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A Dijon, citoyens et paysans ont libéré des terres

A Dijon, le 28 mars, l’occupation de terres en friche a été un succès populaire. Dans la bonne humeur, des manifestants ont défriché des parcelles vouées à l’urbanisation. L’enjeu : libérer les terres des logiques spéculatives.


Lors de la manifestation du dimanche 28 mars, divers collectifs, des
citadins bêches à la main, des jardiniers en herbe ou des maraîchers en
luttes ont libéré des terres.

Malgré le temps très mauvais ce jour là, le noeud lunaire réputé
défavorable au travail du sol, et le changement d’heure, autant de
facteurs propres à décourager tout-e participant-e-s potentiel-le au
pique-nique annoncé, c’est environ deux cents personnes qui se sont
retrouvées vers 13h sous l’abri du kiosque de la place Wilson et autour.

Quelques interventions introductives ont d’abord eu lieu. Un
représentant de l’AMAP de Plombières a souligné la demande croissante
sur ce type de structure et le besoin que des terres soient laissées à
disposition pour des projets paysans locaux. Un maraîcher affilié à la
Confédération paysanne a rappelé les luttes menées par son syndicat à ce
sujet et mentionné avec une certaine émotion qu’il y a dix ans, lui et
sa compagne avaient dû partir des très bonnes parcelles qui allaient
être occupées aujourd’hui à cause d’un hypothétique projet d’urbanisme
et qu’elles avaient été laissées en friche depuis. Une militante de
Terre de liens a parlé des initiatives d’aides collectives développée
par son association pour accéder au foncier, tandis que des agriculteurs
du réseau Reclaim the Fields (Réclamons les terres), venues de Mayenne,
d’Ardèche ou du Morbihan, ont appuyé sur la pertinence d’action de ce
type en ville ou à la campagne, et au-delà, sur la nécessité de
développer une nouvelle « paysannerie » pour sortir del’impasse de
l’agriculture industrielle.

Au son d’une batukada internationaliste, la manifestation a pris les
allées du Parc et s’est dirigée droit au but (tenu caché), avec des
brouettes pleines de petits plants et quelques dizaines de bêches,
pioches, faux et fourches brandies qui lui donnait des airs de jacquerie
urbaine. A l’arrivée au coin de la rue Phillipe Guignard, l’ensemble des
manifestant-e-s ont pénétré directement sur la première parcelle en
friche de la rue, s’avançant mètre par mètre en défrichant en ligne ce
champ envahi par les ronces. Au bout de quelques heures d’intense
ébullition collective, grâce au ravitaillement assuré par Food not bombs
et sous les rythmes véhéments de la batukada, une bonne partie du champ était déjà retourné et en voie d’être ensemencé. Les quelques policiers présents se sont contentés d’observer et de condamner, médusés.

Une première assemblée du potager a permis de se donner rendez-vous pour
la suite, d’organiser la diffusion de l’information, le début des
cultures et le maintien de l’occupation. Bon nombre de voisins, qui
voyaient les terres et les maisons alentour se dégrader depuis des
années, sont venus s’enquérir avec enthousiasme de l’action et sont
repartis en promettant de repasser bêche à la main ou avec quelques
prospectus pour relayer l’information dans le quartier.

Voici pour continuer le texte du tract qui a été distribué ce jour-là
et depuis dans Dijon afin d’expliquer le contexte et les objectifs de
cette « libération de terres » et esquisser comment elle peut prendre
corps par la suite, notamment, à travers des potagers collectifs :

"Cette belle parcelle endormie représentait une partie de plusieurs
hectares d’anciennes terres maraîchères à fort potentiel agronomique
("une terre noire, profonde, sol limoneux, sableux, plein d’humus,
parfaite pour le potager"
, selon les connaisseurs).

