices ».
Mardi 11 décembre « Imaginez si Cristiano Ronaldo pouvait parler du climat ! »

Alors qu’a débuté mardi 11 décembre le « dialogue Talanoa », très attendu car il devrait permettre de mesurer l’ambition climatique des États, les sportifs se sont engagés eux aussi à agir pour le climat.
Ce mardi matin, la COP s’est réveillée sous la neige. Un fin duvet blanc qui pourrait bien s’épaissir les prochains jours, selon les prévisions météo. C’est donc bien emmitouflée qu’à 9 heures, j’ai croisé au portique de sécurité Valérie Masson-Delmotte, vice-présidente du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et l’une de ses meilleures vulgarisatrices. Elle m’a raconté comment, tout comme moi, elle marchait 30 minutes le matin pour rejoindre le palais des congrès, en raison de son hébergement éloigné. Un bol d’air appréciable quand on passe entre 10 et 15 heures enfermées dans des préfabriqués dépourvus de lumière naturelle… Cela m’a rappelé ce que m’avait raconté quelques jours plus tôt une volontaire en gilet vert : « Je suis étonnée, on est à la COP et plusieurs me demandent de leur appeler un taxi, alors qu’ils sont logés au Marriott, visible à l’œil nu, et qui se situe pourtant à 5 petites minutes à pied… »
C’est avec 25 minutes de retard qu’a commencé la séquence très attendue du « dialogue Talanoa ». Ce mot exotique recouvre une méthode traditionnelle utilisée aux îles Fidji pour résoudre les contentieux. Fondée sur un échange d’expériences, elle vise à dépasser les blocages entre les États en partageant des histoires qui aident à personnaliser les effets concrets du changement climatique. Ce procédé, durant lequel il est interdit de critiquer les expériences rapportées par les autres, vise à convaincre les participants à la COP à relever leur ambition en matière de réduction de gaz à effet de serre.
« Nous devons en faire plus, et le faire vite. La vraie histoire n’est pas encore écrite »
Le président polonais de la COP, Michal Kurtyka, a ouvert cette « séquence clé » — qui doit s’achever ce mercredi soir — en prenant pour exemple Katowice, ancienne ville minière devenue « une des villes les plus vertes de Pologne ». Pour lui, cette histoire de reconversion, c’est tout simplement « la preuve qu’une transformation est possible ». Parmi l’habituelle palanquée de discours officiels, quelques phrases de la secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la Mexicaine Patricia Espinosa. Durant ce dialogue, a-t-elle dit, « j’ai entendu d’incroyables histoires », comme celle de cette « petite Philippine qui a perdu les trois quarts de sa famille en un seul événement » extrême. « On se focalise tellement sur les chiffres et les statistiques mais le changement climatique parle d’abord des gens. À chaque chiffre correspond le nom d’une personne. »
Appelé à la rescousse, Laurent Fabius, artisan de l’accord de Paris en 2015, a répété l’urgence à agir : « Nous devons en faire plus, et le faire vite. La vraie histoire n’est pas encore écrite : elle peut encore être différente car il y a encore une petite fenêtre pour construire un avenir » pour les générations futures. Il a été jusqu’à « supplier » les États présents de s’unir et de trouver ensemble la « volonté politique » de mettre en œuvre l’accord de Paris de manière ambitieuse, au lieu, comme certains, de passer leur temps à jouer « les saboteurs ». Car le temps presse, a-t-il conclu : « Vous avez quatre jours pour finir le travail, c’est court mais c’est vital. »
En attendant, demain jeudi, le bilan de ce dialogue, revenons sur quelques événements marquants de la journée de mardi. Il y a d’abord eu l’annonce d’un accord-cadre, appelant le mouvement sportif — fédérations, ligues et clubs, mais aussi le Comité international olympique — à prendre des mesures pour réduire son empreinte carbone et sensibiliser le public à agir en faveur du climat.
L’idée est toute simple — encore une — : il s’agit de mettre la puissance financière de l’industrie du sport, et surtout sa capacité d’influence, au service de la lutte contre le changement climatique. D’autant que la pratique sportive est déjà fortement affectée : entre les hivers à l’enneigement incertain préjudiciables aux sports d’hiver, les vagues de chaleur éprouvantes pour les athlètes, les sécheresses dommageables aux terrains de golf ou les inondations aux matches de football.

La joueuse canadienne de football Karina LeBlanc — d’origine dominicaine, elle a perdu des membres de sa famille au passage de l’ouragan Maria — est convaincue que les sportifs ont leur rôle à jouer. « Regardez Cristiano Ronaldo, il peut toucher plus de 340 millions de personnes sur les réseaux sociaux. Imaginez si on pouvait avoir quelqu’un comme lui pour parler de ce dont on parle maintenant. Imaginez si on pouvait décrocher Serena Williams, Alex Morgan… »
Écolo convaincu, Dale Vince, lui, n’a pas attendu cet accord onusien pour agir : depuis que ce millionnaire a racheté le club anglais des Forest Green Rovers (FGR) en 2010, il a réussi à en faire le club le plus vert de la planète. Panneaux solaires, bouse de vache pour la pelouse, menu végane et maintenant stade en bois ! Ce sera d’ailleurs « le premier stade au monde à être construit uniquement en bois, ce qui est un gros défi », a relevé l’entrepreneur toute crête (capillaire) dehors, puisque « 75 % de l’empreinte carbone des stades vient, sur toute leur durée de vie, des matériaux utilisés pour les fabriquer et non de l’énergie pour les faire fonctionner ».
« À chaque fois, on m’a demandé si le Brésil allait quitter l’accord de Paris »
Alors que j’écoutais une responsable de Paris 2024 vanter les prochains jeux Olympiques de Paris, « spectaculaires et durables », car ils seront les premiers en conformité avec l’accord de Paris, une silhouette bien connue du monde climatique a attiré mon attention, celle du climatologue Jean Jouzel, ancien vice-président du Giec. J’en ai profité pour le sonder : alors cette COP, vous en dites quoi, vous qui en avez vécu une vingtaine ? « Ça se passe comme toutes les COP. Moi, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’ils vont dire du rapport du Giec sur les 1,5 °C. » Et pour cause, puisque la semaine dernière, l’Arabie saoudite, mais aussi les États-Unis, la Russie et le Koweït ont exprimé un avis défavorable sur ce texte. « C’est la première fois que ça arrive, c’est assez bizarre. Peut-être que les négociateurs étasuniens ne pouvaient pas rentrer chez eux en montrant qu’ils avaient tout accepté… »
Si les États-Unis sont dans toutes les conversations cette année à la COP, le Brésil lui aussi brûle les lèvres, le nouveau président élu, Jair Bolsonaro, qui prendra ses fonctions en janvier, ayant menacé de quitter l’accord de Paris. « Ici à Katowice, j’ai participé à quatre événements, m’a raconté Marcelo Donnabella Elias Basto, secrétaire d’État à l’Environnement de l’État de Sao Paulo. À chaque fois, on m’a demandé si le Brésil allait quitter l’accord de Paris. Tous sont très inquiets, car le Brésil est la 7e économie mondiale, et il jouit de la plus grande biodiversité au monde et de la plus grande forêt tropicale. » Alors, quittera ou quittera pas ? Il l’ignore, mais il n’est guère optimiste. Il s’autorise tout de même à espérer car « Jair Bolsonaro a montré de la flexibilité récemment : il devait fusionner les ministères de l’Environnement et de l’Agriculture, mais à cause de l’opposition de la société civile, il a reculé ».

Peut-être aussi le nouveau président se rendra-t-il compte qu’un départ de l’accord de Paris serait « une mauvaise décision pour le pays, notamment pour les exportations ». Certains pays ont en effet d’ores et déjà fait savoir qu’ils refuseraient d’importer des produits climaticides. Or, l’État de Sao Paulo, le plus peuplé du Brésil (45 millions d’habitants), avec un PIB égal au tiers du PIB national, est le premier exportateur du pays (canne à sucre, café, oranges…). Autre exemple : en 2015, Sao Paulo a été victime d’une pénurie d’eau. Or « dans une mégapole de 24 millions d’habitants, les besoins en eau sont immenses ». « Si le pays quitte l’accord de Paris et que le changement climatique s’aggrave, l’eau deviendra de plus en plus rare et cela peut créer une crise pour l’agriculture mais aussi une énorme crise urbaine. »
Je finirai sur une jolie histoire entendue aujourd’hui à la COP, celle de Sarah Zein, une jeune Syrienne qui en 2013 a réussi à lancer à Damas l’initiative « Yalla, let’s bike ». Alors qu’en Syrie, il est « socialement inacceptable pour une femme de rouler à vélo » — certains considèrent que cela déflore les vierges… —, elle est parvenue à bousculer les codes. Depuis, 10 kilomètres de pistes cyclables ont été construits, et les ventes de vélo ont explosé, près de la moitié achetés par des femmes.
Lundi 10 décembre : Boire le changement climatique pour le voir

