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Tribune

A quoi EELV sert-il ?

Le parti Europe Ecologie Les Verts tient son congrès à Caen le 30 novembre. Dans cette perspective, Reporterre ouvre sa tribune aux écologistes, politiques et intellectuels pour répondre à la question : A quoi EELV sert-il ? Aujourd’hui, Edouard Gaudot et Benjamin Joyeux.


C’est bien connu, les écologistes sont de grands impatients – c’est bien là leur moindre défaut. Confessons que crier dans le désert depuis plus de quarante ans, pressé par l’urgence des crises environnementales et sociales, par l’imminence des catastrophes, la montée des eaux et la faim dans le monde, devrait rendre plutôt exigeant et peu regardant sur les petites péripéties qui secouent un parti mineur d’une puissance occidentale moyenne.

Assurément, le décalage est saisissant : qu’y a-t-il de commun entre un congrès EELV, ses petites postures de circonstance, batailles d’appareil et bons mots médiatiques, et les réponses politiques fortes, immédiates et nécessaires pour infléchir la course tragique de notre vieille planète un peu fatiguée, soumise à la surexploitation des ressources naturelles et humaines ?

A priori pas grand-chose. La société française s’enfonce dans une crise identitaire et morale inquiétante, et les discussions du Congrès écologiste rappellent le bon mot de Salman Rushdie : « Les Verts, c’est satanique ! ».

Pourtant, au-delà des apparences et des cercles de l’enfer du congrès de Caen, au-delà des logiques épicières de petites motions, il y a bien une ligne de fracture profonde qui traverse le parti écologiste français.

Deux visions politiques et culturelles se font face, que l’on retrouve ironiquement dans l’amalgame bricolé qui donne son nom au parti : Europe-Ecologie-Les-Verts. On a voulu réduire « Europe Ecologie » au feu de paille d’un coup électoral génial, chant du cygne d’un politique flamboyant. Mais le projet qui a su réunir 2,8 millions d’électeurs en 2009 et 2,3 millions l’année suivante est bien plus qu’une simple marque. C’est un esprit, une culture politique à part entière qui pense et agit global, qui allie son ancrage régional et local aux enjeux transnationaux.

Une culture du grand large, du cosmopolitisme et des horizons globaux, face aux certitudes des piétons rassurés par la terre ferme et leurs institutions nationales. Une politique de civilisation au sens d’Edgar Morin ne se laisse pas enfermer dans les logiques politiques nationales.

C’est ce souffle qui animait tous les écologistes en 2009 et 2010, tous, qu’ils soient militants des Verts, associatifs, personnalités de la société civile ou simples citoyens concernés. Puis la vie politique française a repris ses droits et son emprise sur nos priorités et nos stratégies ; les enjeux d’égos et les petits plans quinquennaux individuels avaient déjà quelque peu gâté la sauce aux régionales, mais la course présidentielle de 2012 a tout emporté. Les écologistes ont de nouveau subi de plein fouet les vents puissants de la logique majoritaire qui maintient vivant cet incroyable anachronisme institutionnel que constitue la Ve république.

Grâce aux talents de ses négociateurs et surtout à l’élan de deux élections réussies, le nouveau parti devenu EELV s’est vu octroyer, par un PS prêt à tout pour ne pas rater une troisième fois son retour aux affaires, quelques places au Sénat et surtout des circonscriptions gagnables pour les législatives de juin 2012.

Malgré le score croupion d’une candidature ratée à la présidentielle, les écologistes français disposent pour la première fois d’un groupe parlementaire dans chaque assemblée. On devrait s’en féliciter. Mais la coupe est amère : quelle que soit la qualité de ses élus et de leur travail, EELV est passé d’un parti apprécié et respecté à un parti détesté dans l’opinion. Aussi injuste que soit cet état de fait, la réalité en est bel et bien là : les parangons de « la politique autrement » sont devenus le symbole de l’opportunisme et du cynisme politique le plus éculé. C’est ça la PRGisation de l’écologie.

Le pari de ce petit parti minoritaire, mouvementiste et protestataire né en 1984 d’une certaine idée de la politique et de l’intérêt général avait toujours été d’accéder aux institutions pour en modifier l’esprit sinon la lettre. Mais en chaussant les pantoufles républicaines de la Ve et les lunettes de la logique majoritaire, les écologistes semblent s’être endormis.

Parce qu’ils ne peuvent être élus que sous perfusion du PS, l’expérience du parlementarisme fait encore défaut aux écolos nationaux. Mais pas aux eurodéputés écologistes français élus à la proportionnelle ; lesquels ont par exemple rejeté la semaine dernière le budget européen austéritaire concocté par le Conseil et la Commission pour la période 2014-2020, tandis que les socialistes européens votaient pour, avec la droite.

Pendant ce temps, à l’Assemblée nationale, le groupe écologiste votait pour un budget d’austérité contraire aux promesses de campagne, sous la pression de la solidarité gouvernementale. Va comprendre Charles. Même si les échelons institutionnels divergent (et « dix verges c’est énorme ! » estimait Pierre Desproges), la cohérence entre élus d’EELV devient difficile à défendre dans ces conditions, quelle que soit la bonne foi de nos députés.

Derrière ce contraste se trouve l’enjeu de ce congrès, par excellence, au niveau de la bataille culturelle et institutionnelle. L’alternative est simple : devenir un PRG vert, dissous dans la logique de la Ve, avec des élus, mais plus vraiment de militants, et sans lien réel avec la société et les écologistes du quotidien, des ONG et du monde associatif ; ou être une structure d’accueil, une plateforme en mouvement, un parti
relais de l’ensemble du monde écologiste, plein de militants, adhérents et sympathisants, éventuellement au détriment de la pleine participation institutionnelle ?

Alors à quoi sert EELV ?

A renouer avec la responsabilité de la prise du pouvoir sans rien abandonner quant à la radicalité de ses combats. On peut être dans les institutions tout en les critiquant, a fortiori quand il s’agit de la Ve république française. Les municipales, les cantonales, les régionales et les européennes doivent être nos priorités, tandis que l’élection présidentielle et son bonapartisme ridicule doivent être dénoncés comme une imposture démocratique. Si la présidentielle est la « mère de toutes les élections », comme le radotent nos éditocrates de salon, la proportionnelle est « la mère de toutes les batailles ».

Voilà à quoi peut servir EELV, à rappeler à l’occasion de son congrès qu’il y a une différence de projet entre se servir des institutions pour faire de la politique et se servir de la politique pour entrer dans les institutions.

- Edouard Gaudot et Benjamin Joyeux -

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