Ces hectares sont laissés progressivement à l’abandon depuis unedizaine
d’années. Ces terres situées dans le quartier dit des Abattoirs, le
long de la rue Philippe Guignard, font en effet l’objet d’un projet
d’urbanisme chapeauté par la mairie de Dijon dans un ensemble plus grand
d’une vingtaine d’hectares destinés à devenir un nouveau quartier.
Certaines ont déjà été rachetés par la Mairie, d’autres, sur lesquelles
elles exercent son droit de préemption, sont « gelées » en l’attente
d’un rachat. Elles risquent de rester en friche pendant plusieurs années
encore. A terme, le Plan Local d’ Urbanisme, en cours de validation,
affiche une volonté de conserver une partie de ces terres pour du
maraîchage local en zone péri-urbaine ou des potagers. En réalité, il
semble que priorité pourrait être laissée au béton. Au-delà des effets
d’annonce officiels parfois trompeurs, nous avons donc voulu montrer
qu’il était possible dès aujourd’hui de cultiver une partie de ces
terres.

A travers cette occupation, nous souhaitons mettre en avant qu’il y a
bel et bien des terres disponibles en zone péri-urbaine pour du
maraîchage bio, local, direct -que ce soit ces terres ou d’autres- et
qu’il y a de fortes demandes à ce sujet.

Nous proposons, à partir de l’occupation de ce dimanche, de mettre en
place sur ces parcelles des projets de potagers collectifs larges et
ouverts à tou-te-s celles et ceux qui désirent un bout de jardin en
ville pour produire une partie de leur nourriture et apprendre. Elles
s’ouvrent aussi à des paysans encore "sans-terres" qui voudraient se
faire les dents, bénéficier de soutien et partager leur savoir avec
d’autres.

Nous voulons faire en sorte qu’une zone large du terrain en question
reste réellement en zone potagère/maraîchère et ne soit pas bétonnée par
la suite.

L’occupation d’aujourd’hui est le début d’une aventure. Ses dynamiques
et formes d’organisation restent à défricher, à expérimenter
collectivement et (on l’espère) à essaimer au fil du du temps avec
toutes les personnes intéressées.

Il sera possible de passer tous les jours dès cette semaine pour
démarrer progressivement les potagers et se rencontrer. Un petit local
avec des panneaux d’infos, outils, plan(t)s, graines, coin cuisine a été
installé rue Philippe Guignard. Pour cette semaine, nous
projetons notamment des moments de jardinage collectif plus larges
mercredi et samedi après midi, ainsi que des assemblées-goûters à 18h
mercredi et samedi pour s’organiser.

Les propositions d’ateliers, échanges de savoirs, jeux, discussions,
repas et autres moments partagés sur place sont les bienvenus.

-  Pour l’accès aux terres et l’autonomie alimentaire

-  Pour défricher ensemble les bases d’une agriculture locale, directe, bio et s’émanciper collectivement du modèle productiviste et industriel...

-  Pour faire sauter le verrou de l’accès au foncier en zones rurales ou péri-urbaines. Libérons les terres !"

Dans sa course au rendement, le modèle agricole dominant, basé sur une
logique industrielle et productiviste, requiert un usage massif de
pétrole, de pesticides, d’engrais, d’emballages plastiques, le transport
des aliments sur des milliers de kilomètres et provoque la stérilisation
des sols et des cours d’eau, la désagrégation des liens sociaux dans les
campagnes et l’exode rurale, l’exploitation et le maintien dans la
misère de millions de sans-papier-e-s et sans-terres en Europe et dans
le monde. Son développement à l’échelle mondiale n’aura fait qu’aggraver
les inégalités sociales, la destruction de la biosphère et livrer le
vivant, des champs jusqu’aux semences et engrais, aux tenants de
l’agro-industrie mondiale et à leurs trusts.