Effervescence, tension, afflux des médias… après une première semaine d’échauffement, la COP est entrée lundi dans le vif du sujet.
Lundi, de nouvelles têtes sont apparues à la table des négociations : les ministres se sont substitués aux simples délégués. Quant à la salle de presse, jusqu’ici clairsemée, elle s’est soudainement remplie. Impossible d’étaler ses affaires sur trois espaces de travail, comme je le faisais jusqu’à présent : désormais, c’est du coude à coude. Une affluence que l’organisation polonaise ne semble pas avoir anticipée, la buvette ayant très rapidement dû se déclarer en rupture de sandwiches.
Signe de cette nouvelle donne : ma journée a commencé à 8 heures non pas à la COP, mais à l’hôtel Plaza de Katowice. Eh oui, quand les ministres apparaissent, les journalistes n’ont pas vraiment d’autre choix que de les suivre… Petit-déjeuner donc en compagnie d’une douzaine de journalistes français et de la secrétaire d’État à la Transition écologique, Brune Poirson, fraîchement arrivée. Après le point sur les négociations, que croyez-vous qu’il arriva ? Nous avons parlé taxe carbone et Gilets jaunes. Mme Poirson a rappelé qu’il était « dangereux de mettre cette crise uniquement sur le dos de la transition écologique », alors que cette dernière « ne représente qu’1 % des revendications des Gilets jaunes. C’est une crise plus large, économique et sociale ». D’ailleurs, a-t-elle mis en garde, dans cette histoire, « il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain », car à 44 euros la tonne, « cette taxe carbone reste l’une des plus élevées d’Europe ». La secrétaire d’État a reconnu qu’il fallait « retravailler sur la méthode puisqu’elle n’a pas été acceptée ».
« Ce sera une réussite ou un échec collectif »
En même temps que l’effervescence, la tension a grimpé lundi. La dramatisation est montée d’un ton. Chacun y a été de son discours alarmant pour rappeler, comment le dire à vous qui savez déjà… pour rappeler qu’il fallait agir MAINTENANT ! Pardon, j’ai peut-être crié trop fort ? Mais justement, lundi, à Katowice, on sentait ce cri dans toutes les gorges. Négocier jusqu’au bout et avant qu’il ne soit trop tard. Ainsi, lors d’une conférence de presse, la charismatique directrice de Greenpeace International, Jennifer Morgan, nous a souhaité la « bienvenue dans cette semaine cruciale pour l’avenir de l’humanité. Cruciale pour la COP24 et pour le monde ». « Ce qu’on attend, c’est que les ministres montrent qu’ils comprennent l’urgence climatique dans laquelle nous sommes », a-t-elle dit, appelant le président polonais de la COP, Michal Kurtyka « à monter en puissance cette semaine » et s’inquiétant de l’absence de certains pays riches à l’heure de financer les pays les plus vulnérables au changement climatique : « Mais où sont donc l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon ou la Norvège ? »

Chez les ONG, la tension était d’autant plus palpable qu’elles s’inquiètent des méthodes arbitraires de la Pologne. Selon l’ONG 350.org, au moins 14 personnes — des Ukrainiens, des Russes, des Géorgiens, un Belge et un Allemand, qui sont pour la plupart des activistes accrédités à la COP — ont été détenues ou refoulées de Pologne ces derniers jours. L’un d’entre eux, un Géorgien membre de sa délégation nationale, est même retenu à l’aéroport de Katowice depuis quatre jours. Menacé d’expulsion, il refuse de repartir.
Pour mobiliser les ambitions, tout est bon. Comme de sortir du chapeau un invité surprise. Lundi, la guest star s’appelait Laurent Fabius, autrement dit l’artisan de l’accord de Paris. Proche de Michal Kurtyka, qu’il connaît de longue date, il le tutoie. « Tu n’as pas l’air trop fatigué », plaisante-t-il en lui tapant sur l’épaule, avant de monter sur l’estrade. « C’est symbolique d’avoir ici les trois présidents travaillant main dans la main », s’est réjoui le Polonais, tandis qu’à sa gauche se tenait un autre ancien président de COP, l’Argentin Manuel Pulgar-Vidal. « On est ici pour s’assurer que l’accord que tu as construit, Laurent, puisse entrer en vie », a-t-il ajouté, en jouant la carte de la « continuité » dans un entre-soi quasi familial. « On sent la responsabilité sur nos épaules : mais désormais, c’est entre les mains des parties. Ce sera une réussite ou un échec collectif. »

Parmi les autres événements qui ont marqué la journée, je dois vous parler d’un « marronnier » de la COP. Les marronniers, ce sont ces articles qui reviennent tous les ans, inéluctablement à la même époque, comme les soldes ou le changement d’heure. Eh bien, un des marronniers de la COP, c’est l’action des ONG contre les side events organisés par les États-Unis pour vanter leur mix énergétique. En d’autres termes, pour vendre le fait qu’on peut faire du charbon « propre » — alors qu’en fait, pas vraiment… — et que le gaz de schiste est l’avenir de l’homme.
« Business as usual »
Sous l’innocent titre « Les technologies innovantes étasuniennes qui stimulent le dynamisme économique » se cachait donc une ode aux énergies fossiles. Les ONG savent communiquer et lundi, tout le monde autour de moi parlait de cet événement qu’il ne fallait, parait-il, manquer sous aucun prétexte. À 13h15, la conférence a débuté et au bout de quelques minutes, la centaine d’activistes qui avait investi la salle s’est levée pour interrompre la présentation : ils se sont alors mis à danser et chanter en rythme « keep it in the ground », pour réclamer que les États-Unis laissent dans le sol les énergies fossiles. Après cet intermède musical, assez identique à celui de l’an dernier, la conférence a repris. Business as usual. On pourrait d’ailleurs discuter de l’arbitraire d’une telle action, car dans la salle voisine se tenait une conférence organisée par l’Arabie saoudite sur les nouvelles techniques d’extraction du gaz et du pétrole… J’ignore qui, des États-Unis ou de l’Arabie saoudite, est le plus climaticide, toujours est-il que tous n’ont pas eu droit à une danse votive.

Deux autres conférences intéressantes ont attiré mon attention : la première concerne la mode et le changement climatique. Car, comme l’a expliqué le responsable onusien Martin Frick, « très peu de choses façonnent notre réalité comme le fait la mode ». On l’oublie trop souvent, mais les vêtements que nous portons, et surtout ceux que nous achetons, représentent une énorme empreinte carbone. Selon Stefan Seidel, de chez Puma, les émissions du secteur « sont estimées être plus élevées que celles du secteur des transports et à égalité avec celles de la Russie ». Pas rien, donc. Reconnaissant que « l’industrie de la mode n’a peut-être pas le meilleur historique en matière de performances environnementales », il assure que, « cette fois, on ne veut pas se tromper ». Une quarantaine de marques mondialement connues (Burberry, Guess, Esprit, H&M, Hugo Boss…), de distributeurs, de fournisseurs ainsi que l’armateur danois Maersk, l’un des acteurs majeurs du transport mondial par porte-conteneurs, se sont donc réunis pour signer une charte inédite où ils s’engagent pour le climat : de l’efficience énergétique à la neutralité des émissions en 2050, en passant par la transparence sur leur bilan carbone.
Goûter le changement climatique
Mais pourquoi s’intéressent-ils soudain à cette problématique, eux dont le « business », comme ils disent, est de vendre des vêtements et des chaussures ? Eh bien, répond Puma, « parce que ça fait sens commercialement ». En d’autres termes, explique-t-il, gagner en efficience énergétique par exemple, ça augmente ses bénéfices. Si se verdir veut dire plus de profits, il devrait y avoir plus d’un candidat sur les rangs. En revanche, je dois vous avouer qu’aucun des fabricants présents n’a véritablement répondu à la (pertinente) question posée par l’un de mes confrères : « Une des solutions pour préserver le climat ne serait-elle pas de réduire le volume de vêtements vendus ? »
Je vous propose de finir la journée sur une touche plus alcoolisée avec cette conférence intitulée « Bordeaux 2050 : le vrai goût du changement climatique ». C’est l’histoire d’un journaliste, Valéry Laramée, qui depuis vingt ans a tout tenté pour vulgariser l’urgence de la crise climatique. Comment parler de cette « incroyable vérité » ? « J’ai l’impression qu’on a tout essayé, a exposé le rédacteur en chef du Journal de l’environnement, mais ce n’était pas assez, la concentration atmosphérique en CO2 continuait à augmenter. » Et puis en 2015 lui vient une idée : « En France, un sujet passionne tout le monde, ou quasiment : le vin. » Alors il se lance, crée un blog et décide de faire goûter aux Français « un vin qui préfigurerait ce que serait un bordeaux en 2050, si les viticulteurs ne changeaient pas leur pratique ». En effet, en 2050, les zones favorables à la culture de la vigne se déplaceront vers le nord. Et la région bordelaise sera affectée par une nouvelle donne climatique : le raccourcissement de la période végétative, les sécheresses, les événements extrêmes… Le merlot et le cabernet aujourd’hui adaptés ne le seront plus. À l’aide d’un vigneron, Pascal Chatonnet, Valéry Laramée et quelques autres ont œuvré pour rendre cette réalité plus tangible en créant le bordeaux du futur. Ils ont sélectionné des raisins dans des régions connaissant des conditions climatiques similaires à celles qui devraient régner dans le Bordelais en 2050 — Tunisie, Minervois… — et les ont assemblés pour donner naissance à ce bordeaux 2050, moins élégant, plus sec, amer aussi, avec des arômes moins complexes. Le succès médiatique a été immédiat : en avril dernier quand ils ont présenté leur vin du futur, enfin ! on a parlé en France, et dans le monde entier, de ce changement climatique que l’on ne veut pas boire.
Samedi 8 décembre : Des nuages planent sur la négociation

Marche pour le climat, mais sous étroite surveillance policière. Et la police polonaise gêne ou empêche l’arrivée de militants climatiques. Lundi, la négociation reprend au niveau ministériel. Mais tout le monde semble mettre des freins...
En ce septième jour de COP, deux événements se télescopaient à Katowice : à l’extérieur, dans le froid et les chants, la Marche pour le climat ; à l’intérieur, dans une atmosphère chaude et feutrée, la fin du volet technique des négociations.
En me rendant à la Marche pour le climat, en fin de matinée, je pensais assister à un gigantesque rassemblement. J’en en été pour mes frais : à midi, place de la Liberté, je comptais plus de policiers et de journalistes que de manifestants… Mais peu à peu, le nombre de manifestants a fini par grossir pour atteindre 1.500 à 2.000, dépassant celui des policiers, une gageure au vu de leur impressionnant déploiement. En observant ce cortège, corseté de part et d’autre par des policiers se suivant à moins de trois mètres d’intervalle, je n’ai pu m’empêcher de penser aux Gilets jaunes protestant à Paris. Autant vous dire qu’il n’y a eu aucun débordement.

