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EnquêteDéchets

À 14 ans, elle bataille contre le plastique des lunettes

Avec les verres de présentation, au moins 90 tonnes de plastique sont jetées chaque année.

Julie, 14 ans, vient de lancer une pétition pour réclamer la fin de ce gaspillage. Mais encore trop peu de professionnels de l’optique sont aujourd’hui sensibilisés à la question écologique.

« Je porte des lunettes depuis l’âge de 1 an, et toute ma famille en porte aussi, alors les magasins d’optique, on y va souvent ! » Julie a seulement 14 ans, mais en connaît un rayon sur les lunettes, et surtout sur les verres de présentation (également appelés verres de calibre) fabriqués en plastique. Insérés dans les montures qu’on essaye chez l’opticien, ils sont ensuite remplacés par les vrais verres à notre vue. Puis jetés... Quand elle a découvert ce gaspillage, la jeune Mosellane a décidé de lancer la pétition « Opticiens : stop à la surconsommation de plastique ! » début février. Son appel a déjà recueilli plus de 12 000 signatures.
 
« En France, il y a 12 833 magasins d’opticiens, explique Julie à Reporterre. Ce qui fait des tonnes de plastique jetées chaque année rien qu’en France. Mais il est difficile d’avoir un chiffre de l’ampleur de cette pollution. » À raison d’environ 18 millions de paires de lunettes vendues chaque année, « ce sont a minima 90 tonnes de plastique qui partent au rebut, a calculé Carole Riehl, opticienne engagée pour une lunetterie plus écoresponsable. Et c’est sans inclure les lunettes non vendues ».

Un support marketing pour les marques

À quoi servent réellement ces verres ? « Les calibres de présentation permettent dans un premier temps aux clients d’identifier la marque de la monture », explique la porte-parole d’Optic 2000. C’est l’une des critiques de Julie : ces verres polluent alors qu’ils servent surtout de support marketing pour les marques qui peuvent y graver ou étiqueter leur nom.

Pour les marques, l’intérêt des verres de présentation est avant tout de pouvoir y intégrer leur nom. © DR

Ces verres protègent aussi les montures, insistent les professionnels : « Les montures sont solides mais, en magasin, elles sont amenées à être manipulées par les clients et les opticiens, précise Optic 2000. En l’absence du calibre, la monture peut être déformée plus facilement. Le verre maintient le cercle pendant toute la durée de vie de la monture. » Un argument qui ne convainc pas vraiment Carole Riehl. Selon elle, si la monture se déforme, dans 90 % des cas, c’est parce qu’il y a un problème de qualité de la matière. « Quand les fabricants utilisent du plastique injecté pour les montures bas de gamme ou les secondes paires gratuites, la monture est généralement moins solide que si elle est fabriquée avec de l’acétate de cellulose. »

Selon elle, le verre de présentation ne reste indispensable que dans certains cas, comme pour les montures percées (lunettes sans monture). Le supprimer totalement ou le remplacer par du carton serait parfaitement envisageable. Quelques rares opticiens et marques le font déjà, comme l’a constaté Acuité, un site d’information destiné aux professionnels de l’optique. Chez Optic 2000, cette mesure n’est pas à l’ordre du jour : « Le client doit retirer [le carton] avant essayage de la monture puis le remettre après. Une solution qui n’est pas très pratique. »

Autre argument mis en avant par certains opticiens : ces verres sont très pratiques pour pouvoir noter les mesures de centrage des pupilles. « Il existe aujourd’hui des machines pour le centrage. On peut aussi utiliser d’autres techniques comme un carton ou même du scotch, remarque Carole Riehl. Il s’agit surtout de changer ses habitudes. » Mais cela ne peut pas se faire du jour au lendemain, reconnaît-elle. Il y a trop de freins, y compris psychologiques de la part des consommateurs : « Le client aime bien essayer avec des verres. Sans, il peut avoir l’impression que ce ne sera pas le même rendu après. »

Un recyclage qui se heurte à des écueils

En attendant une prise de conscience, Carole Riehl a lancé à sa petite échelle un dispositif de recyclage de ces verres. Via son association Recycloptics, lancée en 2021, elle a pu en collecter plus de 30 000 l’an passé auprès de 70 opticiens indépendants, et les faire recycler par une entreprise spécialisée.

Mais le recyclage se heurte à deux écueils : d’une part, il faut pouvoir proposer des quantités suffisantes aux recycleurs pour que cela soit rentable pour eux. D’autre part, si la plupart de ces verres sont fabriqués en polyméthacrylate de méthyle (PMMA), une matière recyclable, ce n’est pas toujours le cas. « On a des verres de présentation blancs, d’autres colorés, par exemple pour les solaires ; certains ont subi un traitement antireflet ou sont gravés avec de l’encre… On n’est pas en mesure de savoir quelles sont les matières utilisées et si elles sont toutes recyclables », détaille Carole Riehl, qui a lancé une étude de recyclabilité sur plusieurs modèles afin d’y voir plus clair.

Pour certains, le principe du pollueur-payeur devrait être appliqué dans l’optique. Pixabay/CC/Wulfbaer

Elle aimerait pouvoir fédérer l’ensemble de la profession et mettre en place une collecte nationale. Mais pour l’heure, les rares initiatives restent isolées. Ainsi Optic 2000 et Lissac récupèrent ces verres via des urnes installées dans tous leurs magasins. « Depuis 2015, ce sont 62 tonnes de plastiques qui ont pu être recyclées », précise le groupe. Ces verres sont transformés en granulés « pour la fabrication d’objets du quotidien tels que des cintres ou des pièces plastiques pour les voitures ». Des fabricants font aussi des efforts. À l’image de Morel, un des grands producteurs français de lunettes, qui depuis quelques mois fabrique tous ses verres de démonstration en acrylique recyclée et... « recyclable à l’infini ». À condition qu’en bout de chaîne, l’opticien prenne la peine de procéder à ce recyclage.

« Les opticiens sont à l’aise financièrement. Tant qu’on ne les touchera pas au porte-monnaie, ils ne bougeront pas sur ces questions », tranche Victor Rosa, fondateur du Cercle des lunetiers éthiques, un label qui réunit opticiens et fabricants engagés pour plus d’éthique et de transparence. Comme Carole Riehl, il estime que la profession doit prendre en charge le traitement des déchets qu’elle produit. Le principe du pollueur-payeur doit être appliqué dans l’optique, comme il l’est déjà dans de nombreux secteurs avec la mise en place des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP). Bien d’autres pratiques des opticiens et des fabricants seraient à revoir, prévient Victor Rosa, en raison de la pollution qu’elles génèrent : « Le plastique des verres de présentation n’est que l’arbre qui cache la forêt. »

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