L’agriculture industrielle est un cercle vicieux dévastateur. Des mythes
progressistes aux mentalités conservatrices, du rouleau compresseur
économique aux choix étatiques, son offensive est toujours féroce, même
relookée « écolo ». Partout dans le monde, des millions de paysans se
battent pour garder un contrôle sur leur ressources, pouvoir nourrir les
leurs et ne pas finir dans des bidonvilles. En Europe, les politiques
alimentaires ont presque réussi à faire disparaître totalement la
« paysannerie » en faisant en sorte qu’il soit presque impossible pour
les petits agriculteurs de vivre du travail de la terre et pour les
jeunes de s’installer comme paysan. Elles ont rendu la plupart d’entre
nous complètement dépendant-e-s, coupé-e-s de tout savoir-faire, espaces et pratiques connectées à la production de notre alimentation.

Autour de Dijon, des maraîchers, paysans et des associations regroupant
des citadins ou des ruraux, dénoncent et défient la domination de
l’agriculture conventionnelle. Des initiatives variées mettent l’accent
sur les divers freins institutionnels et politiques à l’installation que
rencontrent notamment des projets bios orientés vers la vente directe et
locale ou vers des associations, pour lesquels l’accès au foncier
demeure souvent problématique.

Chaque jour, dans le monde, des hectares de terres sont grignotées par
le béton, et les anciennes ceintures maraîchères font sans cesse place à
des zones commerciales, des parkings et des immeubles. Dijon ne transige pas à la règle : les campagnes alentours sont tenues par les gros
producteurs, la ceinture maraîchère est en friche ou bitumée, et les
jardins ouvriers, reflets de communautés sociales et trésors de
débrouilles, tendent à disparaître, malgré les fortes demandes à ce
sujet. On nous parle sans cesse d’éco-quartiers, mais au delà du flon
flon vert pour l’image et de la réalité eco-aseptisée qu’elle cache, ce
que nous souhaitons (re)créer aujourd’hui ce sont des zones maraîchères
au sein et en périphérie des villes. Nous voulons des terres où puissent
se développer des projets agricoles pour des paysans qui souhaitent
s’installer, aussi bien que des potagers qui permettent à des citadins
de cultiver une partie de leur nourriture.

Les initiatives de libération de terres laissées en friche ou vouée au
béton, et la mise en place de potagers collectifs sont parmi les moyens
possibles pour défricher les bases d’une agriculture, locale, directe,
bio.... Elles questionnent les modes de productions et le cloisonnement
producteurs-consommateurs. Elles permettent de briser en acte le
brevetage et la commercialisation systématique du vivant, et de
fertiliser les liens qui se tissent à partir d’une terre partagée,
habitée et travaillée...

Parce que la nourriture est un besoin primaire, parce que sortir
l’alimentation des mains de l’agro-industrie est à la charnière de tout
projet social émancipateur, parce que nous voulons mettre nos idées en
pratique et relier des actions locales aux luttes globales, parce que le
refus de la nourriture industrielle ne se situe pas sous plastique et
hors de prix dans un rayon high tech de supermarché. : libérons les
terres !

Avec la participation de : la Confédération Paysanne 21, de jeunes
agriculteurs locaux, le réseau européen Reclaim The Fields,l’association
Plombières environnement, l’association Kir, Espace autogéré des
Tanneries, les Faucheurs volontaires 21, Food not Bombs Dijon, Groupe
libertaire Dijon...

Appel pratique :

Avant tout compte-rendu, un peu de pratique : le potager collectif qui
s’installe sur les terres libérées cette semaine à Dijon, rue Phillipe
Guignard (au rond point juste à coté du collège des Lentillères et le
long de la voie ferrée) est ouvert à tous et toutes. Son maintien, son
ampleur et sa dynamique ne tiennent qu’à vous. Des moments de jardinage,
bêchage, défrichage et préparations de semis sont prévus tout au long de
la semaine, en particulier mercredi et samedi après-midi. Ces mêmes
jours a 18h auront lieu des assemblées-goûters des usager-e-s du
potagers pour s’organiser ensemble sur la suite.


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