Parmi les manifestants, de nombreux Polonais, aussi préoccupés par le climat que par la pollution. Leur ennemi : le charbon et cet insidieux carbone-suie, issu de sa combustion, qui noircit leurs bronches depuis des dizaines d’années, provoquant cancers et maladies respiratoires. Comme beaucoup d’entre eux, Ines, l’Espagnole, et Anna, la Française, étudiantes Erasmus à Cracovie, ont couvert leur visage d’un masque à gaz. « En venant ici, je me suis rendue compte que la Pologne était en retard sur l’environnement : elle produit du charbon, continue à distribuer plein de sacs en plastique. Ici, on m’a même déconseillé de courir à l’extérieur à cause de la pollution », regrette Anna. Ines en pâtit chaque jour ; ça lui gratte la gorge et la fait tousser en permanence.
Wolfgang Eber, lui, arrive de Bonn, après trois mois et 1.883 kilomètres de marche. « Je fais partie d’un groupe de chrétiens qui lutte pour la justice climatique », raconte-t-il.

Il n’est pas le seul pèlerin à avoir fait le trajet à pied : le Philippin Yeb Saño arrive juste du Vatican. « Si la crise climatique persiste, nous serons tous affectés », a-t-il crié à la foule, casquette kaki vissée sur la tête. « Nous devons agir si nos dirigeants échouent à s’en saisir. »
Une fois son intervention terminée, je le prends à part et lui demande pourquoi il est venu jusqu’ici, à Katowice. « Si les négociations échouent ici, c’est comme si on faisait une croix sur l’Accord de Paris, répond-il. Il s’agit d’une crise climatique, politique, mais aussi spirituelle : il faut combattre l’avidité et l’arrogance, qui mènent les gouvernements et les entreprises. » Derrière moi, un homme à la large carrure attend son tour : lui aussi veut parler à l’activiste philippin. Il se présente ; c’est Tom BK Goldtooth, de la tribu amérindienne des Navajos. Sous mes yeux, les deux hommes échangent leurs adresses de courriels : une COP, c’est aussi ça, des liens qui se créent, d’un continent à l’autre, et des luttes qui convergent.

Soudain, je tombe sur une étrange pancarte : « Mon ami venait à la COP24, mais il a été arrêté. » Intriguée, je m’approche de la jeune femme qui la brandit. Elle appelle Valentyn Pugachov, porte-parole de l’ONG ukrainienne EcoAction, pour qu’il m’explique les faits : deux de leurs activistes, pourtant régulièrement accrédités à la COP, ont été arrêtés le matin-même à Katowice à leur hôtel. Depuis, ils n’ont plus aucune nouvelle d’eux. Pour le moins inquiétant…

D’autant que ces deux arrestations font écho à d’autres incidents du même type : depuis quelques jours, et notamment vendredi, la police polonaise a refoulé plus d’une douzaine d’acteurs de la société civile, parmi lesquelles une activiste du Climate Action Network (CAN) co-organisatrice d’une marche de 65.000 manifestants à Bruxelles. Justification avancée par la Pologne : elle représenterait une « menace à la sécurité nationale ».
Fin janvier, la Pologne a en effet adopté une loi controversée interdisant toute manifestation spontanée avant et durant la COP24 et permettant aux autorités de collecter des informations sur tous les participants à leur insu. Bref, en 24 ans de COP, c’est bien la première fois que Valentyn Pugachov a eu vent d’une telle pratique. Fâcheux, à l’heure où la présidence polonaise de la COP répète qu’il faut intégrer la société civile –- et surtout les travailleurs du charbon -– dans la transition climatique. Les deux activistes Ukrainiens seront finalement relâchés samedi dans la soirée.
Après quatre heures dehors -– certes sous le soleil mais tout de même dans la froidure polonaise -– mes doigts engourdis et moi nous sommes rabattus vers la soucoupe volante de la COP. « Vous n’avez pas froid », ai-je demandé, compatissante, à une volontaire en gilet vert. « Non », me glisse-t-elle dans un clin d’œil, entrouvrant son coupe-vent, pour me montrer sa veste verte en duvet. « Ça doit être parce qu’on est sponsorisé par JSW… » Sur sa doudoune, le sigle du groupe polonais, premier producteur à charbon de l’Union européenne et grand sponsor de la COP24.
L’ÉTAT DES NÉGOCIATIONS : GROS NUAGES EN VUE

Alors que les ministres commencent à débarquer depuis dimanche – journée de repos pour la COP —, il n’est pas inutile de faire le point sur l’état des négociations. Pendant une semaine, les délégués mandatés par les 196 États signataires de l’Accord de Paris ont planché sur le fameux « rule book » de l’accord de 2015. L’accord de Paris, c’est un peu comme un médicament : on sait à peu près à quoi il sert, quelle douleur il peut atténuer, quels en sont les principes actifs, seulement il vous faut une notice pour en connaître précisément la posologie, le mode d’administration, les contre-indications… Eh bien, le rule book, c’est un peu cette notice.
Les travaux pour l’élaborer ont débuté il y a trois ans, juste après la COP21 et, si tout va bien, ils doivent s’achever à Katowice. Au début de la COP, il y a une semaine, la notice faisait encore quelque 300 pages. Samedi soir, elle n’en faisait plus qu’une centaine, les négociateurs étant parvenus à trouver un consensus sur un certain nombre de questions. Sur ces 100 pages, toute une ribambelle de crochets. En effet, à chaque fois que les négociateurs tombent sur un point sensible, qu’ils ne peuvent trancher de manière technique, ils intègrent un crochet qui fera l’objet d’un débat entre les ministres. Moins il y a de crochets, plus on est près d’un accord.
À partir de lundi, « les négociations seront entre les mains des ministres », a dit samedi l’Autrichien Helmut Hojesky lors d’un point presse organisé par l’Union européenne. « On a fait de beaux progrès, mais on n’y est pas encore ».
Parmi les questions les plus sensibles qui devront être tranchées en deuxième semaine, celle des financements. Les pays développés se sont en effet engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an à l’horizon 2020 pour l’adaptation aux changements climatiques des pays les plus vulnérables. Mais aujourd’hui, le compte n’y est pas. Par ailleurs, ce que couvrent précisément les financements climat reste à définir, car chacun y met un peu ce qu’il veut.
Sous-dossier du financement : la question des « pertes et préjudices », en d’autres termes les dommages irrécupérables dus à l’impact du changement climatique (pertes de revenus causées par la destruction d’une récolte, perte en vies humaines après un ouragan…). Les pays les plus durement touchés sont souvent les plus pauvres et on comprend qu’ils souhaitent pouvoir être indemnisés de ces pertes causées par un changement climatique dont ils sont bien moins responsables que les pays développés. Curieusement, les pays riches sont peu enclins à vouloir intégrer ces préjudices. Ils jugent que cela doit être inclus dans le volet « Adaptation au changement climatique » et ne doit pas générer d’autres financements.
Une autre bataille pourrait se livrer sur les « délais communs ». En effet, l’Accord de Paris n’a pas précisé sur quelle durée les États devaient prendre des engagements (NDC) de réduction de leurs émissions. Certains pays sont partis sur cinq ans, d’autres sur dix. Or il sera impossible de comparer les efforts de chacun si tous ne partagent pas le même horizon temporel. Les États sont très divisés sur cette question, au point que certains recommandent de repousser ce volet aux calendes grecques…
Autre point qui fâche : la façon dont sera reflété le rapport du Giec sur les 1,5 °C dans le texte qui sera adopté par les États à la fin de la COP. Il y a trois options : soit ils le passent sous silence, et alors, de l’avis de toutes les ONG, « c’est un désastre ». Cela donnerait au monde un message extrêmement négatif si la COP, qui a commandé ce rapport – ce qui était une première – faisait finalement comme s’il n’existait pas. Deuxième option : les États rédigent une déclaration, peu engageante politiquement. Troisième option, ils optent pour une décision, plus ambitieuse.
Tout se jouera sur les mots qui seront choisis dans ce satané texte : les États parties à la COP se contenteront-ils de « prendre note » du rapport, ou préféreront-ils l’« accueillir » ? Cela vous paraît peut-être vétilleux, mais dans le monde des COP, c’est un enjeu énorme. L’Arabie Saoudite, qui s’est fait remarquer cette semaine en contestant allègrement le travail du GIEC, a déjà fait savoir qu’elle bloquerait toute option ambitieuse. Avec dans son sillage, deux autres grands producteurs d’énergies fossiles, la Russie et les États-Unis…
Autres grands oubliés à ce stade : les droits humains, qui ne sont pas mentionnés une seule fois dans le rule book. « Dans les discussions qui ont eu lieu cette semaine, la dimension sociale a été systématiquement éliminée du texte », dénonce Sébastien Duyck, de l’organisation environnementale CIEL. Un comble alors qu’on célèbre ce lundi les 70 ans de la Déclaration onusienne des droits de l’Homme.
Ces points d’achoppement ne sont que des exemples. Mais tous semblent annoncer de gros accrochages dans les jours qui viennent. D’autant que l’ambition ne semble pas l’attribut le mieux partagé : à ce jour, seuls quelques pays comme le Canada, le Vietnam, les Fidji ou la Jamaïque ont annoncé qu’ils allaient réviser leurs NDC à la hausse. Les autres sont aux abonnés absents.
Durant cette deuxième semaine, la présidence polonaise, incarnée par Michal Kurtyka, va devoir faire ses preuves. Jusqu’ici, elle est restée très en retrait, ne s’investissant guère. Désormais, elle va devoir prendre position : jouera-t-elle les facilitateurs, ou au contraire, elle qui a réaffirmé qu’elle ne quitterait pas le charbon de si tôt, mettra-t-elle en péril les négociations ? Peut-être Michal Kurtyka prendra-t-il conseil auprès de Laurent Fabius, l’un des artisans de l’Accord de Paris, dont la venue à la COP vient d’être annoncée pour lundi.
Et quid de l’Union européenne, qui se gargarise d’être à la pointe de la lutte climatique ? Pour Sébastien Duyck, durant cette première semaine, « l’UE s’est rarement montrée leader sur un sujet en particulier ». Et pour cause, il faudrait déjà qu’elle puisse s’accorder sur une position commune entre ses 28 membres. Un défi d’autant plus ardu qu’en ce moment, remarque l’activiste, « les pays forts ont tous des problèmes de leadership ». Manifestement, « ni l’Allemagne, ni la France ne sont prêtes à monter au créneau. »
Vendredi 7 décembre : Alerte à la climatisation

