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Pollutions

Algues vertes : plainte contre les « carences répétées » de l’État

Des algues vertes sur la baie de Saint-Brieuc, en Bretagne, en décembre 2016.

Alors que la Bretagne doit signer le 14 octobre le troisième plan de lutte contre les algues vertes, un collectif s’est retiré des négociations, attaquant l’État en justice.

Ils ont claqué la porte. Quelques jours avant la validation du plan de lutte 2022-2027 contre les algues vertes, fléau écologique et sanitaire qui prolifère sur les côtes bretonnes, l’association Eau et Rivières de Bretagne a annoncé quitter le comité de pilotage régional. Vendredi 14 octobre, les discussions se dérouleront donc sans le collectif.

Dans un communiqué justifiant sa décision, Eau et Rivières de Bretagne dénonce « les carences répétées de l’État en matière de lutte contre la pollution par les nitrates [qui entraînent la multiplication des algues vertes en chargeant les eaux d’azote] » et explique avoir, dans ce cadre, attaqué l’État en justice.

Le débat sur la pollution des eaux par les nitrates est loin d’être nouveau dans la région, où l’agriculture et l’élevage intensifs, développés dans les années 1960, règnent en maîtres. Depuis cinquante ans, le monde agricole breton est désigné comme principal responsable du scandale des algues vertes. Celles-ci, en plus d’asphyxier la faune et la flore, relâchent lors de leur décomposition un gaz toxique — l’hydrogène sulfuré — à des concentrations pouvant être mortelles pour l’être humain. En 2009, un employé chargé de leur transport a ainsi perdu la vie.

« L’échec de ces plans de lutte »

Malgré l’urgence du dossier et de multiples études sur le sujet, le problème n’est toujours pas pris à bras le corps, s’est agacée mardi Estelle Le Guern, chargée de mission agriculture et eau pour Eau et Rivières de Bretagne, auprès de Reporterre : « Nous ne voulons plus être associés à l’échec de ces plans de lutte ». Si entre 1990 et 2014, la concentration de nitrates a quasiment été réduite de moitié, selon un document de la Cour des comptes datant de 2021, aujourd’hui les taux stagnent, voire augmentent légèrement.

Preuve en est, les zones vulnérables, là où la teneur en nitrates est supérieure à 18 mg/L dans les eaux de surface ou à 50 mg/L dans les eaux souterraines, s’étendent. En 2021, 73 % des exploitations agricoles étaient classées comme telles, 10 % de plus qu’en 2018. Pour y remédier, l’organisation plaide depuis longtemps pour une réorganisation complète de l’industrie agroalimentaire bretonne, la révision de la politique agricole commune au profit de fermes à taille humaine et bios ou encore accélérer le développement de bocages… En vain.

Des algues vertes sur la baie de Saint-Brieuc, en Bretagne, en décembre 2016. © Julie Lallouët-Geffroy / Reporterre

Ce laisser-faire a, par trois fois, été sanctionné par la Cour de justice européenne entre 2001 et 2014, et vivement critiqué par de nombreuses institutions publiques ces dernières années. « Arrivés au 7e cycle, l’inefficacité des plans d’action nitrates successifs est manifeste comme celle de chacun des plans d’action régionaux, mais rien ne semble fait pour y remédier », assénait par exemple l’Autorité environnementale en juillet 2021. Tandis que la Cour des comptes et une commission sénatoriale mettaient, elles, en lumière le « manque d’implication des filières agroalimentaires, […] pourtant indispensable et complémentaire des efforts engagés ».

Des millions d’indemnisation demandés

Devant ce constat, « on a dû passer à la vitesse supérieure », dit Estelle Le Guern. En plus de quitter les négociations, son association a donc déposé deux recours : le premier, basé sur un recours déjà accepté par le tribunal de Rennes en juin 2021, vise à obliger le gouvernement à prendre « toutes mesures utiles » sous quatre mois. Le deuxième demande la réparation des préjudices écologiques subis par les milieux naturels bretons, mais aussi des préjudices moraux pour les résidents confrontés aux algues vertes et pour les bénévoles d’Eau et Rivières de Bretagne. Sur ce dernier point, les militants réclament une indemnisation de 3,2 millions d’euros.

De son côté, la Région a, lors d’une conférence de presse tenue mercredi, assuré rester copilote du prochain plan d’action contre les algues vertes. Mais a demandé une « mobilisation plus forte » du côté de l’État, en priorité sur « la mise en place d’un volet réglementaire appuyé par des contrôles renforcés ».

Sous pression, le préfet de Bretagne en avait dévoilé mi-janvier les grandes lignes (complétées cet été), dont le lancement des paiements pour services environnementaux, afin d’inciter les agriculteurs à se mettre au vert, et le doublement du budget, passant de 5 à 10 millions par an. Des engagements encore insuffisants, pour Estelle Le Guern, qui juge que la lutte contre la pollution des eaux pas les nitrates ne fonctionnera qu’avec « un tournant majeur du monde agricole ». « On n’en prend pas le chemin », estime la militante.

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