Au sixième jour de la COP, vendredi, les délégués des États continuaient à finaliser dans l’ombre le texte qu’ils présenteront samedi soir aux ministres pour les négociations les plus sensibles. Pendant ce temps-là, la conférence des parties continue à bruisser d’une cascade d’événements.
Mais où se cachent-ils ? Hier soir, comme tous les soirs depuis mon arrivée à Katowice, je n’ai pu m’empêcher de m’interroger : où disparaissent donc les milliers de délégués, membres d’ONG, volontaires ou journalistes du monde entier, une fois qu’ils ont remisé leurs stylos après leur si intense journée ? Certes, de nombreux négociateurs ne quittent les salles de réunion que tard dans la nuit, tandis que d’autres, épuisés, filent se requinquer dans leur chambre d’hôtel, mais tout de même, cela devrait être l’effervescence en ville, non ? Le mystère reste entier : toujours est-il qu’à 19 heures comme à 23, le centre-ville de Katowice reste aussi placide qu’un lac suisse.
Pour cette sixième journée de conférence climatique, je vous propose de déambuler sans but précis dans les couloirs de la COP et ses dizaines de préfabriqués, en repartant du matin. À 9 heures, force est de constater que les side events –- les dizaines d’événements organisés chaque jour en marge des négociations -– ont moins la cote, et ce d’autant moins quand ils optent pour des intitulés aussi cabalistiques que celui-ci : « Les +1, l’essence de devenir un acteur de la transformation ». Honnêtement, vous, vous seriez levés pour suivre ça ?

J’ai continué ma route, croisant des personnes toutes plus cosmopolites les unes que les autres : un père Noël polonais, une danseuse balinaise, des Amérindiennes en costume traditionnel, des militaires polonais en uniforme, ou encore une manifestation improvisée au beau milieu d’un couloir, appelant à la fin du financement des énergies fossiles.

Dans ce magma d’événements, j’ai fini par me décider pour une conférence de presse sur la construction et la rénovation énergétique dans le bâtiment, un secteur bien moins largement couvert que celui des transports. Il représente pourtant près de 40 % des émissions totales de CO2. Une comparaison donnée vendredi matin lors de la conférence frappe les esprits : « Chaque semaine, une surface de plancher équivalente à la taille de Paris est construite dans le monde », engendrant souvent des infrastructures à fortes émissions qui nous accompagneront pendant des décennies. Selon Yves-Laurent Sapoval, conseiller à la Direction française du logement, 60 % du CO2 est émis dans la construction et 40 % lors du fonctionnement de l’habitation.
Un rapport de l’Alliance mondiale pour les bâtiments et la construction, réalisé en coopération avec l’Agence internationale de l’énergie et l’ONU Environnement, souligne un défi émergent : celui du refroidissement des bâtiments. Depuis quelques années, on observe en effet une forte hausse de la consommation en énergie des systèmes de climatisation (+ 25 % depuis 2010), et ce en raison de « l’amélioration des revenus dans les pays en développement et de la hausse des températures ». Sans mauvais jeu de mots, un chiffre fait froid dans le dos : on recense désormais 1,6 milliard de climatiseurs dans le monde. La question du logement et de la construction est donc cruciale si l’on veut limiter le réchauffement planétaire. Malheureusement, expliquent les experts, seule une centaine d’États, sur les 196 signataires de l’accord de Paris, ont fourni des engagements de réduction de leurs émissions carbonées — les NDC — contenant des mesures spécifiques visant à améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments. Et dans cette centaine de NDC, seule une poignée « aborde la construction et le “carbone incorporé”, lié à la fabrication de matériaux tels que l’acier et le ciment utilisé pour la construction ». Autrement dit, il y a encore du pain sur la planche pour réduire l’empreinte carbone de ce secteur crucial.
« C’est une grande plateforme pour nous : on a le droit à une émission télé quotidienne et gratuite »
Dans les locaux préfabriqués de la COP, tantôt glacés, tantôt surchauffés, où l’efficacité énergétique est un concept exotique, j’ai repris ma déambulation. Dans le secteur des pavillons nationaux, mon attention a été attirée par l’un d’entre eux. Alors que depuis six jours, je passais devant le stand bleu océan du World Wide Fund (WWF), j’ai soudain réalisé qu’il avait muté dans la nuit pour se transformer en un « US Climate Action Center », en d’autres termes le « Centre d’action climatique des États-Unis ». Pour rappeler qu’en dépit des déclarations de leur président, Donald Trump, ils sont toujours dans l’accord de Paris, des ressortissants étasuniens ont donc monté à Katowice leur boutique éphémère sous l’étendard « We Are Still In » (« Nous sommes toujours dans la partie ») : durant quatre jours devaient s’y succéder plusieurs dizaines de simples citoyens, représentants des États, des villes, des entreprises ou encore du secteur sanitaire ou culturel, pour faire part de leur détermination à agir et des efforts qu’ils mènent pour la transition.

Puisqu’on parle des États-Unis, voici une autre figure récurrente de cette COP : Stuart Scott. Chaque jour, à 15 heures, il apparaît, avec sa cravate et son pull rouges, sur les écrans de retransmission de la COP pour un side event généralement assez prisé des journalistes, tantôt avec la jeune Suédoise Greta Thunberg, tantôt avec les activistes londoniens d’Extinction Rebellion ou encore avec le scientifique britannique Peter Wadhams, expert de l’océan Arctique. Il y a un an, quelque 15.000 scientifiques du monde entier lançaient leur « Alerte à l’humanité », pour avertir de l’urgence à agir contre le changement climatique. Quand il a eu vent de cette initiative, Stuart Scott a contacté les responsables de l’appel. « Je leur ai dit qu’ils passaient à côté de la principale partie prenante dans ce combat : les gens. Je leur ai alors proposé de créer une interface avec le public. Et ils ont accepté. » Depuis, sur son site ScientistsWarning.org, le sexagénaire relaie des informations sur le climat ou la politique environnementale étasunienne.

Que pense-t-il de la COP ? « C’est une grande plateforme pour nous : on a le droit à une émission télé quotidienne et gratuite. » Et sinon ? « C’est juste une perte de temps, cette COP ». Avec son franc-parler et son discours écologiste très militant, il fait parfois peur aux scientifiques, qui aimeraient plus de retenue. Retenue ou pas, c’est lui qui a eu pris l’heureuse initiative d’inviter à la COP la jeune Suédoise Greta Thunberg, devenue depuis peu une icône de la jeunesse en colère. Quand Antonio Guterres a vu toutes les interviews d’elle à Katowice, il a demandé à la rencontrer. « Et alors, face aux caméras du monde entier, se réjouit encore le talentueux trouble-fête, elle a gentiment donné une leçon aux États » sur leur intolérable défaillance face à l’urgence climatique.

Jeudi 6 décembre : Les Gilets jaunes s’invitent à la COP

Au 5e jour de la COP, la question des Gilets jaunes s’est invitée à Katowice, où le « cas français » divise. Tandis que certains y lisent la nécessité à mieux communiquer autour des politiques climatiques, d’autres, comme les travailleurs polonais du charbon, s’en saisissent pour défendre le maintien des énergies fossiles.
La journée a commencé par une rencontre aussi inattendue que fortunée. Alors que je préparais le programme de la journée dans cette salle de presse reculée, je suis tombée nez à nez avec le président polonais de la COP, Michal Kurtyka. J’ai donc tenté ma chance. En français, puisque le jeune (45 ans) et sémillant vice-ministre de l’Environnement a fait ses études en France, sur les bancs de Polytechnique. Je lui ai demandé ce qu’il pensait de la crise française des Gilets jaunes et s’il ne craignait pas qu’un tel événement n’écorne les ambitions de certains États. En dépit d’une attachée de presse qui le tirait sans cesse par la manche pour l’encourager à partir, il a tenu bon et m’a gentiment répondu que cette question n’avait pas d’incidence sur la COP, puisqu’il s’agissait d’un « problème national ». National, national, mais ça a tout de même un lien direct avec le message de la « transition juste » qu’il porte depuis dimanche, non ? C’est vrai, a-t-il reconnu, et d’ailleurs, « l’exemple de la Pologne montre qu’on peut mener une politique en accord avec sa population, même si c’est une politique difficile ». C’est à ce moment-là que je lui ai rappelé que la Pologne, avec une électricité produite à 80 % grâce au charbon, n’était pas véritablement engagée dans ce qu’on pouvait qualifier de transition énergétique.

« N’oubliez pas le point de départ », m’a-t-il répondu, justifiant la situation actuelle par « la folie des grandeurs des communistes ». « Notre mix est hérité de décisions qui étaient planifiées à Moscou. » La Pologne a donc misé sur le seul charbon, « alors que tous ses voisins avaient la diversité des mix : Lituanie, Tchéquie, Slovaquie, Ukraine… Tous avaient des centrales nucléaires, sauf la Pologne ». Cette dernière étant dotée d’« une surcapacité d’usines de production d’électricité relativement neuves fonctionnant au charbon, il faut un petit peu de temps pour engager un changement ».
La crise française est un argument idéal pour justifier le malaise social et discréditer tout effort de transition énergétique, présentée comme inéquitable
D’ailleurs, s’est-il défendu, la source qui sera la plus développée dans le mix polonais dans les années à venir sera le photovoltaïque. Un mégawatt sur quatre de la puissance installée en 2035 viendra du photovoltaïque ». Cependant, la Pologne a autorisé il y a peu la construction d’une nouvelle centrale à charbon.
Le gouvernement fait écho à la société polonaise. On a appris jeudi que le syndicat polonais Solidarnosc (Solidarité), qui avait mené la révolte contre le régime communiste dans les années 1980, s’alliait avec un sulfureux lobby étasunien, le Heartland Institute, climatosceptique patenté et l’un des plus vigoureux défenseurs de l’industrie des énergies fossiles. Dans un communiqué, les deux nouveaux partenaires ont exprimé « leur scepticisme face aux allégations » selon lesquelles « le monde est au bord d’une catastrophe climatique ». Pour eux, aucun « consensus scientifique » n’existe sur les causes du changement climatique et ils « croient que les leaders mondiaux devraient plutôt concentrer leurs efforts sur l’accès abordable et facile à l’énergie afin d’améliorer les conditions de vie partout dans le monde ».
Pour un syndicat comme Solidarnosc, la crise française est un argument idéal pour justifier le malaise social et discréditer tout effort de transition énergétique, présentée comme inéquitable.
D’où l’objet de la conférence de presse organisée par plusieurs ONG à la mi-journée : « Comment mettre en œuvre une politique climatique en accord avec l’impératif de justice sociale ? » Pour les intervenants, la crise des Gilets jaunes en France prouve qu’un instrument de politique climatique mal conçu peut entraver une action pourtant urgente et nécessaire.
« La notion de justice sociale est présente dans l’accord de Paris », a relevé Pierre Cannet, de WWF France. Le défi à présent pour le gouvernement est « de mettre en œuvre la transition de la manière la plus juste possible ». Pour lui, il serait faux « de dire que les Français sont contre la transition, ce n’est pas comme en Pologne. Il est clair qu’en France, il y a une mobilisation pour le climat ».

L’État doit montrer aux contribuables que cette taxe a servi à financer des solutions tangibles qui améliorent leur vie au quotidien
C’est ce que semble démontrer l’exemple canadien. En effet, bien avant la France, il y a onze ans, l’État de Colombie-Britannique a lancé sa propre taxe carbone. Sans jamais créer d’émeutes. Pourquoi une telle réussite ? C’est ce qu’a brillamment analysé Tzeporah Berman, conseillère auprès du gouvernement de Colombie-Britannique.
Cette taxe, qui couvrait 70 % des émissions, a été mise en place en juillet 2008. Son principe était très simple, a-t-elle détaillé : « Elle s’appliquait à toutes les énergies fossiles utilisées pour la cuisine, l’électricité ou les transports et tolérait très peu d’exceptions. » Fixée à 10 dollars la tonne en 2012, elle a ensuite augmenté de 5 dollars par an pour atteindre 30 dollars la tonne en 2012. Résultat : « De 2008 à 2012, la consommation d’énergies fossiles a diminué de 17 % alors que durant la même période, le reste du Canada a vu ses émissions grimper de 1 %. » Dans le même temps, l’économie de la Colombie-Britannique a connu une croissance de 16 % et affiché le taux de chômage le plus bas du pays.

Le Canada a bien compris l’intérêt d’une telle taxe puisqu’il vient d’annoncer qu’il allait étendre ce dispositif à tout le pays l’an prochain. « Une augmentation continue des prix est nécessaire pour réduire les émissions », a plaidé Tzeporah Berman, à condition, a-t-elle alerté, de compenser les revenus des plus vulnérables. Chez elle, le gouvernement a en effet « créé un système qui rend cet argent aux gens sous forme de réductions d’impôts. Pendant les trois premières années, 1,8 milliard de dollars canadiens [1,2 milliard d’euros] ont ainsi été redistribués en fonction des usages et des besoins », aux plus défavorisés.
Pour la chercheuse canadienne, la communication est essentielle. L’État doit montrer aux contribuables que cette taxe a servi à financer des solutions tangibles qui améliorent leur vie au quotidien : de nouveaux projets de transport, des aides à l’achat de véhicules électriques et à la rénovation des logements. « Cela a créé une meilleure acceptation. Ainsi on a probablement évité de graves conflits, estime-t-elle. Les sondages indiquent que 70 % des personnes interrogées en Colombie-Britannique aiment notre taxe. » Elle leur donne « un sentiment d’utilité et de fierté ». Un exemple qui devrait peut-être inspirer le gouvernement français.

Pour finir, et alors que depuis quelques jours pleuvent les rapports angoissants sur la hausse des émissions, reparties plus fort que jamais en 2018, ou sur la pollution qui tue chaque année 7 millions d’êtres humains, je vous laisse sur cette petite phrase entendue au détour d’une énième conférence sur la transition. Elle émane d’un responsable onusien du nom de Martin Frick :
Le changement arrive très lentement, insupportablement trop lentement, à tel point qu’à un moment, on est prêt à désespérer que ce changement puisse jamais avoir lieu. Mais c’est exactement à ce moment-là que vous n’êtes plus qu’à quelques millimètres d’aboutir. J’ai eu le privilège d’être à Berlin Est en août 1989, je parlais avec des gens persuadés de ne pas assister à un changement de régime de leur vivant. Deux mois plus tard, c’était fini. »
Mercredi 5 décembre : « Si seulement on pouvait couvrir la crise climatique comme un match de football »

Au quatrième jour de la COP, la jeune Suédoise Greta Thunberg a continué son marathon médiatique, attirant à chaque apparition de nombreux fans. Une bouffée de colère et de vérité, alors que dans les salles obscures de la conférence, les délégations continuent à négocier à petit pas.
Quatre jours déjà que la COP s’est ouverte, et le programme est toujours aussi fourni. Alors que vous pourriez imaginer que, pour un tel événement, les journalistes disposent d’un emploi du temps bien calé depuis des lustres, la réalité est tout autre. Car dans une COP, le programme définitif de la journée n’est finalisé que… la nuit d’avant. J’ai bien dit la nuit, et pas le soir, hein… C’est-à-dire, lectrices, lecteurs, que la veille à minuit, je ne sais toujours pas exactement quel événement, plénière, briefing ou conférence de presse je serai à même de suivre pour vous le lendemain. Tout cela ne peut se caler qu’au lever : apparaissent alors, dans des applications ou des sites tous moins intuitifs les uns que les autres, des dizaines d’événements sous des intitulés sibyllins.
La journée se déroule ensuite entre promesses tenues, espoirs déçus et toute une ribambelles de rencontres inopinées qui font tout le sel d’une telle conférence. Pour cette quatrième journée, j’ai décidé de faire l’impasse sur les plénières rébarbatives pour privilégier des rencontres avec quelques personnes particulièrement inspirantes.
Ça a commencé par une passionnante conférence de l’organisation londonienne Carbon Tracker qui en quelques diapos assorties de jolies formules s’est attelée à atomiser « cinq mythes sur la transition énergétique ». Son objectif : rabattre le caquet des « marchands de doute », hommes politiques ou représentants de l’industrie pétrolière, qui depuis une trentaine d’années déploient des arguments fallacieux pour discréditer les alternatives au gaz, au pétrole et au charbon, à l’image des cigarettiers qui durant 50 ans ont milité pour défendre la prétendue innocuité du tabac.
Parmi ces mythes, Kingsmill Bond a démonté celui consistant à dire que les énergies fossiles ne sont pas substituables et que les énergies renouvelables sont aujourd’hui « trop marginales pour compter ». Pour l’analyste britannique, ce n’est pas un argument valide. « Regardez », a-t-il dit en montrant un graphique illustrant la disparition des chevaux comme moyen de transport au début du XIXe siècle, « le pic survient toujours avant la chute ». Ainsi, en 1910, date à laquelle la population chevaline était à son acmée, personne n’aurait jamais osé parier sur les premières automobiles. Dix ans plus tard, les chevaux étaient déjà deux fois moins nombreux. Quant à ceux qui proclament inlassablement que la fabrication des éoliennes consomme une énergie folle, ils oublient de dire « qu’en trois mois de fonctionnement, une éolienne a payé l’énergie qui a été nécessaire pour la construire ».

« Et puis, a terminé l’analyste, il y a ce fameux mythe selon lequel interdire l’extraction des énergies fossiles serait une injustice faite aux pays pauvres dont ce serait le seul moyen d’améliorer leurs conditions de vie. C’est faux de dire qu’on aide les pauvres en les aidant à construire une technologie qui est en train de mourir, alors qu’il est moins cher pour eux d’investir dans les renouvelable que de construire une centrale à charbon. »
Grève du vendredi
Mais la plus belle surprise, mercredi, a été une autre rencontre : celle de la jeune Suédoise Greta Thunberg, qui s’est fait connaître cet automne par ses « grèves du vendredi » (#FridayStrike) où, plutôt que d’aller en cours, elle a décidé de faire un sit-in devant le Parlement jusqu’à ce que le gouvernement prenne des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre suédoises et se mette en conformité avec l’Accord de Paris. Alors que certains de mes confrères la boycottent, se disant blasés de la voir intervenir tous les jours dans différents événements de la COP, je me suis laissée tenter. Et j’ai bien fait : ce fut le moment le plus fort que j’ai vécu de ces quatre jours et, je dois bien vous l’avouer, de ces derniers mois.
Quand vous la voyez pour la première fois avec ses longues tresses châtain, vous ne lui donnez pas ses 15 ans, mais deux ou trois de moins peut-être. Elle paraît si jeune, si frêle aussi. Et puis elle commence à parler, avec son regard pénétrant, son visage sérieux et son front souvent plissé ; vous êtes alors bluffé par sa détermination et sa maturité.
C’est à l’âge de huit ans qu’elle a commencé à prendre conscience de la réalité du changement climatique, me raconte son père, Svante Thunberg, qui a fait le voyage avec elle de Suède jusqu’à Katowice en voiture électrique (quatre jours de trajet aller-retour…). Elle s’est mise à lire sur le sujet, à rencontrer des scientifiques, et « elle nous a forcé à changer », sa femme et lui. « En Suède, nous vivons dans un pays où nous avons une grosse empreinte carbone. Même si l’on devient végétarien et qu’on ne prend plus l’avion – comme on le fait désormais – on consomme encore trop de CO2. » Après l’été, leur fille leur a parlé de son projet de faire la grève de l’école tous les vendredis, et d’organiser un sit-in devant le Parlement. « On lui a dit non, bien sûr, car c’était risqué. Elle nous a répondu qu’elle le ferait quand même. Alors on a suivi. »
« Le premier jour, raconte Greta, il faisait très froid, il pleuvait, j’étais seule. Et puis le deuxième jour, des gens ont commencé à me rejoindre. » Au point que depuis, elle est devenue une icône pour des enfants ou des adolescents du monde entier, comme en Australie où le mouvement a fait tâche d’huile dans les établissements scolaires, au point d’agacer sérieusement le gouvernement. Il y a quelques jours, la Suédoise était même à Londres pour soutenir le mouvement citoyen Extinction Rebellion.
Le mieux est peut-être de l’écouter parler. Florilège :
La première chose que j’ai apprise avec tout ça, c’est qu’on n’est jamais trop petit pour faire la différence. J’ai rencontré des politiciens, des journalistes : cela m’a étonné, ils n’ont aucune idée de qu’est le changement climatique ou de ce qu’est par exemple l’effet d’albedo. »
« Le travail des hommes politiques n’est pas de sauver le monde, mais d’engranger des votes et on n’obtient pas des votes en disant la vérité sur le climat. »
« Nous les jeunes, nous devons nous mettre en colère. Nous devons réaliser que c’est notre avenir qui est en jeu. »
« Nous devrions nous éduquer nous-mêmes et engager des changements au niveau individuel : arrêter de prendre l’avion, devenir végétarien, en tant que journaliste, écrire à propos de cette crise climatique. Si seulement on pouvait couvrir la crise climatique comme un match de football… »
D’autres citoyens engagés ont attiré mon attention mercredi : les représentants du mouvement d’action non-violente Extinction Rebellion qui, le 17 novembre, est parvenu à bloquer le centre de Londres durant cinq heures. Contrairement à un mouvement comme Alternatiba en France, « nous, on ne cherche pas tant à proposer des alternatives qu’à défendre un meilleur processus démocratique. C’est un moment de changement politique », me raconte Nils Agger. « Lentement mais sûrement, le mouvement s’ouvre à d’autres, beaucoup de jeunes dans la vingtaine, qui ont 19-22 ans, se mobilisent, ils y mettent énormément de passion, mais on voit aussi monter à bord des grands-parents. Et progressivement la communauté des musulmans, celle des Noirs ou encore des femmes. »

En dépit des centrales à charbon fumant au loin dans le ciel de Pologne ou du moratoire français sur les taxes sur l’essence, mercredi à Katowice, on se prenait à croire que le changement était possible, et l’action à nos portes…
Mardi 4 décembre : « Mars n’est pas un plan B pour notre civilisation »

Le jour de la fête de la sainte patronne des mineurs, les délégués de la COP ont continué d’imaginer un monde sans charbon, avec des délégués étasuniens soucieux de ne pas hypothéquer l’avenir après le départ de Trump…
Le 4 décembre, en Pologne, on fête les Barbara. Barbara est la sainte patronne des mineurs, et donc l’occasion ici d’une grande fête baptisée « Barbórka ». C’est même dans la banlieue de Katowice, à Nikiszowiec, où l’une des plus anciennes mines de charbon du pays a fermé cette année, que les festivités sont les plus réputées : une fois par an, au petit matin, les habitants sont réveillés au son du clairon et des grosses caisses d’un orchestre composé de mineurs. Autrement dit, à Katowice, ce mardi matin, on fêtait le charbon en fanfare, tandis qu’à quelques kilomètres, des dizaines de délégations s’enfermaient dans une autre sorte de mine, elle aussi sans fenêtres, pour imaginer… un monde sans charbon.
À la COP, on passe de temps forts et fusionnels, où le monde semble parler d’une seule voix, à des moments bourrés de contradictions comme celui-là.
Alors que la messe en hommage des mineurs débutait dans l’église de Nikiszowiec, dans la soucoupe volante de la COP24, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, tenait une conférence de presse pour promouvoir la conférence spéciale sur le climat qu’il organise à New York en septembre prochain. Mais pourquoi un énième sommet ? Ce rendez-vous n’est-il pas une parfaite excuse pour escamoter Katowice en attendant New York ?

Antonio Guterres s’est défendu en précisant que « son » sommet, car oui, il l’appelle « mon » sommet — qui a dit que le multilatéralisme interdisait la possessivité ? — se déroulerait à New York en même temps que l’assemblée générale des Nations unies, qui réunit généralement quelque 130 chefs d’États ou de gouvernement. Selon lui, ce sera donc justement un moyen d’attirer les chefs d’État. « Tenir ce sommet […] donnera aux gouvernements le temps dont ils ont besoin pour réviser à la hausse leurs NDC [Nationally Determined Contributions, ces engagements à réduire leurs émissions carbonées] afin d’être prêts pour 2020 », date à laquelle des NDC plus ambitieuses que celles de 2015 doivent être présentées par les 196 États ayant signé l’accord de Paris sur le climat.
« C’est une conférence très importante ! Elle n’est ni insignifiante ni de transition »
Alden Meyer, un habitué des COP, représentant de l’Union of Concerned Scientists (UCS), pense lui aussi que la conférence de New York sera utile. Tiens, voilà une nouvelle contradiction. Si Donald Trump est toujours aussi déterminé à brûler le climat par les deux bouts, d’autres Étasuniens, eux, continuent à se battre, en attendant que le vent tourne. À Katowice, les négociateurs étasuniens, explique Alden Meyer, sont ainsi divisés en deux groupes : une délégation politique, qui défend les positions de Donald Trump, et les négociateurs de l’administration, qui assistent aux COP depuis de nombreuses années. Ceux-là « font tout pour s’assurer de ne pas rendre la situation trop difficile pour un éventuel successeur à Donald Trump ».

L’UCS, que représente le sympathique et jovial Alden Meyer, est cette association qui en 1992, à l’occasion du sommet de Rio sur le climat, avait lancé une « alerte à l’humanité » : dans un appel inédit, 1.700 scientifiques avaient tiré la sonnette d’alarme sur l’urgence de changer les comportements pour freiner le changement climatique. Une alerte qui a été renouvelée et amplifiée il y a un an par 15.000 scientifiques internationaux. Créée en 1969, en pleine guerre du Vietnam, par des scientifiques qui refusaient que la recherche étasunienne soit utilisée à des fins militaires, l’UCS fait aujourd’hui du lobbying pour la préservation du climat.
Son badge « We Are Still In » (Nous sommes toujours dans l’Accord de Paris) solidement accroché sur le cœur, Alden Meyer reconnaît qu’avec tous les présidents, les scientifiques ont eu des hauts et des bas, mais jusqu’ici, « on ne nous avait jamais dit que le changement climatique était une blague ou un complot des Chinois. Les scientifiques étasuniens sont très en colère, mais ils sont aussi très déterminés ».
Quand je lui parle de la déclaration lundi du ministre français de la Transition écologique selon laquelle la COP24 serait une simple « conférence de transition », les bras lui en tombent. « Mais non, c’est une conférence très importante ! Elle n’est ni insignifiante ni de transition. Elle doit finaliser les règles d’application de l’accord de Paris : c’est essentiel pour donner vie à cet accord. C’est le lancement d’un processus qui va durer deux ans jusqu’en 2020. Alors bien sûr, il y aura d’autres étapes, mais cette COP est importante, car c’est vraiment elle qui va donner le la. Si elle échoue, cela sera vraiment problématique pour les COP à venir. »
« Cette magnifique planète, elle est forte et résiliente »
La parenthèse people du jour a eu pour nom Mae Jemison, la première femme afro-américaine à être allée dans l’espace (1992). Invitée à s’exprimer en session plénière, l’astronaute s’est souvenue de ce moment si particulier, alors qu’elle était à bord de sa navette spatiale : « Je me souviens avoir regardé par la fenêtre et avoir vu cette incroyable planète bleue, et cette fine couche de lumière chatoyante qui était notre atmosphère. […] Cette magnifique planète, elle est forte et résiliente. […] Quand les gens disent “Sauvez la Terre”, ils se trompent. Il ne s’agit pas de sauver la Terre, il s’agit de s’assurer que nous ne continuions pas à la détériorer à un point tel qu’elle ne puisse plus nous accueillir. […] La Terre n’a pas besoin de nous. C’est nous qui avons besoin de la Terre. Et même si je rêve d’aller sur Mars, Mars n’est pas un plan B pour notre civilisation et notre espèce. »

Entre deux sessions plénières, dont l’une consacrée dans l’après-midi à la présentation officielle du rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sur le réchauffement de 1,5 °C, je me suis offert une petite promenade entre les pavillons nationaux, à la recherche d’une nouvelle contradiction. Il ne m’a pas fallu longtemps : dans un coin reculé — pour vous dire la vérité, si j’avais cherché le coin le plus reculé, eh bien, c’est ce coin-là, tout au fond et loin du passage, que j’aurais choisi — je suis tombée sur le pavillon du Conseil de coopération du Golfe, l’organisation régionale regroupant les six pétromonarchies du Golfe persique : Arabie saoudite, Oman, Koweït, Bahreïn, Émirats arabes unis et Qatar. Dans une atmosphère feutrée, un groupe d’hommes en costume sombre parlaient à voix basse devant une vidéo vantant la qualité du « moteur de demain ». Un moteur « à l’efficacité super-élevée et aux émissions ultra-basses » inventé par la compagnie pétrolière saoudienne Aramco. Le mot à retenir : gasoline. Eh oui, chez les producteurs d’énergie fossile, le moteur de demain reste bien un moteur à essence. Contradiction quand tu nous tiens…

Post-scriptum — Je ne résiste pas à vous à vous faire part de la dernière contradiction de ma journée : peu après 19heures, je me suis rendue à la réception d’ouverture de la COP, pour serrer quelques pinces et ingurgiter mon premier repas de la journée (je vais finir par prendre pour argent comptant cette plaisanterie d’un conseiller ministériel me disant qu’on perdait 4 a 5 kilos par COP !). Et là, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir le vaste buffet : des saucisses, des saucisses, et puis des côtes de porc, pour changer. Visiblement, la présidence polonaise a oublié que parmi ses milliers de convives - des Indiens, des Arabes...- figurent une bonne partie de végétariens et/ou de musulmans. Vous auriez vu mardi soir leur regard incrédule face à cette débauche de viande, à peine accompagnée de quelques salades froides de légumes... Chapeau à la chanteuse polonaise qui à la fin de sa prestation a eu le courage de défier son propre gouvernement en s’adressant directement à la salle : « Si vous voulez vraiment sauver la planète, arrêtez de manger de la viande ! » Tonnerre d’applaudissements.

Lundi 3 décembre : un enthousiasme douché par les Polonais et… les Français

Lundi 3 décembre, au deuxième jour de la COP24, quelques discours puissants ont marqué les esprits. Vite tempérés par les Polonais puis par le ministre français de la Transition écologique. Schwarzenegger a tenté de rétablir l’équilibre.
Lundi matin, en marchant sous une pluie fine vers la Spodek Arena, la « soucoupe volante » qui abrite la COP24, je commençais à douter que la COP24 ait véritablement débuté la veille : seuls quelques policiers surveillant les rues piétonnes assoupies et le passage d’un hélicoptère de la police ont fini par me convaincre qu’un événement international aux milliers de participants s’était invité à Katowice. Une fois entrée dans la soucoupe volante, les longues files d’attente aux portiques de sécurité m’ont confirmé que l’on entrait aujourd’hui dans le vif du sujet.

La journée de lundi 3 décembre a été marquée par la plénière d’ouverture et les discours d’une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement. Quelques discours, puissants, ont marqué les esprits. Après avoir remis le symbolique petit marteau de bois au Polonais Michal Kurtyka, qui préside la COP24, Frank Bainimarama, Premier ministre des îles Fidji, a une nouvelle fois crié au loup : « La fenêtre pour agir se ferme à grande vitesse. Le temps presse. » Car même si les 196 États signataires de l’accord de Paris réalisaient les promesses faites durant la COP21 pour réduire leurs émissions, la planète se réchaufferait d’au moins 3,2 °C d’ici la fin du siècle, bien loin des 1,5 °C nécessaires pour sauver les nombreuses populations insulaires de la submersion. Il y a quelques jours, un rapport onusien a conclu que les États devraient multiplier par cinq leurs engagements pris en 2015 pour ne pas dépasser les 1,5 °C. « Cela veut dire cinq fois plus d’action, cinq fois plus d’ambition », a redit le représentant fidjien, avant d’en appeler à la protection divine : « Que Dieu nous pardonne, si nous ignorons les preuves irréfutables, nous deviendrons la génération qui a trahi l’humanité. »
« Le changement climatique va plus vite que nous et nous devons le rattraper avant qu’il ne soit trop tard »
Faisant écho aux propos de la présidence polonaise, qui appelle de ses vœux « une transition juste », M. Bainimarama a tenu à alerter ses homologues sur le danger d’un tel discours : « Il ne faut pas seulement œuvrer à une transition juste pour les travailleurs » du secteur des énergies fossiles, « mais à une transition juste pour tous, et notamment pour les populations les plus vulnérables au changement climatique ». « Il y a encore de la place dans notre canoë. Rejoignez-nous pour ce voyage », a-t-il invité les diplomates du monde entier.

« Chers amis, nous sommes dans de grandes difficultés, a poursuivi le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Le changement climatique va plus vite que nous et nous devons le rattraper avant qu’il ne soit trop tard. Pour beaucoup de personnes, de régions ou même de pays, il s’agit déjà d’une question de vie ou de mort. […] Par rapport au niveau de 2010, les émissions doivent baisser de 45 % en 2030 et être nulles d’ici 2050. […] Si nous échouons, l’Arctique et l’Antarctique continueront à fondre, les coraux à blanchir et même à mourir, les océans monteront, plus de gens mourront de la pollution de l’air, les pénuries d’eau seront un fléau pour une grande partie de l’humanité et le coût de ces désastres montera en flèche. »

« Certains pourraient dire qu’il s’agit d’une négociation difficile, a-t-il poursuivi, mais ce qui est vraiment difficile, c’est d’être un pêcheur des îles Kiribati qui voit son pays risquer de disparaître ou […] une femme en République dominicaine […] essuyant ouragan sur ouragan. »
La présidence polonaise de la COP s’est ensuite chargée de ramener tout le monde les pieds sur terre. Après une vidéo vantant les beautés de sa nature, ses quelque 1.500 réserves et ses remarquables forêts, le tout conclu par quelques minutes live d’un fameux accordéoniste local, le président polonais, Andrzej Duda, a tempéré les ardeurs onusiennes et rappelé que la nature avait beau être sympathique à regarder, elle avait ses limites. « Nous ne pouvons pas mettre en œuvre des politiques climatiques contraires à la volonté de la société et au détriment des conditions de vie », a-t-il averti, « persuadé que le progrès technique, qui est à l’origine du changement climatique, peut également contribuer à améliorer les conditions dans le monde entier ».
Autant dire que la Pologne ne songe pas un instant à abandonner ses centrales à charbon. Elle préfère rêver à cette douce utopie d’un « charbon propre », qui consiste à traiter les fumées toxiques sortant des centrales à charbon ou à séquestrer sous terre le carbone émis. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé quelques minutes plus tard le maire de Katowice, assurant qu’il voulait « ouvrir une page nouvelle dans l’histoire de l’humanité », mais cela, tout en continuant « à exploiter le charbon de manière compatible avec l’environnement ».
Cette COP est « en quelque sorte une conférence de transition »
Difficile donc de deviner à ce stade quel sera dans 15 jours le niveau d’ambition retenu. Et je dois vous avouer que ce n’est pas l’intervention française qui m’a rassurée… « Point presse du ministre sur le pavillon français à 11 h 40. » Le SMS tombe sur mon téléphone alors que la plénière n’est pas encore finie. Tant pis, j’abandonne l’écran géant pour me précipiter auprès du ministre de la Transition écologique, François de Rugy, et de sa secrétaire d’État, Brune Poirson, qui ont remplacé au pied levé Édouard Philippe. Celui-ci a annulé sa venue pour gérer la crise des gilets jaunes. « Vous comprenez, me glisse un conseiller, on avait peur que ce soit mal perçu qu’il vienne ici. Déjà qu’on a reproché à Emmanuel Macron d’être en Argentine quand ça a pété samedi… » Mais, demandé-je benoîtement, « justement, cela n’aurait-il pas eu plus de sens qu’il vienne à Katowice et qu’il y fasse le lien entre ces enjeux climatiques cruciaux et les réformes à mener en France ? » Pas de réponse.

François de Rugy nous a répondu que l’absence d’un dirigeant français n’était pas un problème puisque cette COP était « en quelque sorte une conférence de transition ». Eh oui, « entre celle de Paris en 2015 avec l’accord qui a été signé et celle de 2020, où il y aura à rehausser nos ambitions sur les émissions de gaz à effet de serre ». Comment doucher toute ambition climatique d’envergure…
Heureusement, pour se changer un peu les idées, il y avait toujours l’option Terminator. À défaut d’avoir Donald Trump à la COP, les Polonais ont en effet réussi à convaincre l’ancien gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger de faire étape à Katowice. L’ancien acteur a donc posé le pied en Pologne cette semaine pour la première fois de sa vie.

Malheureusement, j’ai raté l’événement people de la journée. Pour deux raisons : la première, c’est que justement, c’était un événement people. En d’autres termes, il fallait réserver sa place une heure avant pour avoir une chance de voir Schwarzie. Et deuxièmement, alors que, assise par terre, je regardais le héros hollywoodien sur un écran de retransmission, je me suis fait attaquer par une caméra. Un caméraman en retard a projeté sa Betacam, c’est-à-dire, pour les non-initiés, sa très grosse et très lourde caméra, contre mon fragile petit crâne. Un peu de cervelle cabossée, une grosse bosse, mais plus de peur que de mal. Lectrices, lecteurs, vous aviez appris hier que pour une COP, nous journalistes devions être un tant soit peu sportif, l’apprentissage de cette journée, est que, en plus, nous devons être casqués.
Je ne voudrais quand même pas vous priver totalement de Schwarzenegger, en costume bleu et cravate verte. Je vous livre donc les quelques phrases que je suis parvenue à glaner après mon accident : interrogé par le président de la COP, Michal Kurtyka, sur le vœu qu’il ferait pour 2048 — clin d’œil au robot du film censé avoir été créé cette année-là, avant d’être envoyé dans le passé — Arnold Schwarzenegger a rendossé sa carapace d’acier : « Je voudrais pouvoir être le Terminator dans la vie réelle, afin de remonter dans le temps et stopper les énergies fossiles au moment où elles ont été découvertes. » Clap de fin pour ce 2e jour. À demain !
Dimanche 2 décembre : à Katowice, entre industrie du charbon et négociations climat

La COP24 s’est ouverte dimanche 2 décembre à Katowice en Pologne. 28.000 participants y sont attendus, avec un premier désistement — Édouard Philippe retenu à Paris à la suite de la mobilisation des gilets jaunes. Premier épisode du « Journal de COP » de l’envoyée spéciale de Reporterre.
Voilà, ça y est, « ça » a commencé. « Ça », c’est ce grand raout annuel que convoquent depuis 24 ans les Nations unies pour parler du climat et, dans leurs bonnes années, prendre des décisions susceptibles d’enrayer l’emballement climatique. Si selon les années, les crus sont fort inégaux, tout le monde se souvient de celle de Copenhague en 2009 ou de Paris en 2015, la fameuse COP21, qui a accouché de l’Accord de Paris, le premier accord universel sur le changement climatique.
À l’heure où les gilets jaunes réclament une baisse du prix des carburants fossiles, principale cause des émissions de gaz à effet de serre, le climat n’aura jamais autant fait la Une des médias. Depuis quelques semaines, les alertes se multiplient, toutes plus dramatiques les unes que les autres : ainsi, nous dit l’Organisation météorologique mondiale, 2018 sera la quatrième année la plus chaude en un siècle et demi, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), lui, nous explique que pour maintenir le réchauffement climatique mondial sous les 1,5°C par rapport à la fin du XIXe siècle, il nous faut réaliser des efforts « sans précédent ».

Pas sûr pour autant que la COP24, qui s’est ouverte ce dimanche à Katowice, nichée au cœur d’un bassin minier en Pologne, ne laisse un souvenir impérissable. Annoncée comme « très technique » par les négociateurs, centrée autour du sujet peu glamour des règles d’application de l’Accord de Paris et hébergée par un pays qui produit 80 % de son électricité à partir du charbon, la 24e Conférence onusienne des parties sur le changement climatique, dont COP est l’acronyme, laisse un brin sceptique, au point que de nombreux médias ont décidé de la couvrir a minima.
Une COP a beau avoir des travers et des lenteurs, elle a l’intérêt d’exister et de réussir cet exploit de mettre quelque 200 nations autour de la table pour parler de l’urgence climatique. Alors qu’Emmanuel Macron a décliné l’invitation et qu’Édouard Philippe, qui devait le remplacer, a finalement troqué son gilet vert pour les gilets jaunes, Reporterre s’est rendu sur place. Avec pour but de vous en faire voir les coulisses aberrantes, insolites, touchantes, assommantes ou, pourquoi pas, enthousiasmantes. Avec 28.000 participants annoncés, la COP, ce n’est pas que d’obscures négociations où l’on pinaille sur chaque virgule, mais ce sont aussi de formidables rencontres avec des personnes venues du monde entier pour raconter leurs expériences, bonnes ou mauvaises, et tenter de freiner le dérèglement climatique. Alors si vous acceptez, on vous y emmène. Bon voyage en COP24…
Premier jour : dans l’avion, des Kenyans, des Espagnols, des Indiens...
Dès la correspondance à Varsovie, ce voyage commence à fleurer bon la COP : dans l’avion qui me mène à Katowice, ce ne sont plus seulement des Polonais ou des Français, mais aussi des Kenyans, des Espagnols, des Danois, des Belges ou des Indiens… Le monde entier s’invite à Katowice. Enfin, le monde entier… pas tout à fait. Un regard rapide sur les dernières actualités m’informe qu’Édouard Philippe a annulé son déplacement : il devait prendre la parole lundi à la COP, comme une trentaine d’autres chefs d’État ou de gouvernement, et porter la vision de la France sur le climat. Mais la crise des gilets jaunes a eu raison de son engagement. Dommage, me dis-je alors que l’avion s’apprête à décoller, ça aurait justement été une parfaite occasion de faire passer un message important : expliquer aux Français pourquoi Paris doit sans tarder s’engager pour le climat, tout en accompagnant les plus démunis dans cette transition. Expliquer calmement, plutôt que d’opposer impératifs sociaux et défense de l’environnement. Expliquer qu’aller à Katowice, c’est autant une cause nationale qu’internationale. D’ailleurs, comme me l’explique un diplomate européen, « on ne parle jamais de climat aux COP climat, mais d’économie, d’énergie… » De la vie des gens, quoi.
Pendant ce temps-là, à la COP24, les négociateurs français se creusent la tête : réussiront-ils à convaincre la présidence polonaise de la COP de laisser la parole à François de Rugy, qui remplacera Édouard Philippe, lui-même remplaçant d’Emmanuel Macron ? Vu du gouvernement, la COP24 semble n’être qu’une patate chaude qu’on se refile au plus vite comme on jouerait à chat perché. Mais la partie est perdue d’avance : pourquoi ferait-on une exception pour un ministre français, alors que seuls seront autorisés à parler lundi les chefs d’État et de gouvernement ? François de Rugy n’est que ministre de la Transition écologique, et ça ne suffira pas. Pour s’exprimer, la France devra probablement attendre la deuxième semaine de la COP et le déplacement de sa secrétaire d’État Brune Poirson : elle devrait alors être autorisée à prendre le micro, en deuxième rideau, au même titre que les autres représentants étatiques.

A la mi-journée, j’atterris à Katowice, cœur battant de la région charbonnière de la Silésie, non loin de la frontière avec la Tchéquie. Alors que j’arrive au comptoir d’information de l’aéroport, un gilet jaune m’alpague : « Do you need help ? » [« Avez-vous besoin d’aide ? »] Je sursaute, avant de reconnecter mes esprits : en fait, j’avais mal vu, c’est tout aussi flashy, mais son gilet n’est pas jaune, comme les nôtres dans l’Hexagone, mais vert fluo. C’est un volontaire de la COP qui me renseigne pour rejoindre le centre-ville. Ils sont 400 environ ainsi disséminés à Katowice pour assister les participants. Sympathiques, anglophones et déterminés. Il le faut pour passer la journée entière dehors par -7°C comme hier…
A la découverte d’une ville minière
Dans le bus qui me conduit vers le centre-ville, mon regard glisse sur un bien morne paysage, avant d’être attiré par des panaches de fumée : non loin de l’autoroute, se dessine la silhouette reconnaissable d’une centrale à charbon. C’est bien simple, Katowice est née par et pour le charbon. Les premières mines ont été découvertes dans la région à la fin du XVIIIe siècle. Plomb, zinc, fer, charbon : au XIXe siècle, la bourgade a connu un développement minier sans précédent, et aujourd’hui, bien que la région minière ne représente que 2 % de la superficie de la Pologne, elle abrite 10 % de ses habitants dont beaucoup tirent encore leur revenus de l’extraction minière, ou de la production d’énergie ou d’acier. D’ailleurs, quand en France, j’ai voulu m’acheter un guide touristique sur la Pologne, il m’a bien fallu constater que « Katowice » ne figurait ni dans l’index du Guide Vert, ni dans celui du Routard.

Ici, la mine est une culture, une fierté aussi, à l’image du musée de Katowice, construit dans une ancienne mine de charbon, fermée en 1999 après 176 années d’activité : transformé en ascenseur panoramique, l’ancien puits de mine, aussi insolite que chargé d’histoire, domine la ville, lui rappelant chaque jour d’où elle vient. Forte de 300.000 habitants, Katowice a toutefois su se réinventer : terrain de jeu vivant du street art, elle est aussi devenue une scène musicale et culturelle de premier rang.
Je grimpe dans un bus électrique siglé COP24 puis flâne un peu dans les rues pour prendre mes premières marques. A part quelques oriflammes bleu ou vert accrochés aux lampadaires, peu de choses indiquent que Katowice est devenue pour quinze jours la capitale mondiale de la lutte contre le changement climatique… Mais soudain, au détour d’une rue déserte qui jouxte l’université, je tombe nez à nez avec un camping-car qui vient me rassurer : il est comme enrubanné dans une immense banderole appelant à la « Justice climatique ». Cette fois, nous y sommes.

Un centre des négociations en forme de soucoupe volante
C’est l’heure de rentrer dans les locaux de la COP, la Spodek Arena, un énorme complexe en forme de soucoupe volante, complété par toute une série de préfabriqués, montés juste pour l’occasion : c’est immense, bien sûr, avec des salles et des couloirs à n’en plus finir. La salle de presse est tout au bout, mais alors tout au bout. Pour vous dire, je contacte un négociateur français pour lui parler quelques minutes : le temps que j’arrive à lui, il était déjà reparti ! Entre le premier des contacts intéressants et les journalistes, il y a quelque chose comme huit minutes de marche (et encore, rapide, la marche). Lectrices et lecteurs, vous l’aurez compris, pour suivre une COP, il faut être sportif.

Peut-être avez-vous lu ici ou là que la COP commençait le 3 décembre, donc demain lundi. C’était vrai, mais voyant le pain qu’elle avait sur la planche, la présidence polonaise a étendu les festivités, et la COP24 a donc débuté dès dimanche. Au menu de cette première journée, l’ouverture officielle de la conférence : les îles Fidji ont tout simplement remis leur mandat et transmis la présidence de la COP au vice-ministre polonais de l’Environnement, Michal Kurtyka, qui pour la petite histoire est un ancien de Polytechnique. Ensuite, les représentants des différents pays ont approuvé, point par point, l’ordre du jour. Il doit y avoir consensus sur chaque question, sinon elle est reportée à la COP d’après. Il se dit dans les couloirs qu’un obscur point de fonctionnement serait reporté chaque année depuis plus de vingt ans, un État y opposant systématiquement son veto…
Lundi, deux événements se dérouleront en parallèle : d’un côté, le début des négociations sur le rule book, autrement dit le manuel d’application de l’Accord de Paris, et de l’autre se tiendra le « segment de haut-niveau » (« high level segment »). Si on traduit le jargon onusien, ça veut dire que durant plusieurs heures les chefs d’État et de gouvernement prendront la parole les uns après les autres pour faire une déclaration officielle : trois minutes chacun, pas plus. Enfin, le temps reste quelque chose de très subjectif. Il est rare qu’il soit respecté et les déclarations, souvent, s’allongent…
Allez, il commence à se faire tard, d’autant qu’ici, la nuit tombe à 15 h 30. Du coup, on a vite l’impression de faire nuit blanche ! A demain donc, pour le non-discours de la France.